LE CIEL SUR LA TÊTE réalisé par Yves Ciampi, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 18 mars 2022 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : André Smagghe, Jacques Monod, Bernard Fresson, Guy Tréjan, Marcel Bozzuffi, Henri Piégay, Yves Brainville, Jean Dasté, Beatrice Cenci, Yvonne Monlaur…
Scénario : Yves Ciampi, Jean Chapot & Alain Satou
Photographie : Edmond Séchan & Guy Tabary
Musique : Jacques Loussier
Durée : 1h50
Date de sortie initiale : 1965
LE FILM
1965, après plusieurs mois de campagne en mer à travers le monde, le porte avion Clémenceau regagne sa base de Brest. Les avions sont expédiés à terre et le reste de l’équipage s’apprête à débarquer pour retrouver leurs proches. Soudain, un message top secret de l’État-Major des Armées arrive auprès du Commandant Ravesne. Quelques instants après, celui-ci ordonne de faire demi-tour et rappelle toute la flottille à bord. Il déclenche le poste de combat et fait équiper les avions de l’arme nucléaire. Une question est sur toutes les lèvres : que se passe-t-il’? Mais le commandant reste silencieux…
Ancien médecin, Yves Ciampi (1921-1982), abandonne sa carrière médicale pour embrasser celle de réalisateur. Il commence tout d’abord en tant qu’assistant de Jean Dréville et d’André Hunebelle, mais passe très vite lui-même derrière la caméra à la fin des années 1940 pour son premier long-métrage, Suzanne et ses brigands, une petite comédie avec Suzanne Flon. Après avoir fait ses classes dans le documentaire, ce qui lui a apporté un véritable bagage technique et le sens du détail à l’écran, il se fait remarquer dès 1951 avec Un grand patron, dans lequel Pierre Fresnay interprète un chirurgien de renom, film qui rencontre un énorme succès public. A l’instar de Thomas Lilti (Hippocrate, Médecin de campagne, Première année), Yves Ciampi s’inspire de son expérience de médecin généraliste pour dépeindre avec précision son domaine professionnel originel dans L’Esclave (1953), sur la dépendance à la morphine, et Le Guérisseur (1953), sur la médecine alternative. Durant les années 1950, il dirige les plus grands acteurs, Yves Montand, Jean Servais, Gert Fröbe et Curd Jürgens dans Les Héros sont fatigués, Jean Marais et Danielle Darrieux dans Typhon sur Nagasaki, avant de signer des oeuvres plus confidentielles dans les années 1960. C’est pourtant en 1964 qu’il met en scène un formidable et inattendu film d’anticipation, Le Ciel sur la tête, quasiment entièrement tourné à bord du porte-avions Clémenceau (il s’agit avant tout d’une commande de la Marine Française), qui parcourait le monde depuis 1957. Film hybride, que l’on pourrait placer entre Top Gun (1986) de Tony Scott et Premier contact – Arrival (2016) de Denis Villeneuve, Le Ciel sur la tête rend compte du passé de documentariste d’Yves Ciampi, quand celui-ci s’empare littéralement de son gigantesque décor « naturel », en présentant tous les recoins possibles et imaginables du navire de tête. Après une exposition du lieu où se tiendra l’essentiel de l’action, Le Ciel sur la tête bifurque ensuite vers le film fantastique, quand un étrange satellite fait irruption quelques kilomètres au-dessus de leur tête. Menace ? Avertissement ? Rencontre du troisième type ? Les hommes sont prêts à intervenir. A sa sortie, le film déconcerte quelque peu, même si près d’un million de spectateurs se rendront tout de même dans les salles. Il y a fort à parier que Le Ciel sur la tête sera largement reconsidéré, tant celui-ci demeure furieusement moderne avec des scènes de vol particulièrement bluffantes et une dimension « surnaturelle » aussi singulière que maîtrisée.
Le porte-avions Clemenceau rentre vers le port de Brest. Soudain, il reçoit l’ordre de faire demi-tour et de prendre les dispositions d’alerte. Nul ne sait exactement de quoi il s’agit. Il est vaguement question d’une nouvelle tension Est-Ouest. Gayac, commandant des avions embarqués, est soucieux : son adjoint, Montfort, est un homme d’action assez emporté, qui risque de prendre des initiatives malheureuses. L’officier pilote de l’hélicoptère, Laurent, est en revanche réfléchi et mesuré. Et voici qu’un pilote en reconnaissance repère un engin qui semble être un satellite géant, émettant des radiations qui détraquent ses appareils. Le pilote, une fois de retour, est légèrement radio-actif. Dans le monde clos du navire, les esprits s’échauffent. L’engin a été également repéré depuis la terre, et un officier du Ministère vient donner les précisions qui ne font qu’augmenter la panique. Les Russes et les Américains nient la paternité de cet engin. Une fausse alerte manque de provoquer un bombardement atomique sur la Russie. Les Soviétiques, en effet, viennent de lancer des missiles vers l’Ouest. Mais ils visaient une partie de l’engin qui venait de se détacher et fonçait sur la terre, et de fait l’atteignent. Au cours d’une mission, l’impulsivité de Montfort le pousse à mitrailler un sous-marin soviétique qui ne cherchait qu’à recueillir un de ses camarades tombé à la mer. Mais d’où vient l’engin mystérieux qui a failli déclencher quelque temps l’alerte atomique ? Peut-être d’un autre monde…
Franchement, on se croirait parfois dans Top Gun durant la première partie. On a fait un essai, mettre le célèbre Danger Zone de Kenny Loggins sur les images filmées lors des divers décollages des légendaires Étendards et Alizés, et on y verrait que du feu ! C’est dire l’inventivité d’Yves Ciampi, qui met autant en valeur le bâtiment de près de 300 mètres de long sur lequel s’est plantée son équipe de tournage, que ses comédiens, parmi lesquels on reconnaîtra facilement le génial Marcel Bozzuffi, loin de ses rôles de flic ou de gangster, l’imposant Jacques Monod (Les Grandes familles, Rue des prairies, Le Président, Les Bonnes causes), qui incarnait souvent « l’autorité », parfait ici en capitaine de vaisseau et « pacha » du Clemenceau, Guy Tréjan (entre Pouic-Pouic et Jo de Jean Girault), impérial en ministre de la défense, ou bien encore le grand Bernard Fresson, qui incarne le pilote de l’hélicoptère. Le fait que Le Ciel sur la tête ne soit pas interprété par des « stars » renforce le réalisme et la crédibilité de certaines situations, jusqu’à l’arrivée inopportune d’un colossal satellite positionné en orbite autour de la Terre, qui émet des ondes électromagnétiques et radioactives.
Cette rupture brutale étonne de nos jours, mais devait dérouter bien plus encore en 1965, alors que l’audience était moins habituée à ce genre de spectacle, surtout dans l’Hexagone. Car Le Ciel sur la tête s’avère un vrai film fantastique teinté d’une paranoïa propre à son époque, où les États-Unis et l’U.R.S.S. se renvoyaien la balle constamment. Alors, arme défensive ou objet de reconnaissance ? Quand une partie du satellite se détache pour se rapprocher de la planète, la tension commence à se resserrer. Est-ce un engin de guerre ? Qui l’a lancé ? Que faire ? Tenter d’anéantir cet objet volant non identifié ? Ou attendre ? Les 2000 hommes à bord du Clémenceau se préparent à toutes les éventualités, car jamais l’humanité n’a été si près d’une guerre aussi terrifiante.
Coécrit par Yves Ciampi, Alain Fatou (La Voleuse) et Jean Chapot (Les Granges brûlées), inspiré du roman d’André Jubelin Le Ciel sur la tête ou le Spectre de Pleumeur-Bodou, remarquablement photographié par Edmond Séchan (Les Morfalous) et Guy Tabary (Deux hommes en fuite de Joseph Losey), Le Ciel sur la tête possède à la fois cette ampleur digne d’un blockbuster (superbe cadre large, musique emphatique de Jacques Loussier), il aurait d’ailleurs inspiré Nimitz, retour vers l’enfer – The Final Countdown (1980) de Don Taylor, tout en étant un huis clos (rares sont les moments où l’on quitte le porte-avions), à redécouvrir de toute urgence donc.
LE DIGIPACK
Cinquième titre de la neuvième vague Coin de Mire Cinéma à être analysé par nos soins après La Roue, Rue des cascades (Un gosse de la butte), Charmants garçons et Les Liaisons dangereuses 1960, Le Ciel sur la tête bénéficie enfin d’une édition HD après une édition DVD Gaumont particulièrement décevante sortie en 2018. Inédits en Blu-ray, ces titres seront édités à 3000 exemplaires.
L’édition prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie d’Yves Ciampi, avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction en fac-similé des matériels publicitaires et promotionnels, des photos promotionnelles, de la reproduction de l’affiche belge et des « fotobusta » italiennes. Le menu principal est fixe et musical.
Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film (ici celle de Train d’enfer de Gilles Grangier), puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores. Le film démarre une fois que le salut du petit Jean Mineur (Balzac 00.01).
Les journaux des actualités (9’30) de la 3è semaine de l’année (1965 donc), sont constitués de reportages sur l’élection présidentielle pakistanaise qui opposait le président Muhammad Ayub Khan, arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’État militaire en 1958, à Fatima Jinnah, sœur du père de la nation. Le premier emportera la victoire avec 65 % des voix. L’occasion pour le chef de l’état de s’exprimer dans la ville nouvelle d’Islamabad et capitale du Pakistan (« réalité ou mirage pour unir les deux Pakistan ? »). Ensuite, une petite page astrologique (on apprendra ainsi que « pour rendre une femme heureuse, il faut la recouvrir d’or »), puis sportive (avec la victoire du XV de France face à l’Écosse, dans le Tournoi des Cinq Nations), avant un retour sur la situation de la Malaisie, où Singapour est en état d’alerte, complètent les informations.
Demandez Nutsy ! Amandes, cacahuètes et mélange cocktail ! C’est ce que les réclames (8’30) vous proposeront avant que le début du film ! Les glaces Miko (« la meilleure façon de passer l’entracte ! »), les barres de chocolat Nuts, les bonbons MinTips, les clopes Gitane (« la cigarette du connaisseur »), les spaghetti express Lustucru (« toujours dans leurs fameuses boites à damier ») sont aussi mis en valeur. Et puis, pour une bouffée d’air frais, Total vous propose un petit tour sur les routes du Val de Loire.
A l’instar des bonus de La Roue, Coin de Mire Cinéma joint au film qui nous intéresse aujourd’hui, quatre reportages d’époque, centrés cette fois sur le porte-avions Clémenceau, Le Tigre d’acier (30’), Au bal de Neptune (11’), Les Ailes du Clémenceau (15’) et Le Bal des Chiens Jaunes (7’20), les trois derniers suppléments étant uniquement disponibles sur le Blu-ray.
Le premier est réalisé en 1997 par Louis Blazy, à l’occasion du désarmement du bâtiment, après avoir parcouru plus d’un million de nautiques, soit 48 fois le tour du globe. Il aura ainsi passé 3 125 jours à la mer, 80 000 heures de fonctionnement et aura effectué plus de 70 000 catapultages. Nous le voyons ici alors que les porte-avions se succèdent dans l’Adriatique, dans le cadre de la mission Balbuzard, dont l’objectif était de soutenir les troupes françaises engagées dans la force de protection des Nations-Unies en Bosnie. L’occasion de voir que rien ou presque n’avait changé depuis ce qu’Yves Ciampi montrait déjà dans son film plus de trente ans avant.
Les deux suppléments suivants sont réalisés par Jean Raynaud en 1975 et dévoilent les phases essentielles de la vie quotidienne de porte-avions Clémenceau, les catapultages, les décollages et les appontages, ainsi que le travail des hommes à bord, sans oublier les avions embarqués « Aquilons », « Alizés » et « Etendards ». Certaines images pourront faire penser à une publicité Manpower, mais l’ensemble reste intéressant et la musique est signée du grand Claude Bolling.
Enfin, le quatrième court-métrage se focalise sur les « Chiens Jaunes », autrement dit les contrôleurs des avions de chasse, dont la mission est aussi de faire décoller et d’apponter les coucous présents à bord, parfois toutes les trente secondes. Quelques témoignages se succèdent et l’on apprend que certains d’entre-eux (ils sont 300 en tout sur le Clémenceau) sont qualifiés pour être pilote de chasse.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces, dont celle du Ciel sur la tête, qui présente de très rapides images de tournage.
L’Image et le son
Le DVD Gaumont, qui n’est pas si vieux que ça puisqu’édité il y a quatre ans, proposait Le Ciel sur la tête dans une copie non restaurée, à la qualité forcément passable (voire exécrable), le film d’Yves Ciampi ayant disparu des radars depuis de nombreuses années. Coin de Mire Cinéma a repris le flambeau et a tout fait pour rendre à la superbe photographie ses lettres de noblesse, à travers un beau lifting 2K réalisé à partir de l’interpositif. Certes, la poignée de stockshots se voit encore comme le nez au milieu de la figure, et certaines pulsations chromatiques demeurent, mais Le Ciel sur la tête bénéficie tout de même d’un traitement de faveur inespéré. Le cadre large Franscope (comme Lola de Jacques Demy, Jules et Jim de François Truffaut, Le Mépris de Jean-Luc Godard, Le Corniaud de Gérard Oury) retrouve une élégance doublée d’une stabilité et profondeur de champ excellemment exploitée, les détails sont riches, la gestion des contrastes équilibrée, la texture argentique fine et organique, les couleurs claires.
Pour en revenir au DVD Gaumont, le son était particulièrement déplorable et Coin de Mire Cinéma a là aussi rectifié le tour. Exit les saturations, le souffle chronique et autres parasites, même si certains échanges restent sensiblement couverts. Mais la différence est de taille et le confort beaucoup plus appréciable que précédemment, notamment en ce qui concerne l’ampleur de la musique de Jacques Loussier.. L’éditeur joint également les sous-titres français, destinés aux spectateurs sourds et malentendants.
Cool et génial, merci.