Test Blu-ray / Des gens sans importance, réalisé par Henri Verneuil

DES GENS SANS IMPORTANCE réalisé par Henri Verneuil, disponible en Édition Digibook Blu-ray + DVD + Livret le 22 octobre 2018 chez Coin de mire Cinéma

Acteurs : Jean Gabin, Françoise Arnoul, Pierre Mondy, Yvette Etiévant, Dany Carrel, Edmond Ardisson, Robert Dalban, Paul Frankeur, Jacques Marin…

Scénario : Henri Verneuil, François Boyer d’après le roman éponyme de Serge Groussard

Photographie : Louis Page

Musique : Joseph Kosma

Durée : 1h43

Date de sortie initiale : 1956

LE FILM

Jean Viard, routier, quinquagénaire, mal marié et père de trois enfants, rencontre Clotilde. Elle a vingt ans, elle est jolie et amusante. Elle travaille dans un relais routier où ils se retrouvent à la faveur des passages réguliers de Jean. Ils prennent peu à peu conscience d’une irrésistible passion qui les bouleverse, mais leur relation vire au drame…

Des gens sans importance est comme qui dirait le long métrage avec lequel le cinéaste Henri Verneuil prend véritablement son envol. Après six films avec Fernandel tournés en trois ans, La Table-aux-crevés, Le Fruit défendu, Le Boulanger de Valorgue, Carnaval, L’Ennemi public numéro un et Le Mouton à cinq pattes et après autant de succès dans les salles avec près de 21 millions de spectateurs cumulés, sans compter le film à sketches Brelan d’as en 1952 (1,7 million d’entrées), Henri Verneuil connaît un premier virage avec Les Amants du Tage, adapté de Joseph Kessel, sur lequel je reviendrai bientôt. Si le succès est moins important, le film cumule malgré tout 1,8 million d’entrées en 1955. Des gens sans importance transforme cet essai en véritable coup de maître. Chef d’oeuvre très souvent oublié, le neuvième long métrage d’Henri Verneuil s’impose comme le digne représentant d’un néoréalisme à la française, porté par le monstre Jean Gabin (première des cinq collaborations avec le réalisateur) qui reprend le volant et la salopette de routier de l’excellent Gas-oil de Gilles Grangier, sorti quelques mois auparavant. Pourtant, c’est un tout autre personnage que l’immense comédien interprète dans Des gens sans importance, adapté du roman de Serge Groussard. Il y est une fois de plus magnifique et bouleversant.

Routier, Jean Viard ne trouve aucune compréhension auprès de sa famille avec laquelle il ne s’entend guère. Il lui est reproché ses longues absences, ses retours souvent retardés, le peu de temps à séjourner chez lui entre deux missions. Avec son fidèle coéquipier Berty, il s’arrête souvent au relais « La Caravane » où il rencontre Clotilde, une petite bonne d’une vingtaine d’années. Lassitude, solitude des deux êtres qui, irrésistiblement attirés l’un vers l’autre, se rapprochent. Un amour solide naît. De multiples contretemps vont empêcher Jean et Clotilde de former un couple durable. Jean perd momentanément son emploi. Clotilde, enceinte, n’osera lui avouer son état et se fera avorter.

Avec un réalisme quasi-documentaire, Henri Verneuil capte le quotidien morose de ses chauffeurs routiers dès la première séquence du film. Le regard usé par les 1500 kilomètres qu’ils viennent de s’enfiler sans interruption, Jean (Jean Gabin) et son collègue Berty (Pierre Mondy) viennent de se relayer une fois de plus et sont bientôt de retour au bercail. Jean s’installe sur la banquette et laisse le volant à son ami pour essayer de se reposer un petit peu. Mais Berty est aussi fatigué que Jean et évite l’accident de justesse. Henri Verneuil montre la lassitude d’un travail morne, ces hommes lancés avec leur 15 tonnes sur des routes détrempées et qui disparaissent dans le brouillard. Leur vie se résume à la route. Jean a bien une femme qui l’attend à la maison, mais alors qu’il rentre au petit matin, sa femme s’occupe des tâches ménagères. Pour elle, sa vie c’est aussi cela, avec en plus ses deux garçons en bas âge. Ils ont également une fille de 17 ans, Jacqueline (la délicieuse Dany Carrel), qui vient juste de rentrer du réveillon de Noël. La jeune femme rêve de devenir, mais Jean ne cesse de la ramener à la réalité en étant froid et dur avec elle. La famille est au bord de l’implosion, tout le monde parle fort et s’envoie des trucs dégueulasses à la figure.

Durant le premier quart d’heure, le cinéaste dresse le tableau. Le personnage, son entourage, son quotidien, son boulot, son niveau de vie, sa famille, les tensions au travail avec un contremaître (Robert Dalban) qui vérifie le contrôlographe (le fameux « mouchard ») installé dans le tableau de bord, pour voir si ses employés se sont payé du bon temps sur la route. C’est alors que Jean rencontre Clotilde, alias Clo, qui va lui donner l’espoir d’une vie meilleure malgré leurs trente ans de différence. Clo est merveilleusement incarnée par Françoise Arnoul, alors comédienne fétiche d’Henri Verneuil, qui la dirigera cinq fois. Magnétique, sensuelle, elle crève ici l’écran comme dans Les Amants du Tage l’année précédente avec son regard désespéré, comme si l’ennui et la solitude l’avaient fait vieillir prématurément. Ces deux êtres marginaux se reconnaissent entre eux. L’envie de contrecarrer leur destin et de prendre des chemins de traverse aura raison d’eux.

Comme s’il était à jamais lié au bitume, Jean se retrouvera sur la même route, celle qui lui a été tracée depuis toujours, tandis que Clo lui apparaîtra comme un mirage, à l’instar de ces pubs qui jonchent son chemin la nuit, à peine éclairées par ses phares. Henri Verneuil montre également l’horizon bouché des petites gens qui doivent se contenter d’une chambre minable dans un hôtel de passe, sans se plaindre. Les jeunes femmes enceintes et sans ressources se voient confier l’adresse d’une obscure faiseuse d’anges pour les libérer de leurs nouveaux fardeaux, thème alors encore extrêmement tabou. Henri Verneuil montre tout cela avec frontalité, une simplicité des mots, crue, violente, qui interpelle du début à la fin. La vie ne fait aucun cadeau et détruit tout, surtout chez ceux qui croyaient pouvoir se jouer d’elle.

Sans aucun misérabilisme, d’un pessimisme rare, noir comme le charbon (comme la sublime photo de Louis Page), furieusement mélancolique (le thème entêtant de Joseph Kosma), Des gens sans importance (quel beau titre !) est un important chef d’oeuvre à réhabiliter de toute urgence.

LE DIGIBOOK

Fondateur de la structure indépendante Coin de mire Cinéma, Thierry Blondeau est un autodidacte, un cinéphile passionné et grand collectionneur (plus de 10.000 titres dans sa DVDthèque) qui a décidé de se lancer dans le marché de la vidéo dans le but d’éditer des films qu’il désirait voir débarquer dans les bacs depuis longtemps. Prenant son courage à deux mains, essuyant le refus de la plupart des éditeurs qui riaient devant son projet, Thierry Blondeau ne s’est jamais découragé. Son envie et son amour infini pour le cinéma et le support DVD/Blu-ray ont porté leurs fruits. Voilà donc la collection « La Séance » qui s’ouvre le 22 octobre 2018 avec six titres : Les Amants du Tage et Des gens sans importance d’Henri Verneuil, Si tous les gars du monde… de Christian-Jaque, Porte des Lilas de René Clair, Les Grandes familles de Denys de La Patellière et Archimède le clochard de Gilles Grangier. Inédits en Blu-ray, ces titres seront édités à 3000 exemplaires.

Coin de mire Cinéma a d’ores et déjà annoncé les sorties de Paris est toujours Paris de Luciano Emmer, Le Cas du Docteur Laurent de Jean-Paul le Chanois, Des Pissenlits par la racine de Georges Lautner, Le Train de John Frankenheimer (en co-édition avec L’Atelier d’images), La Grosse caisse d’Alex Joffé et L’Affaire Dominici de Claude Bernard Aubert. Chaque restauration sera assurée par TF1 en collaboration avec le CNC. Ont également participé à la réalisation de ce projet L’Atelier d’images (entre autres Hugues Peysson et Jérôme Wybon), Celluloïd Angels, Intemporel et Slumberland. Signalons que chaque titre est annoncé au tarif de 32€, disponible à la vente sur internet et dans certains magasins spécialisés à l’instar de Metaluna Store tenu par l’ami Bruno Terrier, rue Dante à Paris.

L’édition prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie d’Henri Verneuil avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction du dossier de presse original et d’articles divers. Le menu principal est fixe et musical.

Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores. Le film démarre une fois que le salut du petit Jean Mineur (Balzac 00.01).

L’édition des Gens sans importance contient donc les actualités de la 7e semaine de l’année 1956 comme le résumé des Jeux Olympiques d’hiver à Cortina d’Ampezzo en Italie, une visite en Afrique du Nord de Robert Lacoste, Gouverneur général et ministre de l’Algérie, Rome sous la neige ou Sophia Loren s’exerçant à la tauromachie (8’).

Ne manquez pas les formidables réclames de l’année 1956 avec une publicité pour les bonbons Kréma avec Pierre Doris, une autre pour la pellicule couleur de la marque Gevacolor, un spot pour l’eau Vichy Célestin et un dernier consacré à la célèbre pastille Valda « En vert et contre toux » (8’).

La bande-annonce des Gens sans importance et celles des cinq autres titres de la collection édités le 22 octobre sont également disponibles.

L’Image et le son

En 2000, le film d’Henri Verneuil avait connu une première édition DVD chez René Chateau, avant de réapparaître chez TF1 Vidéo en 2015. La présente restauration numérique a été réalisée avec le plus grand soin. Le nouveau master HD des Gens sans importance au format 1.37 respecté se révèle extrêmement pointilleux en matière de piqué, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés et de relief. La propreté de la copie est souvent sidérante, la nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans d’Henri Verneuil, la photo signée par le grand Louis Page (Mélodie en sous-sol, Le Président) retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé. Les fondus enchaînés sont également fluides et n’occasionnent pas de décrochages.

La piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. Si quelques saturations demeurent inévitables sur la composition de Joseph Kosma, l’écoute se révèle fluide, équilibrée, limpide et surtout saisissante. Aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs, les ambiances sont précises, les dialogues clairs, dynamiques. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.

Crédits images : © Coin de mire Cinéma / TF1 Droits Audiovisuels /  Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Une réflexion sur « Test Blu-ray / Des gens sans importance, réalisé par Henri Verneuil »

  1. Seul bémol de cette restauration bienvenue, on ne comprend pas toujours ce que dit Gabin. Est-ce un problème de diction ou plutôt de traitement de la bande sonore ?

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