L’ARME À L’OEIL (Eye of the Needle) réalisé par Richard Marquand, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 22 mars 2023 chez Rimini Editions.
Acteurs : Donald Sutherland, Kate Nelligan, Ian Bannen, Christopher Cazenove, Alex McCrindle, Stephen MacKenna, Philip Martin Brown, George Belbin…
Scénario : Stanley Mann, d’après le roman de Ken Follett
Photographie : Alan Hume
Musique : Miklós Rózsa
Durée : 1h47
Date de sortie initiale : 1981
LE FILM
Durant la Deuxième Guerre mondiale, Faber, un espion allemand en poste en Angleterre découvre le subterfuge élaboré pour les alliés pour faire croire à un débarquement sur les côtes du Pas-de-Calais. Alors qu’il s’apprête à transmettre l’information à son QG, l’officier, embarqué sur un esquif, est victime d’une attaque. Échoué sur l’île des Tempêtes, au large des côtes écossaises, il est recueilli par un couple, dont le mari est handicapé. Faber tombe amoureux de Lucy, la femme…
L’Arme à l’oeil – Eye of the Needle. C’est un film dont nous n’avions jamais entendu parler et qui a immédiatement éveillé notre curiosité pour plusieurs raisons. Pour son casting mené par l’impérial Donald Sutherland, pour son réalisateur Richard Marquand (1937-1987), dont nous ne connaissions réellement que Le Retour du Jedi (1983) et À double tranchant (1985), et enfin parce qu’il s’agit de l’adaptation d’un roman de l’immense Ken Follett, publié en 1978. Tentant non ? Et le résultat est on ne peut plus fameux. L’Arme à l’oeil démarre comme un film historique, ce qu’il est indéniablement, l’action étant située entre 1940 et 1944, tandis qu’une voix (au micro) plante le décor d’emblée, nous sommes à Londres, en feu après le passage de la Luftwaffe. L’introduction prend déjà le spectateur par surprise en se focalisant sur Henry Faber, personnage à première vue sympathique, qui essaye de dissuader un jeune homme voulant s’engager dans le confit armé, en lui disant qu’il a le temps et qu’il y aura d’autres guerres. Puis arrive le premier rebondissement, complètement inattendu, qui révèle la véritable nature de Faber. Une scène magnifiquement montée, sèche, brutale, qui marquera probablement les cinéphiles. Disons-le, Donald Sutherland, quasiment de tous les plans, est extraordinaire dans L’Arme à l’oeil, peut-être dans l’un de ses meilleurs rôles, monstre de charisme au regard bleu laser capable de foudroyer celui ou celle qui le fixerait trop longtemps. Muni d’un couteau à cran d’arrêt qu’il dégaine plus vite que l’éclair, Faber est une bombe à retardement qui passe inaperçue, un homme dans la foule, qui parvient à éclipser son mètre 90 au milieu des passants, pour mieux frapper au moment le plus imprévu après avoir usé de son charme suintant. L’Arme à l’oeil mute alors en chasse à l’homme, puis se resserre jusqu’au huis clos teinté de romance. Remarquable thriller d’espionnage, aussi riche sur le fond que sur la forme, Eye of the Needle est une sacrée et admirable découverte.
Angleterre 1940. Un homme se faisant appeler Henry Faber est en fait un espion allemand infiltré dont le surnom est « l’aiguille », en référence à son instrument préféré d’assassinat, un stylet. C’est un tueur froid et calculateur, concentré sur sa seule mission. Les services secrets anglais tentent désespérément de l’intercepter pendant quatre ans mais sans succès. En 1944, il réussit ainsi à infiltrer une base militaire d’où le débarquement allié est supposé partir, mais il découvre que les avions sont en fait factices et qu’il s’agit d’une manœuvre de diversion pour abuser les Allemands sur le véritable endroit du débarquement. Un sous-marin allemand l’attend pour l’aider à regagner l’Allemagne et informer personnellement Hitler de sa découverte. Dans sa tentative de rejoindre le sous-marin, son bateau échoue sur la petite île de Storm Island, où vivent Lucy et son mari handicapé David avec leur enfant. Hébergé par le couple, une romance débute entre l’espion et l’épouse délaissée par son mari. Ce dernier finit par découvrir l’identité de Faber.
On ne s’attendait pas à être aussi cueillis par L’Arme à l’oeil. D’ailleurs, George Lucas aura tellement été impressionné par la rigueur de la mise en scène, l’excellence de la distribution et l’efficacité implacable du montage, qu’il décidera de confier Le Retour du Jedi au britannique Richard Marquand après avoir vu son troisième long-métrage. Si jusqu’à présent ce dernier aura signé une multitude d’épisodes de séries télévisées, de téléfilms et de documentaires, le cinéma arrive tard dans sa carrière. Quand il signe son premier long-métrage, Psychose phase 3 – The Legacy (1978), avec Sam Elliott et Katharine Ross, Richard Marquand a déjà 40 ans passés et enchaîne directement avec un biopic consacré aux Beatles, avec entre autres Stephen MacKenna dans le rôle de John Lennon. Mais rétrospectivement, c’est avec L’Arme à l’oeil que le cinéaste dévoile tout ce qu’il a sous le capot du point de vue technique, storytelling et direction d’acteurs.
Le plus culotté dans L’Arme à l’oeil est d’adopter le regard et donc d’essayer de créer une empathie, ou tout du moins un point d’accroche avec le personnage d’Henry Faber, un espion allemand glacial et glaçant, qui derrière un sourire carnassier dissimule un assassin impitoyable, recherché par les services secrets britanniques. Une course contre la montre s’engage quand ceux-ci se rendent compte que Faber est le seul au courant du lieu où les Alliés débarqueront en Normandie et qu’ils doivent enfin mettre la main sur lui avant qu’il puisse faire son rapport à Adolf Hitler. Le scénario de Stanley Mann (Charlie – Firestarter, Conan le Destructeur, L’Obsédé de William Wyler) respecte le matériel d’origine certes, même s’il s’avère moins concentré sur la partie historique, mais finit par se l’approprier en donnant une direction hitchcockienne à l’histoire.
La fuite de Faber prendra fin sur une île isolée et inondée par la pluie diluvienne au large de l’Écosse, merveilleusement photographiée par Alan Hume, chef opérateur d’une poignée de James Bond (Dangereusement vôtre, Octopussy, Rien que pour vos yeux), de Lifeforce – L’Étoile du mal de Tobe Hooper, de Runaway Train d’Andrei Konchalovsky, de L’Arnaqueuse de Peter Hall, du Continent oublié de Kevin Connor, du Baiser du vampire de Don Sharpt et de Supergirl de Jeannot Szwarc. C’est là que le film mélange étonnamment suspense psychologique (Faber est clairement conscient de ce qu’il est et paraît décontenancé de « ressentir » de l’amour) et romance (surtout basée sur un désir sexuel), avec toujours cette violence sourde et offre à la superbe et sensuelle Kate Nelligan (Une anglaise romantique de Joseph Losey, Dracula de John Badham) l’occasion de briller dans le rôle de Lucy.
Un jeu étrange, malsain, pervers et donc dangereux finit par s’installer entre les deux personnages, jusqu’à l’acte final, fulgurant, complexe, passionnant et percutant. Et la composition de Miklós Rózsa (Le Cid, La Maison rouge, Les Amants traqués, Le Poison) de nous embarquer pour l’avant-dernière fois de sa carrière dans quelques firmaments acoustiques volontairement rétros…Une réussite sur tous les points que cet Eye of the Needle.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
En fouinant un peu, on découvre que L’Arme à l’oeil avait bénéficié par le passé d’une édition en DVD chez Lancaster en 2000. Il était donc temps d’exhumer ce bijou réalisé par Richard Marquand, chose faite par Rimini Éditions. Le DVD et le Blu-ray reposent dans un boîtier classique de couleur bleue, glissé dans un surétui cartonné. Visuel de la jaquette très élégant. Le menu principal est animé et musical.
Rimini et La Plume ont de nouveau fait appel à l’excellent Jacques Demange pour nous présenter L’Arme à l’oeil (16’). Le critique de cinéma à la revue Positif, que nous avons déjà croisé sur les éditions HD de L’Appel de la forêt, Marché de brutes, La Brigade du suicide, La Chute de l’empire romain et Le Coup de l’escalier, dissèque à la fois le fond et la forme du film de Richard Marquand. Le cadre et l’atmosphère, la psychologie et l’évolution des personnages, l’identification ambiguë à celui incarné par Donald Sutherland (seul rôle masculin auquel se rattacher, entraînant donc une ambivalence morale), l’efficacité narrative du scénario sont ainsi passés au crible. Puis, Jacques Demange évoque le fait que George Lucas ait décidé de confier Le Retour du Jedi à Richard Marquand, après avoir été impressionné par L’Arme à l’oeil. Présentation réalisée sous forme d’un montage riche d’images et de documents divers, illustrant intelligemment les propos de l’intervenant.
Place ensuite à Pierre Charpilloz, journaliste et critique de cinéma (Arte et Ciné+, Revus & Corrigés et Bande à Part), mais aussi enseignant à l’Université Paris 8 et à l’Université de Strasbourg. Cette présentation complète parfaitement la précédente, en se focalisant par exemple plus sur l’adaptation du roman de Ken Follett, en signalant la fidélité du film au livre original, mais aussi les différences. Pierre Charpilloz évoque aussi et surtout la veine hitchcockienne qui parcourt le scénario de L’Arme à l’oeil, présente aussi dans la mise en scène efficace de Richard Marquand, jusque dans la musique de Miklós Rózsa.
Mentionnée dans l’interview de Pierre Charpilloz, l’éditeur nous propose de découvrir la scène finale alternative (supprimée dans la version remastérisée en HD), un « happy-end » ajouté lors de la sortie européenne de L’Arme à l’oeil (3’). Difficile d’en révéler la teneur si vous n’avez pas vu le film, disons simplement qu’elle prolonge le dénouement connu de quelques secondes seulement, sans forcément le changer radicalement. Bonus disponible en français et en anglais (non sous-titré).
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
D’une propreté quasi-absolue, l’image met en valeur la superbe photo d’Alan Hume et offre un rendu élégant des séquences en extérieur, avec un relief appréciable. Si la définition n’est pas optimale avec quelques très légers fourmillements constatés ainsi que des visages tirant sensiblement sur le rosé dans les scènes diurnes, on apprécie le niveau des détails, l’affûtage suffisant du piqué, le grain cinéma respecté (parfois aléatoire il est vrai, selon la luminosité) et la richesse des contrastes. On attendait peut-être des noirs un peu plus fermes. Clair et net, ce Blu-ray de L’Arme à l’oeil offre une deuxième jeunesse bien méritée au film de Richard Marquand.
Les mixages anglais et français DTS-HD Master Audio Mono sont propres et distillent parfaitement la musique de Miklós Rózsa. La piste anglaise (avec les sous-titres français non imposés) est la plus équilibrée du lot avec une homogénéité entre les dialogues et les bruitages. Au jeu des différences, la version française (au doublage excellent avec Bernard Woringer et Jacques Richard ) s’avère sensiblement plus couverte. Mais c’est vraiment chipoter.