UNE ANGLAISE ROMANTIQUE (The Romantic Englishwoman) réalisé par Joseph Losey, disponible en DVD et Blu-ray le 24 février 2021 chez BQHL Editions.
Acteurs : Glenda Jackson, Michael Caine, Helmut Berger, Michael Lonsdale, Béatrice Romand, Kate Nelligan, Nathalie Delon, Reinhard Kolldehoff…
Scénario : Tom Stoppard & Thomas Wiseman, d’après la pièce de ce dernier.
Photographie : Gerry Fisher
Musique : Richard Hartley
Durée : 1h52
Date de sortie initiale : 1975
LE FILM
Épouse de Lewis Fielding, un romancier à succès, Elizabeth Fielding s’accorde un séjour thermal à Baden-Baden. Si elle y fait la connaissance de Thomas Hursa, gigolo et convoyeur de drogue qui se prétend poète, elle ne s’attend pas à ce qu’il réapparaisse à son retour en Angleterre. Quelle n’est également pas sa surprise de voir son mari l’accueillir à leur domicile et même l’engager en tant qu’assistant. À la fois soupçonneux et manipulateur, Lewis Fielding observe sa femme se jeter dans les bras de son nouvel « ami », curieux de l’issue de cette relation.
Quand il entreprend Une Anglaise romantique – The Romantic Englishwoman, Joseph Losey (1909-1984) a déjà l’ensemble de sa longue, prolifique et éclectique carrière derrière lui. Le cinéaste américain qui possède assurément l’une des filmographies les plus impressionnantes de toute l’histoire du cinéma comptait parmi ses œuvres les plus célèbres Le Garçon aux cheveux verts (1948) avec Dean Stockwell encore tout gamin dans le rôle-titre, Le Rôdeur – The Prowler (1951) ou bien encore M (1951), le formidable remake du chef d’oeuvre de Fritz Lang, Accident (1967), Grand prix du jury au Festival de Cannes en 1967, Le Messager (Palme d’or en 1971), sans oublier bien sûr Eva (1962), Les Damnés en 1963 (un des meilleurs épisodes de la Hammer !), The Servant (1963) et Cérémonie secrète (1968). S’il entame pour ainsi dire sa dernière décennie consacrée au septième art, Joseph Losey ne se reposera jamais sur ses lauriers et enchaînera quelques-uns de ses opus les plus illustres comme l’exceptionnel Deux hommes en fuite – Figures in a Landscape (1970) avec Robert Shaw et Malcolm McDowell, deux films avec Alain Delon (L’Assassinat de Trotsky et Monsieur Klein), le sublime Maison de poupée – A Doll’s House (1973) avec Jane Fonda et Delphine Seyrig, jusqu’à l’adaptation cinématographique de l’opéra Don Giovanni de Mozart et da Ponte, tournée entièrement en décors naturels. Au milieu de tous ces grands classiques, se cache Une Anglaise romantique, qui condense pourtant les thèmes et obsessions (la lutte des classes, le rapport dominant-dominé, la tension sexuelle), les motifs (les miroirs omniprésents comme chez Fassbinder) de Joseph Losey et que l’on pourrait rapprocher entre autres de Maison de poupée. Quand le mensonge, la suspicion, le doute, la frustration s’insinuent au sein d’un couple, il est déjà trop tard. Sur un scénario coécrit par Tom Stoppard (Brazil de Terry Gilliam, Indiana Jones et la Dernière croisade de Steven Spielberg), et Thomas Wiseman, d’après le roman du second, Une Anglaise romantique observe non seulement ses trois protagonistes principaux, interprétés par Michael Caine, Glenda Jackson et Helmut Berger, en train de jouer entre eux aux faux-semblants et à la bienséance feinte, mais pose également le spectateur en tant que témoin de ce jeu de dupes, où l’on sent que les conventions bourgeoises britanniques sont sur le point de voler en éclats à n’importe quel moment. C’est du grand art, un exemple de mise en scène, de narration et de direction d’acteurs. The Romantic Englishwoman est un drame passionnel et psychologique virtuose où les genres semblent s’affronter, se contredire, pour mieux perdre à la fois ses personnages et une audience alors malmenée dans ses attentes, mais toujours impliquée.
Dans sa confortable maison bourgeoise de Weybridge, Elizabeth Fielding s’ennuie auprès de son mari Lewis, romancier à succès, et de leur jeune fils David. Elle quitte l’Angleterre pour passer quelques jours de vacances dans un hôtel luxueux de Baden-Baden. Elle y rencontre Thomas Hursa, arrivé par le même train. En allant vers sa chambre, Thomas assiste à l’arrestation d’un inconnu. Il cache aussitôt sur le toit une livraison de drogue qu’il doit confier à Swan, un autre trafiquant. Loin de là, Lewis travaille à un scénario sur une femme insatisfaite qui quitte son mari. Dans les fantasmes de l’écrivain, le personnage de fiction a pris les traits de son épouse. Tandis qu’Elizabeth et Thomas bavardent dans un ascenseur, Lewis imagine une scène d’amour dans un décor similaire. La pluie détruit la drogue cachée sur le toit. Thomas prend peur en apprenant l’arrivée de Swan. Après le retour d’Elizabeth, Lewis reçoit une lettre de Thomas, qui se fait passer pour un poète admirateur du romancier. Le trafiquant arrive un après-midi, à l’heure du thé. Il réussit à se faire inviter, puis s’incruste. Sa présence provoque d’abord le renvoi de Catherine, jeune fille au pair qu’Elizabeth considérait déjà comme une rivale.
Avec Une Anglaise romantique, Joseph Losey prend un malin plaisir à jouer constamment avec l’empathie des spectateurs pour Elizabeth, Lewis et Thomas. Tour à tour, on a de la compassion pour cette femme qui s’ennuie dans son monde qui s’apparente à un paysage enfermé dans une boule à neige, mais qui en même temps n’hésite pas à abandonner son époux et même son jeune fils pour partir avec un jeune type qu’elle connaît à peine. Même chose pour Lewis, dont on ne doute pas une seule seconde de l’amour qu’il porte à son épouse, mais qui ne peut pas s’empêcher d’inviter celui qu’il soupçonne d’être l’amant de celel-ci, non seulement pour éclaircir ce qui s’est réellement passé à Baden-Baden, mais aussi pour s’inspirer de la situation pour son prochain roman, puisqu’il était en manque d’inspiration. Quant à Thomas, si sa situation de gigolo fait qu’il n’hésite pas à vouloir torpiller le couple et la famille d’Elizabeth pour mieux profiter de sa situation financière, le fait qu’il soit poursuivi par quelques sbires (dont un Michael Lonsdale inattendu), le rend malgré tout attachant, car fragile. Ce triangle « amoureux » s’oppose, se cherche, s’observe continuellement, tout en conservant une stature, un maintien, une position que leur milieu aisé leur impose depuis toujours. Après tout, quand Lewis demande à sa femme « Es-tu satisfaite ? », celle-ci lui répond tout de go « J’aimerais bien, mais je n’en ai pas le droit ».
Joseph Losey se penche sur le fantasme, celui d’une femme qui s’ennuie dans sa vie, celui du gigolo qui rêve de trouver la perle rare qui pourra l’entretenir définitivement, celui de l’écrivain qui exploite les circonstances, afin de nourrir son livre en cours. Le cinéaste s’empare de l’immense demeure principale, pour en faire un labyrinthe géant, dans lequel il analyserait le comportement ses protagonistes tel un entomologiste. Le directeur de la photographie Gerry Fisher (À bout de course de Sidney Lumet, Highlander de Russell Mulcahy et complice de Joseph Losey depuis Accident) souligne l’aspect carte postale de Baden-Baden comme s’il s’agissait déjà d’un fantasme de Lewis, à la fois suspicieux, et à la fois ambigu lui-même avec la jeune fille au pair (Béatrice Romand).
Enfin, au-delà de son propos passionnant, de son rythme lent, mais maîtrisé et surtout implacable, Une Anglaise romantique vaut bien évidemment pour la confrontation Glenda Jackson (lauréate à deux reprises de l’Oscar de la meilleure actrice pour Love de Ken Russell et Une maîtresse dans les bras, une femme sur le dos de Melvin Frank), Michael Caine (la même année que L’Homme qui voulut être roi – The Man who would be king de John Huston) et Helmut Berger (juste après Violence et Passion de Luchino Visconti), tous les trois superbes, énigmatiques, dépassés par les événements et surtout par leurs sentiments qui les conduisent à franchir le point de non-retour, jusqu’au dénouement diaboliquement ironique et pessimiste. Méconnu, mais suprêmement élégant.
LE BLU-RAY
Les films de Joseph Losey connaissent un véritable regain d’intérêt depuis quinze ans. Un an après Les Damnés, Une anglaise romantique connaît enfin une sortie dans nos contrées en DVD et en Blu-ray et c’est chez BQHL que ce bijou sous-estimé dans la carrière du réalisateur américain débarque en France. Très beau visuel. Le menu principal est animé et musical.
L’éditeur est allé à la rencontre d’Eddy Matalon (30’), coproducteur d’Une anglaise romantique, réalisateur du Chien fou (1966), Une si gentille petite fille (1977) et de Prends ton passe-montagne, on va à la plage (1983). Du haut de ses 86 ans, Eddy Matalon partage ses nombreux souvenirs liés à la mise en route, au tournage et à la sortie d’Une anglaise romantique (notamment la présentation du film au Festival de Cannes, hors-compétition). Il explique comment il est arrivé sur ce projet, sa rencontre avec Joseph Losey (qu’il admirait, « un grand nom du cinéma »), revient en détails sur les personnages du film, leurs rapports (« troubles et bizarres ») et leurs motivations, tout en évoquant le casting du film (« Glenda Jackson, douce et chaleureuse, Michael Caine, simple, drôle, blagueur et expansif, Helmut Berger, sympathique, étrange et imprévisible »). Eddy Matalon déclare que « Joseph Losey n’a jamais eu de grands succès au cinéma contrairement à ce que l’on pourrait croire, mais était très souvent soutenu par la critique ». On apprend également que Joseph Losey avait jeté son dévolu sur la très jeune Isabelle Adjani, qu’il voulait absolument pour interpréter le personnage de la jeune fille au pair. Alors que la jeune comédienne était alors sur le point de rompre son contrat avec la Comédie-Française, Eddy Matalon parvient à l’en empêcher de peur qu’elle le regrette plus tard. Le rôle sera finalement tenu par Béatrice Romand, que Joseph Losey avait vu dans Le Genou de Claire et L’Amour l’après-midi d’Éric Rohmer. Enfin, Eddy Matalon s’attarde sur les thèmes récurrents dans la carrière de Joseph Losey, « des films qui s’adressent à une clientèle sélective », avant d’indiquer que le rêve du cinéaste était d’adapter A la recherche du temps perdu de Marcel Proust.
L’Image et le son
BQHL reprend visiblement le même master HD disponible chez Kino Lorber depuis une dizaine d’années. Une restauration évidente, même si aujourd’hui quelque peu dépassée et qui contient encore quelques failles, à l’instar de rayures verticales encore visibles, de légères sautes d’image, ainsi que diverses scories intervenant principalement dans les dix dernières minutes du film, dès l’apparition de Michael Lonsdale. Néanmoins, ce Blu-ray ne manque pas de charme et encore moins d’attraits. La gestion des contrastes est solide, le relief et le piqué certains, les textures palpables, le grain argentique présent (pas de DNR à l’horizon) et les détails on ne peut plus plaisants. Très belle colorimétrie également, aussi bien sur les teintes froides représentant Baden-Baden, que chaleureuses dans la dernière partie avec pour apogée l’hôtel de luxe baignant dans le bleu étincelant de la Riviera. Le disque est au format 1080p.
Pas de Haute-Définition sur les options acoustiques. En anglais comme en français, les pistes sont présentées en LPCM 2.0. les sous-titres ne sont pas imposés sur la version originale. Au jeu des comparaisons, la piste anglaise s’en tire bien mieux avec une dynamique nettement plus avancée (même si elle frôle parfois la saturation), des dialogues plus puissants et réalistes, tandis que la langue de Molière manque de punch. De très légers craquements sur la VO à deux ou trois reprises.