LE JARDINIER D’ARGENTEUIL réalisé par Jean-Paul Le Chanois, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 4 décembre 2020 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Jean Gabin, Liselotte Pulver, Pierre Vernier, Curd Jurgens, Alfred Adam, Mary Marquet, Jeanne Fusier-Gir, Serge Gainsbourg, Claude Nicot, Henri Rellys, Katrin Schaake, Noël Roquevert, Jean Tissier…
Scénario : Jean-Paul Le Chanois, François Boyer & Alphonse Boudard, d’après le roman de René Jouglet
Photographie : Walter Wottitz
Musique : Serge Gainsbourg
Durée : 1h30
Date de sortie initiale : 1966
LE FILM
Jardinier-artiste, M. Tulipe est un clochard sentimental. Dans le wagon désaffecté et entouré de fleurs où il demeure, il peint des naïvetés pour les vendre à Montmartre et cultive son jardin. Mais il dessine, imprime et vieillit aussi des billets de banque. Des petites coupures pour finir ses fins de mois qu’il écoule très prudemment. Un jour, son filleul Noël, depuis peu au courant des agissements de son parrain et son complice, rencontre Hilda, une ambitieuse nurse étrangère qui les pousse à voir plus grand…
Le réalisateur Jean-Paul Dreyfus, plus connu sous le nom de Jean-Paul Le Chanois (1909-1985) aura offert à Jean Gabin son plus grand succès au cinéma avec Les Misérables (1958). Le comédien et le cinéaste s’associeront sur quatre longs métrages, l’adaptation de l’oeuvre de Victor Hugo donc, Le Cas du docteur Laurent (leur première collaboration, moins diffusée à la télévision que les autres) en 1957, puis Monsieur en 1964, et enfin, Le Jardinier d’Argenteuil en 1966. Plus de 15 millions de français iront se régaler en allant voir ces quatre films au cinéma, même si pour le coup, le dernier opus est un des rares revers de l’acteur au box-office dans les années 1960 avec Sous le signe du taureau de Gilles Grangier. Mais Le Jardinier d’Argenteuil n’a rien à voir avec ce dernier puisqu’il s’agit d’une comédie dans laquelle Jean Gabin fait merveille, même s’il peine quelque peu à relever le niveau de ce qui s’avère avant tout une récréation pour le monstre du cinéma, qui venait d’enchaîner deux films avec Denys de La Patellière, Le Tonnerre de Dieu (1965) et Du rififi à Paname (1966). Rétrospectivement, il y a des films qui seraient sans doute tombés dans l’oubli s’ils n’avaient pas été portés par Jean Gabin et Le Jardinier d’Argenteuil en aurait sûrement fait partie, car même s’il n’est pas déplaisant, le film reste certainement l’un des plus anecdotiques du « Vieux ».
Sous son allure bonasse d’amoureux des fleurs et de peintre naïf, le père Tulipe est un faux-monnayeur qui – car il est sérieux et honnête – fabrique seulement des petites coupures pour améliorer son ordinaire depuis une vingtaine d’années. Son filleul Noël, acoquiné avec Hilda, une nurse suisse, connaît son secret. Hilda pousse Tulipe à fabriquer des billets plus intéressants. Le vieux obtempère et bientôt le trio s’installe sur la Côte. Tulipe accède à une vie confortable et le baron de Santis, séduit par ses tableaux naïfs, l’invite sur son yacht et l’entraîne au casino où Tulipe, en veine, rafle une fortune.
Comme nous l’avons souvent dit, il y a essentiellement deux personnages qui se distinguent dans l’immense carrière de Jean Gabin, le bourgeois – ou le truand – à la tête haute et tiré à quatre épingles, et le prolétaire voûté, vêtu de son habit de travail ou de son costume du dimanche. Dans Le Jardinier d’Argenteuil, monsieur Martin, alias le père Tulipe appartient à cette deuxième catégorie. Avec sa petite moustache et sa barbiche blanches, son galurin vissé sur la tête, en tablier ou habillé discrètement pour aller refourguer ses faux biffetons (un talent qu’il cultivait déjà à l’école en fabriquant des faux bons points et des permissions au régiment) dans les rues de Paris, Jean Gabin se transforme une fois de plus devant nos yeux ébahis. C’est bien simple, il est LA raison d’être du Jardinier d’Argenteuil. Ce bonhomme d’une soixantaine d’années, bien sous tous rapports et qui passe son temps à cultiver tranquillement son jardin, à peindre quelques paysages ou ses voisins, tout en reproduisant des billets de dix francs pour mettre un peu de beurre dans les épinards, est un personnage en or pour Jean Gabin, qui a juste à lui insuffler ce petit truc unique pour lui donner vie et nous le rendre attachant. Bien planqué dans son repaire, un wagon de train aménagé, planté au milieu des HLM et des pavillons qui poussaient comme des champignons dans le Val-d’Oise, monsieur Martin va voir son quotidien bien réglé comme du papier à musique, bouleversé par l’arrivée inopinée de la jeunesse, représentée dans le film par Pierre Vernier et la suisse Liselotte Pulver.
Le premier avait déjà croisé Jean Gabin dans le formidable Rue des prairies de Denys de La Patellière en 1959 et commençait à multiplier les apparitions au cinéma. Sa partenaire, véritable star du cinéma allemand depuis une dizaine d’années, qui avait aussi illuminé de sa beauté Le Temps d’aimer et le Temps de mourir – A Time to Love and a Time to Die de Douglas Sirk en 1958, retrouvait également Jean Gabin, deux ans après lui avoir donné la réplique dans Monsieur. Jean-Paul Le Chanois convoque tout ce beau monde pour un divertissement léger et innocent, sans doute un peu trop, ce qui est d’ailleurs étonnant de la part du réalisateur, habituellement engagé (Les Évadés, Le Cas du docteur Laurent), et par ailleurs connu pour son engagement politique au sein du Parti communiste français, son syndicalisme dans le milieu de cinéma et ses activités dans la Résistance sous l’Occupation allemande. Mais ce serait oublier les quelques grandes comédies que le metteur en scène avait déjà à son actif, à l’instar de son diptyque Papa, maman, la Bonne et moi / Papa, maman, ma femme et moi. Avec Le Jardinier d’Argenteuil, Jean-Paul Le Chanois, également le narrateur ici, signait son dernier film pour le cinéma. Son ultime baroud d’honneur confronte Jean Gabin à la jeunesse à travers quelques saynètes rigolotes, amusantes et parfois un brin longuettes ou qui tombent à plat, comme celles qui se déroulent sur le yacht du baron Édouard de Santis, incarné par Curd Jürgens, dont le rôle rappelle celui qu’il campait dans Et Dieu… créa la femme de Roger Vadim dix ans auparavant. Tulipe se retrouve face à un photographe de mode (Serge Gainsbourg, qui signe aussi la musique du film), qui met en scène ses modèles façon Nouvelle Vague, autrement dit en les plaçant dans des situations invraisemblables. Une petite pique lancée envers le mouvement du cinéma français né à la fin des années 1950 et qui se révèle être malheureusement ratée et molle, comme de nombreux opus de Jean-Luc Godard (ça c’est notre pique à nous).
Ce ventre mou n’entache en rien la composition de Jean Gabin, qui semble prendre beaucoup de plaisir à observer ces belles demoiselles moulées dans quelques bikinis affriolants. A côté de ça, Le Jardinier d’Argenteuil avance par à-coups, sans véritable rythme, en se reposant essentiellement sur des dialogues sympathiques d’Alphone Boudard, la stature imposante de son acteur et sur la beauté des décors naturels.
LE DIGIBOOK
Nous venons de lancer la dernière vague de chez Coin de Mire avec la chronique consacrée à La Veuve Couderc. On continue donc sur notre lancée avec celle du Jardinier d’Argenteuil de Jean-Paul Le Chanois, et vous retrouverez très bientôt nos articles sur La Chartreuse de Parme (1948) de Christian-Jaque, Le Mouton à 5 pattes (1954) de Henri Verneuil, Le Soleil des voyous (1967) et Le Chat (1971) de Pierre Granier-Deferre. Le Jardinier d’Argenteuil faisait partie de la collection Jean Gabin disponible chez Studiocanal, à travers une édition DVD depuis 2004. Le titre est désormais intégré au catalogue de Coin de Mire Cinéma, dans la collection « La Séance », dont le Digibook est édité à 3000 exemplaires.
Comme pour tous les titres Coin de Mire Cinéma, l’édition du Jardinier d’Argenteuil prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm), constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de cette édition contient également la bio-filmographie de Jean-Paul Le Chanois avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, la reproduction en fac similé des matériels publicitaires et promotionnels, ainsi que la reproduction d’articles de Ciné Monde du 13 mai 1966 et du 11 octobre 1966, celle d’un article de Bonjour Bonheur du 14 décembre 1966, et enfin celle d’un article de Jeunesse photos romans. Le menu principal est fixe et musical.
Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores.
Il se passait quoi la 40è semaine de cette année 1966 ? Pour le savoir, reportez-vous au journal des actualités (10’30) proposé par Coin de Mire Cinéma, pour y voir un portrait dressé de Paul Reynaud, ancien Ministre d’État et Vice-président du Conseil des ministres sous le mandat de Vincent Auriol, qui venait de s’éteindre le 21 septembre. Vous y verrez aussi une page sportive avec un gros plan sur Natalia Kuchinskaya, grande gagnante des championnats du monde de gymnastique artistique qui se déroulaient à Dortmund. Également au programme, un document sur « l’Afrique Blanche ».
Les réclames publicitaires (9’) vous donneront envie d’acheter quelques glaces Miko, des Bounty et des crackers Ritz. Et pour vous refaire une beauté, vous pouvez compter sur Mouss Color, la mousse à raser Mennen (mentholée ou pas) et le déodorant Printil !
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Coin de Mire Cinéma livre une nouvelle restauration 4K du Jardinier d’Argenteuil, réalisée à partir du négatif original par Studiocanal, avec la participation du CNC. Rien à redire sur la propreté de l’image, c’est impressionnant, et en dehors d’une tâche en bord de cadre quand Tulipe rencontre le baron ou une rayure verticale vers 1h de film (voir notre capture sous celle du menu principal), l’ensemble demeure immaculé. La texture argentique est très présente tout du long, comme un voile derrière lequel seraient diffusées les images. Le gros point fort de cette édition HD reste le nouvel éclat des couleurs et même la luminosité globale de la copie. Le générique apparaît quelque peu ouaté et divers flous sporadiques sont constatés à droite à gauche durant le visionnage.
La musique douce de Serge Gainsbourg donne le la dès le générique. La bande-son a été restaurée de fond en comble, et le mixage DTS-HD Master Audio mono s’en donne à coeur joie. Le rendu des dialogues est cependant aléatoire, parfois sensiblement couverts, mais clairs le reste du temps. Les effets annexes jouissent d’un coffre inédit. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.
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