LE MARI DE LA COIFFEUSE réalisé Patrice Leconte, disponible en DVD et Blu-ray le 3 mai 2022 chez Rimini Editions.
Acteurs : Jean Rochefort, Anna Galiena, Roland Bertin, Maurice Chevit, Philippe Clévenot, Jacques Mathou, Claude Aufaure, Albert Delpy, Henry Hocking, Ticky Holgado, Michèle Laroque…
Scénario : Patrice Leconte & Claude Klotz
Photographie : Eduardo Serra
Musique : Michael Nyman
Durée : 1h21
Date de sortie initiale : 1990
LE FILM
Antoine a connu ses premiers émois amoureux dans le salon de coiffure de la plantureuse Madame Sheaffer. Il s’est fait une promesse : lorsqu’il sera grand, il épousera une coiffeuse. Il rencontre Mathilde, la coiffeuse de ses rêves. Le coup de foudre est réciproque.
Au début des années 1980, tout va pour le mieux pour Patrice Leconte. Les deux Bronzés ont été de grands succès au cinéma, et il entame alors plusieurs autres associations avec Michel Blanc, Viens chez moi, j’habite chez une copine, Ma femme s’appelle reviens et Circulez y’a rien à voir. 1985, le triomphe des Spécialistes (5,3 millions d’entrées) arrive à point nommé et permet au réalisateur de faire ce qu’il désire. Difficile de se lancer un nouveau challenge après avoir rassemblé autant de spectateurs dans les salles et être parvenu à s’immiscer sur la troisième marche du podium cette année-là derrière les dix millions de Trois hommes et un couffin et les 5,8 millions de Rambo 2 : la mission. Plutôt que de rechercher un succès à tout prix et facilement, le cinéaste décide d’aller au contraire vers quelque chose de diamétralement opposé, un tout petit film, une équipe réduite, une comédie mélancolique, un road-movie inattendu qui se concentre sur un nouveau duo d’acteurs, Jean Rochefort et Gérard Jugnot. Tandem est un tournant dans la carrière de Patrice Leconte, dont l’immense sensibilité éclate au grand jour, comme s’il était temps pour lui à désormais 40 ans de trouver un langage cinématographique inédit, qui exprimerait une nouvelle facette de sa personnalité. Ce merveilleux film, doux, tendre, drôle, émouvant et désabusé, pourtant optimiste, allait là aussi trouver son public, avec près de 600.000 entrées. Sur cette lancée, suivra Monsieur Hire, son sixième long-métrage avec Michel Blanc, l’un de ses chefs d’oeuvre et un pilier de sa filmographie. Sept fois nommé aux César, Monsieur Hire passera cette fois la barre des 600.000 spectateurs. Ce sera une autre paire de manches pour Le Mari de la coiffeuse, probablement son premier revers au box-office, qui parvient tout de même attire la curiosité de 360.000 français, malgré la présence en face de lui de 58 minutes pour vivre et l’arrivée imminente de Total Recall de Paul Verhoeven et celle du Château de ma mère d’Yves Robert. Rétrospectivement, Le Mari de la coiffeuse est l’un des opus les plus singuliers de son auteur, l’un des plus sensuels aussi surtout. Car ce dont on parle rarement en évoquant le cinéma de Patrice Leconte, c’est de sa façon de filmer les comédiennes, de les rendre fantasme, aussi envoûtantes qu’inaccessibles. On comprend alors encore plus le désir du personnage incarné par le monstre Jean Rochefort, de rester toute la journée dans le salon de coiffure tenu par son épouse, interprétée par Anna Galiena. Patrice Leconte convie son audience à partager un rêve pastel, érotique, charnel et passionnel de 75 minutes. Et on y plonge avec une réelle délectation.
Devant son miroir, Antoine se souvient. Il se souvient de son enfance, de ses vacances sur la plage de Luc sur Mer, des horribles slips de bain en laine que sa mère avait tricotés pour lui et son frère… Il se souvient de Madame Sheaffer, la pulpeuse coiffeuse, de son odeur, de sa douceur lorsqu’elle lui faisait un shampooing. Il se souvient aussi de la gifle paternelle lorsqu’il déclara que plus tard il serait mari de coiffeuse. Plus tard, il l’a été… le mari passionné de la belle Mathilde à qui le vieux Monsieur Agopian a vendu en viager son petit salon de coiffure. Antoine a réalisé son rêve. Il vit avec Mathilde, entouré des senteurs du salon, ne le quittant jamais, une vie rythmée par les clients habitués ou hasardeux: Morvoisieux et son gendre, et leur sempiternel « débat » philosophico-religieux, le petit Edouard et sa mère adoptive hystérique, Gora et ses histoires de famille et bien d’autres… Agopian se laisse mourir dans une maison de retraite, le temps passe, mais rien ne semble altérer la passion qui unit Mathilde et Antoine. Jusqu’au jour où…
« Cet été-là, je me suis rendu compte que je devais prendre soin de mes couilles ».
Ode à femme, à l’amour absolu et fusionnel, à l’obsession, à l’alchimie des âmes et des corps, Le Mari de la coiffeuse dissimule autant de thématiques et de motifs sur un temps ramassé. Dans ses drames, comme dans ses comédies d’ailleurs, une mélancolie a toujours irrigué le cinéma de Patrice Leconte. Celle-ci a commencé à exploser véritablement dans Tandem, pour devenir ensuite quasi-minérale dans Monsieur Hire jusqu’à façonner les traits de ce dernier. Le Mari de la coiffeuse apparaît finalement comme un premier film-somme, qui condense à la fois la légèreté de ses premières œuvres, notamment au cours des multiples danses orientales réalisées par un Jean Rochefort illuminé (pléonasme), et un spleen dont la poésie contraste avec les partis-pris naturalistes désirés par le cinéaste. Pour la troisième fois, Patrice Leconte dirige celui qui avait tenu l’affiche de son premier long-métrage Les Vécés étaient fermés de l’intérieur (1976) et qu’il retrouvera à six autres reprises jusqu’à L’Homme du train en 2002. A l’aube de ses soixante ans, Jean Rochefort obtiendra sa troisième nomination pour le César du meilleur acteur pour son rôle d’éternel grand gamin, qui aura cette opportunité, cette chance plutôt, de vivre son fantasme au quotidien. Celui-ci prendra le visage de Mathilde, jouée par la sublime Anna Galiena, probablement dans le rôle de sa vie (avec celui qu’elle tiendra deux ans plus tard dans Jamón, jamón – Jambon, jambon de Bigas Luna), qui apparaîtra aussi la même année dans Jours tranquilles à Clichy de Claude Chabrol. Dès sa première apparition, le spectateur tombe irrésistiblement amoureux de la mystérieuse Mathilde et ce sentiment ne le quittera pas jusqu’à la dernière seconde, où tel Antoine, dans le déni, nous sommes prêts à attendre le retour de la coiffeuse.
Le Mari de la coiffeuse subjugue aussi par sa splendeur plastique. Outre la beauté dingue du cadre large, celle de la photographie du mythique Eduardo Serra (Marche à l’ombre, Incassable, La Jeune Fille à la perle, Harry Potter et les Reliques de la Mort) apporte cette touche indicible qui donne au film cet aspect de rêve éveillé, un écrin dans lequel on sent aussi bien qu’Antoine, où les teintes chatoyantes et certains plans sensiblement ouatés renforcent cette idée de songe dans lequel on souhaiterait tous se réfugier.
« La mort est jaune-citron et sent la vanille… »
Furieusement délicat, inclassable, rapide, voluptueux, troublant, languissant, virtuose, Le Mari de la coiffeuse est une œuvre unique, qui tel un ruban de Möbius paraît coincer son personnage principal dans la boucle de ses pensées, où, conscient ou non de la réalité, celui-ci préférera vivre et revivre encore ces moments passés avec Mathilde, où il ne faisait rien d’autre que la regarder. Inoubliable. Prix Louis-Delluc 1990 (partagé avec Le Petit Criminel de Jacques Doillon), sept fois nommé aux César et au BAFTA du meilleur film non anglophone.
LE BLU-RAY
Deux ans après Pathé (Tandem, Monsieur Hire et Tango), c’est au tour de Rimini Editions de dérouler le tapis rouge à un des réalisateurs français que nous affectionnons le plus, Patrice Leconte, avec les sorties en HD du Mari de la coiffeuse, Le Parfum d’Yvonne et Les Grands ducs, sur lesquels nous nous pencherons dans les jours à venir. Le premier de ces trois titres se présente sous la forme d’un boîtier classique de couleur bleue, glissé dans un surétui cartonné liseré orange. Le visuel est élégant, même si l’on aurait sans doute préféré celui de l’affiche originale. Le menu principal est animé et musical.
Commençons tout d’abord par l’indispensable et formidable intervention de Patrice Leconte, enregistrée en 2000, à l’occasion de la sortie du Mari de la coiffeuse en DVD chez Opening (55’). A l’instar de Jean-Jacques Annaud, Patrice Leconte a toujours été un de nos réalisateurs les plus passionnants à écouter. Il revenait ici sur la genèse du film qui nous intéresse aujourd’hui (« au début je n’avais rien ! »), né du désir de raconter une histoire d’amour minimaliste, fou, idéal, magnifique, mais aussi d’une improvisation quand le cinéaste s’est retrouvé devant le producteur Thierry de Ganay, qui souhaitait se lancer dans le cinéma en produisant un de ses films. Pris de court, Patrice Leconte s’était donc mis à inventer l’histoire qui allait devenir Le Mari de la coiffeuse. L’écriture avec Claude Klotz, la séquence du slip de bain en laine (ceux vus dans le film sont réellement ceux portés enfant par Patrice Leconte), la création du décor principal (construits en dur, en studio à Arpajon), les partis-pris (« le plus naturaliste possible »), les personnages, le casting, la retenue de Jean Rochefort sur les scènes intimes et sa grande implication (ainsi que sa préparation) pour les séquences de danse orientale, la séquence du barrage de sable réalisée à l’aide d’un bulldozer (« un rêve de gosse, à tel point que j’en ai chialé »), les intentions (« il s’agit d’un commentaire visuel de la mélancolie du personnage », « le désir de faire un cinéma d’odeurs, qui sent la lotion d’eau de Cologne, le tissu, le shampooing »), ainsi que la dernière scène sont entre autres les sujets abordés par Patrice Leconte.
Nous retrouvons d’ailleurs ce dernier pour un entretien plus court (17’30) réalisé pour cette nouvelle sortie en DVD et Haute-Définition. Forcément, il y a ici quelques redites avec ce qui a été entendu précédemment (sur la genèse du film surtout), mais pourquoi se priver ? D’autant plus que le réalisateur s’exprime aussi ici sur la durée ramassée de ses films (« je suis ahuri de voir aujourd’hui des films qui durent 2h ou 2h20 […] cela me convient de raconter des histoires sur 1h20, ou comment il est nécessaire de s’en tenir à l’essentiel, sans être sec, car je déteste le gâchis »). Le cinéaste parle également de la reconnaissance du public, du virage effectué dans sa carrière avec Tandem, de l’usage de la voix-off, de ses intentions (« j’ai toujours essayé de faire des films intemporels, nourris de mes émotions et de mes souvenirs »), de la participation de Michèle Laroque (qui réapparaîtra dans Tango et qu’il dirigera sur scène en 1991 dans Ornifle ou le courant d’air de Jean Anouilh). Quand il évoque le travail avec les comédiens, Patrice Leconte déclare que ses deux acteurs principaux ne s’entendaient pas très bien, mais que le plus important pour lui était que les spectateurs croient à cette histoire et à ces personnages. Enfin, Patrice Leconte parle de la réception du film, notamment au Japon où le film a beaucoup d’admirateurs.
Autre supplément inédit, l’interview récente d’Anna Galiéna (17’). La comédienne est visiblement très heureuse de partager ses souvenirs liés au tournage du Mari de la coiffeuse. Dans un premier temps, elle replace ce film dans sa carrière (« qui est intervenu au moment où j’hésitais à rentrer aux Etats-Unis car je n’y arrivais pas »), parle brièvement de son travail avec Yves Boisset sur La Fée carabine, avec Jacques Rouffio sur L’Argent et avec Édouard Molinaro sur Les Grandes familles, tous les trois réalisés pour la télévision, sans oublier Claude Chabrol qui l’a dirigé sur Jours tranquilles à Clichy. Quand Patrice Leconte est arrivé pour lui proposer de tenir le haut de l’affiche du Mari de la coiffeuse, dont elle connaissait les films, surtout Monsieur Hire qu’elle avait adoré au cinéma. Anna Galiena parle ensuite de sa préparation pour le rôle (trois semaines dans un salon de coiffure, chaque jour de 9h à 17h), des conditions « parfaites » de tournage (elle se souvient de Jean Rochefort, « très drôle » avec toute l’équipe, des thèmes du film, de la carrière importante du Mari de la coiffeuse, qu’elle a présenté en Inde ou même à San Francisco, et qui lui a ouvert beaucoup de portes et permis de collaborer par la suite avec d’autres grands metteurs en scène, même si elle semble regretter de ne pas avoir été rappelée par des réalisateurs français.
Rimini Editions reprend aussi le succulent court-métrage de Patrice Leconte, intitulé Le Batteur du Boléro (8’, 1992), déjà disponible sur le DVD Opening. Un plan séquence d’une élégance folle, où après un travelling présentant un orchestre symphonique en train d’entamer le Boléro de Maurice Ravel, se focalise en plan fixe sur la prestation d’un percussionniste, incarné par Jacques Villeret. Celle-ci se base sur un ostinato joué tout d’abord en solo par la caisse-claire puis répété de la première à l’antépénultième mesure, alors que deux autres thèmes sont repris inlassablement par les membres de l’orchestre quand ceux-ci n’accompagnent pas le batteur dans son répétitif labeur.
Seule l’interview du chef opérateur Eduardo Serra n’a pas été reprise de l’édition Opening.
L’Image et le son
Eduardo Serra avait reçu comme indications de la part de Patrice Leconte, de réaliser une photographie qui renverrait au Midi de la France, au moment où, durant l’été, la transpiration commence à apparaître sur les peaux, avec un respect systématique des changements de direction de la lumière naturelle. Une chaleur, une sensualité que l’on retrouve d’autant plus à travers ce superbe master HD du Mari de la coiffeuse. Le dixième long-métrage de Patrice Leconte a bénéficié d’une solide restauration. C’est propre, clair, souvent lumineux, très détaillé (surtout sur les gros plans), le piqué est plaisant, le grain argentique excellemment géré et le cadre stable. Les aficionados apprécieront la qualité de la copie et le soin particulier apporté à ce petit titre, tout aussi choyé que les films plus reconnus et porteurs du réalisateur. Blu-ray au format 1080p.
La piste française DTS-HD Master Audio Mono 2.0 du Mari de la coiffeuse est plutôt percutante. Aucun souffle n’est à déplorer, ni aucune saturation dans les aigus. Les dialogues sont vifs, toujours bien détachés, la musique est délivrée avec une belle ampleur. L’ensemble est aéré, fluide et dynamique. Pas de sous-titres destinés au public sourd et malentendant, sans doute la seule fausse note.