FAUT PAS JOUER AVEC LES VIERGES (Zenabel) réalisé par Ruggero Deodato, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Lucretia Love, John Ireland, Lionel Stander, Nicola Mauro Parenti, Fiorenzo Fiorentini, Elisa Mainardi, Luigi Leoni, Ignazio Leone…
Scénario : Gino Capone, Ruggero Deodato & Antonio Racioppi
Photographie : Roberto Reale
Musique : Bruno Nicolai
Durée : 1h28
Date de sortie initiale : 1969
LE FILM
Une jeune femme nommée Zenabel découvre que son père a été un riche Espagnol tué par l’impitoyable don Alonso qui lui a volé son titre de noblesse. Elle décide alors de réunir ses amis pour réclamer son titre et combattre l’imposteur.
Zenabel – Davanti a lei tremavano tutti gli uomini ou plus connu en France sous le titre Faut pas jouer avec les vierges, est le sixième long-métrage réalisé par Ruggero Deodato (né en 1939). Agé de 29 ans, le jeune homme affichait alors un palmarès impressionnant en tant qu’assistant-réalisateur auprès de Roberto Rossellini, Sergio Corbucci, Antonio Margheriti, Riccardo Freda et Mauro Bolognini. Un C.V. spectaculaire qui a permis à Ruggero Deodato de passer lui-même derrière la caméra pour Gungala, la panthère nue – Gungala la pantera nuda, en remplacement de Romano Ferrara. Utilisant à cette époque le pseudo de Roger Rockfeller, Ruggero Deodato fait preuve d’un réel savoir-faire derrière la caméra pour Zenabel, comme il le fera pour ses six longs-métrages mis en scène en l’espace d’à peine deux ans, dont Phénoménal et le trésor de Toutânkhamon – Fenomenal e il tesoro di Tutankamen. Si l’on devait résumer Zenabel en un mot, ce serait bordélique. Mais n’y voyez rien de péjoratif, bien au contraire, car l’oeuvre de Ruggero Deodato transpire d’amour pour le cinéma et le divertissement populaire. Si « tous les hommes tremblaient devant elle » comme l’indique le sous-titre original, les spectateurs se laisseront volontiers embarquer aux côtés de cette héroïne aux cheveux flamboyants, interprétée par Lucretia Love (L’Assassin a réservé 9 fauteuils de Giuseppe Bennati, Les Amazones font l’amour et la guerre d’Alfonson Brescia), bad-ass, sexy et qui en fait voir de toutes les couleurs à la gent masculine.
En 1627, dans l’Espagne du Siècle d’or, la jeune Zenabel apprend de son père mourant qu’elle est en réalité une fille adoptée. Ses vrais parents, le duc et la duchesse de Valle Stretta, furent assassinés alors qu’elle était encore un bébé. Le responsable de ce double meurtre, don Alonso y Moira, un baron sans foi ni loi, est depuis devenu le maître des lieux, faisant régner la terreur dans le duché. Désormais, Zenabel va tout mettre en oeuvre afin de reconquérir son titre et ses biens, ainsi que venger la mort de ses parents. Sa quête sera longue et semée d’embûches…
Certains spectateurs coquins connaissent peut-être Zenabel sous son autre titre français, Mieux vaut un homme aujourd’hui qu’un cheval demain, tandis que les pervers pépères auront sans doute vu une version remontée avec des inserts pornographiques et érotiques (tournés par Claude Pierson, le réalisateur de Candides salopes, Partouzes suédoises et Jeunes filles pour partouzes) intitulée La Furie du désir ou bien encore Viens, j’aime ça ! Mais bien sûr la version de Ruggero Deodato ne comprenait pas ces séquences explicites. Son Zenabel est un pur délire, féministe avant l’heure, mené tambours battants, aussi amusant que séduisant. Bien avant Cannibal Holocaust, le cinéaste se déchaîne derrière la caméra et compile les morceaux de bravoure durant 88 minutes, où l’action ne s’arrête pour ainsi dire pas une seule seconde. Le générique donne le ton avec de magnifiques jeunes femmes filmées au ralenti, l’eau des cascades sous lesquelles elles barbotent coulant sur leurs généreuses poitrines. Nous sommes bel et bien en plein cinéma d’exploitation transalpin, et nous aurons l’occasion de se rincer l’oeil à plusieurs reprises au fil de Zenabel. Des voyeurs qui vont être pris en flagrant délit par des femmes qui déclarent vouloir être respectées (« ce sera comme nous le voulons ou ce sera sans nous »), des bastons, une fête des vierges, du burlesque, de l’érotisme, on en prend plein les mirettes.
Le scénario écrit par Gino Capone (Magnum Cop de Stelvio Massi, La Zézette plaît aux marins de Michele Massimo Tarantini, Blue Tornado d’Antonio Bido, Conquest de Lucio Fulci), Antonio Racioppi (Le Couvent en chaleur de Giuseppe Vari) et Ruggero Deodato déborde un peu de partout, mais mieux vaut trop que pas assez et la plupart des spectateurs auront ainsi le choix dans ce qu’on leur propose, en prenant ce qu’ils ont envie sur le moment. Les autres atouts de Zenabel sont la beauté de la lumineuse photographie de Roberto Reale, celle de la musique de Bruno Nicolai et surtout la présence au générique des « tronches » de John Ireland (Incubus, Perversion Story, Les 55 jours de Pékin, Spartacus) ici dans la peau de Don Alonso Imolne, et Lionel Stander (Pour l’amour du risque, New York, New York, Cul-de-sac), qui participent à la réussite du film, ainsi qu’à son étrangeté, qui rappelle parfois le diptyque de Mario Monicelli avec Vittorio Gassman, L’Armée Brancaleone – L’Armata Brancaleone (1966) et Brancaleone s’en va-t-aux croisades – Brancaleone alle crociate (1970). Les décors sont sympathiques, les images colorées, les costumes soignés, le personnage principal bien campé par une Lucretia Love bondissante et charismatique, mariée à l’époque au producteur Mauro Parenti, qui avait déjà financé Phénoménal et le trésor de Toutânkhamon l’année précédente. Toujours est-il que Zenabel est une comédie de cape d’épée légère et insouciante, destinée à un public complice et qui fait toujours son petit effet plus d’un demi-siècle après sa sortie.
LE BLU-RAY
Édition limitée à 1000 exemplaires pour Zenabel, qui se refait une beauté chez Le Chat qui fume, à travers une splendide édition Digipack à trois volets, glissé dans un fourreau cartonné au visuel élégant. Menu principal animé et musical.
Nous commencerons pas le module sobrement intitulé Zenabel (32’), qui donne la parole à monsieur Philippe Chouvel, journaliste chez Psychovision, que nous avions déjà eu le plaisir de croiser sur l’interactivité de La Soeur d’Ursula et celle d’A la recherche du plaisir (sortis chez Le Chat qui fume). L’auteur de l’excellent Claude Mulot : cinéaste écorché (Nitrate) propose un très large tour d’horizon de la vie et la carrière de Ruggero Deodato, doublé bien sûr d’un focus particulier sur Zenabel. Un bonus qui se déguste du début à la fin tant on en apprend (il faut voir la tonne de notes prises durant le visionnage) sur les rencontres déterminantes de Ruggero Deodato, sur son travail colossal en tant qu’assistant-réalisateur (y compris de Roberto Rossellini) et plus tard dans la publicité, ses collaborations diverses, son boulot pour la télévision, ses débuts comme metteur en scène…puis arrive Zenabel, sur lequel Philippe Chouvel s’attarde donc un peu plus, donnant de très nombreuses informations sur le tournage, le casting, les conditions de prises de vue, la musique de Bruno Nicolai, croisant à la fois le fond et la forme, indiquant que le film ne connaîtra aucun succès dans les salles, la sortie coïncidant malheureusement avec l’attentat de la Piazza Fontana, dans le centre de Milan, le 12 décembre 1969, qui allait ébranler toute l’Italie. La sortie française et ses titres abracadabrants sont également évoqués, ainsi que la version remontée avec des inserts pornographiques. Puis, retour sur la filmographie de Ruggero Deodato avec évidemment un détour par ses films gore, dont Cannibal Holocaust.
Nous parlions précédemment des inserts pornographiques réalisés pour l’une des sorties françaises de Zenabel. Le Chat qui fume est fier de présenter ces ajouts classés X et érotiques à travers un montage de près de vingt minutes (en musique). Régalez-vous !
Place ensuite au réalisateur Ruggero Deodato à travers deux modules. Le premier lui donne la parole dans le segment intitulé Le Pouvoir des filles (19’). Le cinéaste retrace à la fois les grandes étapes de sa vie et de son début de sa carrière, en revenant sur son apprentissage auprès de grands noms du cinéma italien, où il officiait comme assistant, avant d’en venir à ses premiers longs-métrages à la fin des années 1960, dont Gungala, la panthère nue, dont nous avons déjà parlé à travers nos chroniques. Deodato nous parle successivement des conditions de tournage de Zenabel (« très plaisant à tourner, un film que j’ai fait avec beaucoup d’amour »), du casting, des décors, de la musique, de la sortie quelque peu avortée en raison de l’attentat de la Piazza Fontana à Milan, des inserts (« horribles ») classés X et érotiques dans certains pays.
On garde le plus gros bonus pour la fin, en l’occurrence le documentaire Deodato Holocaust (1h11 !), réalisé en 2019 par Felipe M. Guerra, qui cette fois encore propose un retour exhaustif sur la vie et la carrière du réalisateur italien controversé Ruggero Deodato. Ce dernier intervient face caméra pour le plus grand plaisir de ses fans. On en ressort avec une envie folle de se faire l’intégrale de ses films, le documentaire en proposant moult extraits. Ruggero Deodato aborde, dissèque, rit et même s’emporte en évoquant certains films et sujets, ayant parfois du mal à comprendre son succès dans les conventions et festivals, surtout auprès des amateurs de gore, genre qu’il a toujours détesté. Forcément, de nombreux éléments apparaîtront redondants pour celles et ceux qui auront visionné les suppléments précédents, mais dans l’ensemble, ce Deodato Holocaust les complète et va même plus loin, avec encore plus de souvenirs de tournage. Bref, un documentaire immanquable, comme l’est par ailleurs cette sublime édition de Zenabel.
L’Image et le son
Le catalogue du Chat qui fume s’enrichit ainsi avec cette édition de Zenabel, qui se revêt d’un très beau master HD restauré 4K à partir de l’interpositif français. La photo et les partis pris esthétiques originaux sont superbement conservés, les contrastes certes un peu légers, mais les couleurs pastel sont resplendissantes et lumineuses (explosions des teintes bleues, rouges et vertes), avec un générique qui affiche d’emblée une stabilité bienvenue. La définition ne déçoit jamais (à part sur un ou deux plans peut-être), les poussières n’ont pas survécu au lifting numérique, les scènes sombres et nocturnes sont logées à la même enseigne que les séquences diurnes, la profondeur de champ est appréciable, le grain cinéma est conservé, et le piqué demeure vraiment agréable.
L’éditeur nous propose ici seulement les versions italienne et française. Les mixages s’avèrent propres, dynamiques, et restituent solidement les voix, fluides, sans souffle. Le confort acoustique est largement assuré dans les deux cas avec d’impressionnantes envolées musicales sur la piste originale. Sans surprise, celle-ci est plus riche que la version française. Les sous-titres anglais sont aussi disponibles.