LA MORT REMONTE À HIER SOIR (La Morte risale a ieri sera) réalisé par Duccio Tessari, disponible le 31 octobre 2023 en DVD et Combo Blu-ray + DVD chez Elephant Films.
Acteurs : Raf Vallone, Frank Wolff, Gabriele Tinti, Gillian Bray, Eva Renzi, Gigi Rizzi, Beryl Cunningham, Checco Rissone…
Scénario : Biagio Proietti, Duccio Tessari & Artur Brauner, d’après le roman de Giorgio Scerbanenco
Photographie : Lamberto Caimi
Musique : Gianni Ferrio
Durée : 1h38
Année de sortie : 1970
LE FILM
Un inspecteur de la police enquête sur la disparition d’une jeune femme de 25 ans, fille d’un veuf solitaire. Lorsqu’elle est retrouvée morte, une course contre la montre commence : le policier doit résoudre le crime avant que le père de la jeune femme se fasse justice lui-même…
À l’occasion de la sortie dans les bacs d’Un papillon aux ailes ensanglantées, Zorro et Le Retour de Ringo, nous n’avons eu de cesse de mettre en valeur le travail et le talent du réalisateur Duccio Tessari (1926-1994). Également le metteur en scène du formidable Mort ou vif… de préférence mort – Vivi o preferibilmente morti, western bourré d’humour avec le fabuleux tandem Giuliano Gemma / Nino Benvenuti, il demeure aussi celui d’un polar sombre et violent avec Alain Delon, Les Grands Fusils, plus connu sous le titre Big Guns (1973). Méconnu et tout aussi percutant, La Mort remonte à hier soir – La Morte risale a ieri sera (1970) s’inscrit dans le Poliziottesco et repose sur un scénario virtuose que le cinéaste coécrit avec Biagio Proietti (Le Chat noir de Lucio Fulci, L’Assassin a réservé 9 fauteuils de Giuseppe Bennati), d’après le roman Les Milanais tuent le samedi – I milanesi ammazzano al sabato de Giorgio Scerbanenco, issu de la saga Duca Lamberti qui comporte quatre enquêtes. Le rôle de ce personnage emblématique de l’autre côté des Alpes est confié à l’excellent et imposant Frank Wolff, acteur américain et caméléon, dont la filmographie se compose d’oeuvres chéries par les cinéphiles comme Milan calibre 9 de Fernando Di Leo, Metello de Mauro Bolognini, La Mort marche en talons hauts de Luciano Ercoli, Le Grand Silence de Sergio Corbucci, Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, Salvatore Giuliano de Francesco Rosi et Tuez-les tous… et revenez seul ! – Ammazzali tutti e torna solo d’Enzo G. Castellari. La Mort remonte à hier soir sera l’un de ses derniers films, avant son suicide l’année suivante à l’âge de 43 ans. Foncièrement dépressif, ce qui le poussera à se trancher la gorge pour en finir avec son mal-être, Frank Wolff traîne un spleen évident dans La Morte risale a ieri sera et campe un superbe commissaire Lamberti, vieux briscard aux méthodes anciennes, quelque peu dépassé par les événements, mais qui croit encore en la justice de son pays. L’enquête menée est passionnante du début à la fin, pleine de rebondissement et laisse une belle place à la psychologie des personnages, en particulier celui d’Amanzio Berzaghi, merveilleusement interprété par le légendaire Raf Vallone (L’Empire du Grec, Rosebud, Le Cid, Le Christ interdit), bouleversant. Un très bon cru qui reste longtemps en tête.
Jeune femme de 25 ans atteinte de problèmes psychiques graves et restée dans son esprit une enfant, Donatella Berzaghi disparaît à l’improviste sans laisser de traces. Son père Amanzio s’inquiète immédiatement et sollicite l’aide du commissaire Duca Lamberti qui, habitué aux fugues de quelques heures ou de quelques jours, ne s’alarme pas plus que cela dans un premier temps et refuse d’enquêter sur cette disparition. Un mois après, toujours sans nouvelles d’elle, Amanzio réussit à le convaincre de mener une enquête avec son collègue, le brigadier Mascaranti. Leurs recherches les mènent droit à un réseau de prostitution qu’ils tentent de démanteler depuis longtemps. Il est notoire qu’au sein de ladite filière, de jeunes femmes se font kidnapper, droguer, puis sont ensuite forcées à vendre leur corps une fois battues puis accoutumées à la drogue. Mais ils doivent prouver ce qui se déroule dans ces maisons closes. La seule solution est alors d’infiltrer incognito tous les bordels de Milan afin de mener une enquête approfondie de l’intérieur avec l’aide d’une prostituée noire et d’un ancien proxénète. Mais ils retrouvent aussitôt le corps calciné de Donatella dans un champ. Les deux inspecteurs se lancent sur les traces des meurtriers tandis que Amanzio Berzhagi préfère rendre justice à sa manière…
C’est du solide, c’est carré, prenant, triste, brutal, sans concession et pourtant jamais dénué d’humour à l’instar de l’association Lamberti – Mascaranti, le second joué par Gabriele Tinti (Emanuelle et les derniers cannibales, La Maison de l’exorcisme, Tropique du cancer, La Saignée), le premier former sa plus jeune recrue, avant de prendre une retraite bien méritée et dont le gag récurrent du « Tu devrais aller chez le coiffeur Mascaranti » fonctionne aussi bien que l’alchimie entre les deux acteurs. Une petite bouffée d’air frais, car l’histoire de La Mort remonte à hier soir n’a rien de drôle et met en relief la monstruosité de l’âme humaine, le crime pouvant survenir n’importe où, y compris sur votre propre palier. Sur des dialogues qui font l’effet de coups de poing à l’estomac, on suit la progression des investigations de Lamberti et de ses hommes, mais aussi celles de Berzaghi, qui n’ayant plus rien au monde décide de foncer tête baissée pour retrouver celui ou ceux qui ont kidnappé sa fille Donatella, handicapée qui l’a fait stagner à 2 ans d’âge mental, nymphomane, que ses ravisseurs ont utilisé comme prostituée, avant de la brûler vive.
Duccio Tessari ne joue pas sur les images crues ou gratuites, mais privilégie l’émotion et donc l’empathie avec ceux qui se confrontent dans cette enquête macabre, ce qui fait d’ailleurs rudement penser à une enquête de Maigret auquel on peut comparer Duca Lamberti. Chose amusante, Bruno Cremer, qui interprétera le personnage de Simenon pendant près de quinze ans, avait déjà prêter ses traits à Lamberti dans Cran d’arrêt d’Yves Boisset en 1970. Ainsi, il est difficile de rester de marbre quand Amanzio Berzaghi découvre un objet ayant appartenu à sa fille dans un camion de poubelles, élément qui le poussera toujours un peu plus à retrouver les assassins de Donatella.
Remarquable poliziottesco, porté par un montage nerveux de Mario Morra (Cinema Paradiso, Le Professeur, Je suis vivant !, Les Sorcières du bord du lac, Queimada) et mis en relief par une photographie léchée de Lamberto Caimi (La Guerre des gangs, Venez donc prendre le café chez nous), ainsi que par la partition jazz du fidèle Gianni Ferrio, La Morte risale a ieri sera, grand succès en Italie avec près de 2 millions d’entrées, demeure une valeur sûre et mérite d’être réhabilité.
LE BLU-RAY
La Mort remonte à hier soir apparaît dans les bacs en DVD, en Combo Blu-ray + DVD, ainsi qu’en Blu-ray + DVD – Boîtier métal Futurepak limité chez Elephant Films ! Ces éditions sont chaque fois accompagnées d’un livret concocté par le spécialiste Alain Petit, dans lequel ce dernier aborde les trois films de cette nouvelle vague dite « Les Années de plomb », composée de Technique d’un meurtre, La Mort remonte à hier soir et La Guerre des gangs. Le menu principal est fixe et musical.
Cette fois encore, l’éditeur est allé à la rencontre de Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (23’). Les auteurs de Mario Bava – Le magicien des couleurs (Ed. Lobster Films, 2019), lecteurs assidus de Mad Movies et passionnés par les films d’épouvante, le sont aussi du cinéma italien d’exploitation et présentent cette fois La Mort remonte à hier soir. Ils replacent le film de Duccio Tessari dans la carrière de ce dernier (« très mal considéré par la critique »), en parlant aussi des partis-pris, de l’adaptation du roman de Giorgio Scerbanenco, de l’utilisation étonnante de la musique et du casting.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
Le master HD présenté semble avoir quelques heures de vol. Néanmoins, la restauration semble avoir été réalisée à partir du négatif 35mm et demeure satisfaisante. Les couleurs sont soignées, les détails des costumes sont éloquents, les teintes rouges et brunes sont percutantes, la carnation est naturelle. La texture argentique est quant à elle préservée et bien gérée (même si certains plans apparaissent étonnamment lissés), les gros plans ne manquent pas détails. Seuls les noirs sont de temps en temps bouchés, sans pour autant poser problème. La copie est aussi propre et éclatante.
Propre et dynamique, le mixage italien DTS HD Master Audio Mono 2.0 ne fait pas d’esbroufe, mais peine parfois à restituer parfaitement les dialogues, laissant en revanche une belle place à la musique de Gianni Ferrio. A titre de comparaison avec la VF (parfois grinçante), elle demeure moins dynamique. La piste anglaise reste elle aussi trop axée sur le report des voix. Les sous-titres anglais et français sont disponibles, mais non imposés. Notons qu’une scène issue du montage international passe automatiquement en langue anglaise.