LES IMPLACABLES (The Tall Men) réalisé par Raoul Walsh, disponible en DVD et Combo Blu-ray + DVD le 3 juin 2021 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Clark Gable, Jane Russell, Robert Ryan, Cameron Mitchell, Juan García, Harry Shannon, Emile Meyer, Steve Darrell…
Scénario : Sydney Boehm & Frank S. Nugent, d’après le roman de Clay Fisher
Photographie : Leo Tover
Musique : Victor Young
Durée : 2h02
Date de sortie initiale: 1955
LE FILM
A la fin de la guerre de Sécession, deux frères, Clint et Ben Allison, anciens sudistes, s’associent avec le redoutable Nathan Stark avec l’idée de l’escroquer. Ensemble, ils mènent un immense troupeau du Texas au Montana. En cours de route, ils rencontrent de nouveaux émigrants dont Nella, seule survivante d’un convoi après une attaque indienne. La présence de Nella exacerbe les rivalités entre les trois hommes.
Vous voulez voir du grand cinéma ? Du vrai cinoche ? Un putain de bon film? Ne cherchez pas plus longtemps et précipitez-vous sur Les Implacables – The Tall Men ! S’il n’a pas le prestige de La Piste des géants – The Big Trail (1930), L’Escadron noir – Dark Command (1940), La Charge fantastique –They Died with Their Boots On (1941), La Vallée de la peur – Pursued (1947), La Fille du désert – Colorado Territory (1949) ou La Brigade héroïque –Saskatchewan (1954) pour ne citer que ceux-là et réalisés avant lui, Les Implacables est pourtant un très grand western, merveilleusement réalisé. A croire que le CinemaScope a été inventé pour lui, Raoul Walsh, épaulé par le directeur de la photographie Leo Tover (L’Héritière de William Wyler, Étranges compagnons de lit de Melvin Frank, Uniformes et jupon court de Billy Wilder, L’Énigme du Lac Noir de Michael Gordon), se place en tant que peintre devant sa toile et entreprend de représenter l’Ouest américain à sa façon, avec son immense sensibilité, son œil acéré (et pour cause…), son humour aussi (le film en regorge souvent). Chaque plan des Implacables est à se damner de beauté, chaque séquence est un modèle de rythme et de montage, de direction d’acteurs, d’où il ressort sans cesse un amour aussi grandiose qu’infini pour le septième art. Alors, enfourchez votre canasson et prenez place dans ce convoi qui s’avère ni plus ni moins qu’un road-movie passionnant, drôle, bourré d’action et de sentiments, qui vous collera un sourire au visage pendant deux heures et vous fera déclamer au bout du chemin que « c’est quand même bon le cinéma ! ».
1866. Soldats sudistes démobilisés, les frères Ben et Clint Allison voyagent dans le Montana, à la recherche d’or. Ils rencontrent un riche homme d’affaires, Nathan Stark, qu’ils kidnappent pour le détrousser. Mais celui-ci leur propose de s’associer pour acheter un gigantesque troupeau au Texas et le convoyer avec les anciens soldats de Ben jusqu’au Montana par la piste Bozeman. Sur le chemin du Texas à travers la neige, ils rencontrent un groupe de colons avec lesquels ils partagent la nourriture. Reprenant la route le lendemain, ils se rendent compte que les Indiens Sioux risquent d’attaquer les colons. Tandis que Stark veut continuer la route, Ben revient en arrière pour trouver le convoi anéanti. Il sauve Nella Turner, seule survivante. Alors qu’ils sont réfugiés dans une cabane, bloqués par la tempête de neige, elle résiste à ses avances et méprise son modeste projet de s’installer dans un ranch dans sa ville natale. Arrivés à San Antonio au Texas, elle se montre plus complaisante envers Stark, dont elle partage les grandes ambitions. Mais durant la conduite du troupeau vers le Montana et après une confrontation victorieuse avec des hors-la-loi, la tension entre Ben et Stark ne cesse de croître.
There goes the man I ever respected. He’s what every boy thinks he’s going to be when he grows up, and wishes he had been when he’s an old man.
Alors qu’il entreprend la dernière partie de sa carrière, avant de mourir brutalement à l’âge de 59 ans des suites d’une crise cardiaque, Clark Gable collabore pour la première fois de sa carrière avec Raoul Walsh pour Les Implacables. C’est un coup de foudre artistique et d’amitié entre les deux hommes, qui enchaîneront directement avec Le Roi et Quatre Reines – The King and Four Queens l’année suivante, puis avec L’Esclave libre – Band of Angels deux ans plus tard. Si cette association demeure moins « prestigieuse » et surtout moins célèbre que celle du cinéaste avec Errol Flynn, avec lequel il tournera sept longs-métrages (Gentleman Jim, Du sang sur la neige, Aventures en Birmanie…), il serait dommage de ne pas reconsidérer cette « trilogie » Walsh-Gable, qui vaut assurément qu’on s’y attarde, surtout ces formidables Implacables. Vieilli avant l’âge par sa lourde consommation de tabac et d’alcool, Clark Gable promène sa carcasse fatiguée dans The Tall Men et s’avère particulièrement bluffant dans la peau de Ben Allison, ancien colonel sudiste, qui a participé à la bataille de Gettysburg et qui n’aspire plus qu’à une seule chose, acheter un ranch et y passer le restant de ses jours. Ses rêves de grandeur sont désormais loin derrière lui et Allison est bien résolu à se contenter des petites choses de la vie, qui ne lui a certainement pas fait de cadeaux.
Accompagné de son frère Clint (Cameron Mitchell, acteur mythique et prolifique vu dans Buck et son complice, Six femmes pour l’assassin, La Dernière flèche et…Supersonic Man), Ben se rend dans le Montana avec l’espoir d’amasser rapidement et par n’importe quel moyen un petit pécule, afin de retourner s’établir dans leur chère bourgade de Prairie Dog Creek. Dans un saloon de Mineral City, ils repèrent un riche homme d’affaires, Nathan Stark (le grand Robert Ryan, La Horde sauvage, La Bataille des Ardennes, Le Coup de l’escalier, La Maison de bambou), et décident de le dépouiller. Stark leur fait alors une contre-proposition : gagner, honnêtement cette fois, une petite fortune en l’aidant à convoyer depuis le Texas quelques milliers de têtes de bétail qu’il revendra très cher dans le Montana. Accord passé, les trois hommes prennent la route de San Antonio. En chemin, ils croisent quelques pionniers affamés, parmi lesquels la belle et dynamique Nella Turner (l’incendiaire Jane Russell). Lorsqu’il s’aperçoit que les malheureux vont être attaqués par les Indiens, Ben revient sur ses pas, trouve Nella seule rescapée du massacre et la ramène avec lui. Pour s’abriter du blizzard, ils passent la nuit dans une petite cabane. Nella se sent très attirée par Ben, mais elle lui reproche la modestie de ses ambitions. À l’inverse, Nathan compte bien devenir un jour l’homme le plus riche du Montana et, dès leur arrivée au Texas, il fait sa cour à Nella en la couvrant de cadeaux. Guidé par les frères Allison et quelques dizaines de rancheros, un troupeau de 4 000 bêtes à cornes prend enfin le départ pour le Montana. Contre l’avis de Ben, Nathan exige que Nella les accompagne. En chemin, ils affrontent une série de dangers : bandits rançonneurs, rivières en crue, canyons abrupts… Ben doit, en outre, endurer le flirt outrancier auquel se livrent sous ses yeux Nella et Nathan. Il est clair cependant que la jeune femme est amoureuse de lui et qu’elle joue ce petit jeu pour attiser sa jalousie. Autre problème : le tempérament agressif de Clint, toujours prêt à chercher querelle à Nathan dès qu’il a un peu bu.
Probablement conscient de ne pas être aidé par un scénario somme toute linéaire, coécrit par Sydney Boehm (Les Inconnus dans la ville de Richard Fleischer, Règlement de comptes de Fritz Lang, Midi, gare centrale de Rudolph Maté) et Frank S. Nugent (La Dernière fanfare et La Prisonnière du désert de John Ford), d’après le roman de Clay Fisher aka Henry Wilson Allen, Raoul Walsh met le paquet sur la mise en scène, d’une ampleur absolue et ce dès la toute première séquence où les deux frères, venant tout juste d’arriver sur le territoire enneigé du Montana, découvrent un homme pendu. « On approche de la civilisation » déclare alors Ben. Revenu de tout, ce dernier observe désormais le monde qui l’entoure avec beaucoup d’ironie, surtout après avoir participé aux actes innommables du tristement célèbre Quantrill. Sa rencontre avec Nella va cependant quelque peu bouleverser ses plans, même s’il semble évident que cette femme attende plus d’ambition de la part d’un homme. Avec son franc-parler, Nella va lui faire comprendre très vite qu’elle n’est pas prête à aller s’enterrer dans un trou paumé où Ben voudrait aller vivre le dernier quart de sa vie. S’ensuit un jeu du chat et de la souris, dans lequel Nella passera son temps à humilier « gentiment » Ben à travers quelques chansons dans lesquelles elle se moque de la mollesse de ce dernier, de la petite bourgade où il voudrait s’installer, de la vie modeste dans laquelle il souhaiterait se reposer. C’était sans compter sur la présence de Stark, lui aussi attiré irrésistiblement par Nella. Mais le pire ne tarde pas à venir : les Sioux attaquent le convoi.
Nous sommes donc bel et bien en plein western, avec ses grands espaces naturels, ses Indiens furieux, ses héros généreux et courageux, ses convois interminables, ses troupeaux infinis, ses rivalités masculines, ses cowboys usés dans leurs boots et ses femmes à longue robe attirées autant par le parfum musqué et la crasse de ces messieurs, que par leur portefeuille. Et c’est superbe.
LE BLU-RAY
Les Implacables a (ou ont, on ne sait plus) connu plusieurs vies chez Sidonis Calysta et ce depuis 2006. Une première réédition en 2009, puis dès 2010. Depuis, on attendait avec impatience de redécouvrir ce film sous-estimé de Raoul Walsh en Haute-Définition. C’est désormais chose faite puisque The Tall Men revient dans les bacs en DVD et en combo dans la collection Silver de l’éditeur. Le menu principal est animé et musical.
Sidonis Calysta reprend la formidable présentation du film par Bertrand Tavernier enregistrée en 2006 (22’). Le très regretté réalisateur et historien du cinéma était visiblement ravi de revenir sur l’un de ses cinéastes préférés, qu’il avait d’ailleurs rencontré et dont il raconte de nombreux souvenirs liés à cette entrevue. Bertrand Tavernier revient sur le charme, l’allure et l’ouverture d’esprit de Raoul Walsh, sa virtuosité, son talent immense de directeur d’acteurs ET d’actrices, sur la collaboration du metteur en scène avec Errol Flynn, sur la virtuosité de ses scènes d’action, pour lesquelles il ne faisait jamais de répétition. Puis Tavernier en vient aux Implacables, avec lequel Raoul Walsh faisait son retour au western (« genre qui ne l’a pas particulièrement inspiré »), évoque le livre de Clay Fisher (sur lequel il s’attarde aussi), l’adaptation de Sydney Boehm et Frank S. Nugent, ainsi que l’art du réalisateur pour « transformer le plus conventionnel en quelque chose de formidable ». Il aborde ensuite les rapports entre les personnages (« ce qu’il y a de mieux dans le film »), parle de la célèbre scène durant laquelle Ben réchauffe les pieds de Nella, de la drôlerie, la chaleur et la vivacité de Jane Russell (« que les metteurs en scène adoraient »), de la relation et la collaboration de Raoul Walsh avec Clark Gable, ce que ce dernier a apporté au western américain (« un côté séducteur, conquérant et Casanova que n’avaient pas forcément les autres acteurs »), le talent et la présence de Robert Ryan (« un autre comédien adoré des réalisateurs »), etc…C’est en écoutant cette analyse que l’on se rend compte une fois de plus que la disparition de Bertrand Tavernier va laisser un grand vide, impossible à combler en France.
Également reprise de l’ancienne édition DVD, l’interview de Michael Henry Wilson (6’), durant laquelle le critique et historien du cinéma, auteur en 2001 de Raoul Walsh ou la saga du continent perdu (Ed. Cinémathèque française), disparu en 2014, s’attardait surtout sur la figure du héros chez le cinéaste. Il met ainsi en parallèle les personnages principaux et les intrigues de La Piste des géants et des Implacables, réalisés à 25 ans d’intervalle, dans lesquels les protagonistes ne se laissaient pas prendre au piège du profit. Dans Les Implacables, le héros a vieilli comme Raoul Walsh, ce dernier pouvant dresser, par l’intermédiaire de Clark Gable et avec lequel il allait tourner trois films, un nouveau portrait de héros, usé par un passé tumultueux, qui espère couler des jours paisibles dans un ranch sans prétention.
Pour ce Blu-ray, Patrick Brion a lui aussi enregistré une présentation alors inédite des Implacables (10’30). Comme sur les titres de la dernière vague Sidonis (Le Démon de l’or, Montagne rouge et Texas), un problème de son persiste ici. Comme à son habitude, l’historien du cinéma passe en revue les westerns de l’année 1955 (la même année que L’Homme de la plaine et La Charge des Tuniques Bleues d’Anthony Mann, Le Bandit d’Edgar G. Ulmer…), puis croise à la fois le fond et la forme de The Tall Men, « qui certes n’est pas du même niveau que La Charge fantastique, La Fille du désert ou L’Enfer est à lui, mais où l’on ressent constamment le plaisir de tourner d’un réalisateur, qui agit également sur le spectateur ». Patrick Brion revient sur l’usage du CinemaScope par Raoul Walsh, sur la première séquence du film (« où tout est en place »), sur « le bonheur du cinéaste de tourner avec Clark Gable », sur leurs trois collaborations, sur l’auteur Clay Fisher aka Henry Wilson Allen, connu pour avoir écrit les cartoons de Tex Avery.
L’éditeur reprend enfin le documentaire intitulé Les Vraies aventures de Raoul Walsh (95’), réalisé en 2014 par Marilyn Ann Moss, dont l’ouvrage du même nom sortait en parallèle dans les librairies, que l’on avait déjà vu sur le Blu-ray de La Vallée de la peur. Ce long et souvent passionnant module propose de revenir sur la vie et la carrière (une partie du moins) de Raoul Walsh, à travers de multiples interviews d’hier et d’aujourd’hui d’acteurs, de réalisateurs et d’historiens du cinéma (Illeana Douglas, Peter Bogdanovich, Sidney J. Furie, John A. Gallagher, Leonard Maltin, Lee Marvin, Jane Russell…), d’images de tournage et de photos de plateau, ainsi que divers extraits de films (muets et sonores), le tout sur une narration présentée à la première personne, avec la voix de John Crear. Quant à savoir si l’anecdote sur le cadavre de John Barrymore est vraie ou non, en tout cas celle-ci a le mérite de ne pas laisser indifférent et on vous laisse le soin de la découvrir au fil de ce film.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Superbe. Ce master HD des Implacables est aussi soigné qu’élégant, restituant à merveille la magnifique photographie de Leo Tover. Issue probablement d’une restauration récente, quelques décrochages demeurent cependant visibles sur les fondus enchaînés et la gestion du grain argentique est aléatoire, cette copie en met souvent plein les yeux, surtout sur les sublimes plans larges des paysages enneigés, où les blancs s’avèrent lumineux (comme l’ensemble de la palette chromatique) et le piqué acéré. Les détails sont foisonnants, y compris sur les gros plans des comédiens, toujours mis en valeur par Raoul Walsh qui les adoraient et qui le lui rendaient bien. Découvrir ou revoir The Tall Men dans de telles conditions techniques, renforce assurément le plaisir du spectateur. On ne peut tout simplement pas détacher nos yeux d’un tel spectacle pendant plus de deux heures.
L’éditeur nous propose de (re)voir le film de Raoul Walsh en anglais DTS HD Master Audio 5.1. Si l’on est d’abord quelque peu étonné et si l’on monte assez le volume, cette option acoustique parvient à créer un bel écrin phonique, sobre, mais palpable, surtout en ce qui concerne le rendu de la géniale partition de Victor Young. Ne vous attendez surtout pas un vacarme de tous les diables, mais plutôt à un accompagnement aussi discret que plaisant et dynamique, à l’instar des scènes de tempêtes de neige qui contiennent son lot d’effets percutants. Les pistes 2.0 anglaise et française sont au programme. Si la première s’en sort évidemment facilement (avec des basses par définition plus atténuées), la seconde paraît plus artificielle, avec des voix (parfois chuintantes) mises trop en avant par rapport aux effets annexes.