Test Blu-ray / Adorables créatures, réalisé par Christian-Jaque

ADORABLES CRÉATURES réalisé par Christian-Jaque, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 28 octobre 2022 chez Coin de Mire Cinéma.

Acteurs : Martine Carol, Danielle Darrieux, Renée Faure, Edwige Feuillère, Daniel Gélin, Antonella Lualdi, Georges Chamarat, Marie Glory, Marilyn Bufferd, Louis Seigner, Jean-Marc Tennberg, Daniel Lecourtois…

Scénario : Charles Spaak, Jacques Companéez & Christian-Jaque

Photographie : Christian Matras

Musique : Georges Van Parys

Durée : 1h49

Date de sortie initiale : 1952

LE FILM

André Noblet a vingt-trois ans. Aujourd’hui il se marie avec Catherine, une adorable créature. Ils viennent de sortir de l’église, et, dans la voiture remplie de fleurs blanches, André, éperdu de bonheur, s’écrie : « je t’aime depuis toujours, et je te le jure je n’ai jamais aimé que toi ! » « Menteur ! » murmure une voix mystérieuse. « Menteur et parjure ! » En effet, André a menti : les adorables créatures, il les a collectionnées…

En mars 2022, nous parlions de Charmants garçons (1957), réalisé par Henri Decoin, pensé comme un pendant féminin de la comédie Adorables créatures de Christian-Jaque (1904-1994), sorti cinq ans auparavant, auquel il était fait référence à la fin, en convoquant un personnage du nom d’André Noblet, héros du « premier » film. Si le metteur en scène n’est pas le même, le talentueux Charles Spaak est l’auteur des deux longs-métrages. Le scénariste du Glaive et la balance, du Dossier noir et d’Avant le déluge d’André Cayatte, de Cartouche de Philippe de Broca, de Katia de Robert Siodmak, de La Grande illusion de Jean Renoir et de Panique de Julien Duvivier s’associait pour la cinquième fois avec Christian-Jaque après avoir signé les dialogues de Sous la griffe (1935), puis les histoires de L’Assassinat du père Noël, Premier bal et D’hommes à hommes. Adorables créatures est un énorme succès en 1952, avec plus de 2,7 millions de spectateurs, année particulièrement faste, puisque pas moins de quinze longs-métrages feront entre deux et trois millions d’entrées, tandis que Le Petit Monde de Don Camillo comptera plus de douze millions de billets dès le mois de juin. Alors que Fanfan la Tulipe (du même Christian-Jaque), Les Feux de la rampe, Le Train sifflera trois fois, Jeux interdits, L’Homme tranquille, Nous sommes tous des assassins et d’autres remplissent les salles, Adorables créatures faisait aussi le plein grâce à un casting féminin de rêve, de Martine Carol à Danielle Darrieux, en passant par Renée Faure, Edwige Feuillère et Antonella Lualdi. Des actrices fantastiques qui écrasent facilement la prestation de Daniel Gélin, qui n’a jamais vraiment brillé à l’écran et dont le charisme lisse est même quelque peu moqué dès le départ à travers une succulente voix-off de Claude Dauphin. À découvrir essentiellement pour ses comédiennes en très grande forme, l’excellence des répliques et ses nombreux sous-entendus sexuels encore étonnants pour l’époque.

André Noblet, brillant dessinateur de mode, est un charmant Don Juan. Conquis par la grâce de la jeune Catherine, il est sur le point de l’épouser. Ce qui ne l’empêche pas de se remémorer ses conquêtes et aventures amoureuses successives, de coups de foudre en déceptions : Christiane, qui n’aurait tout de même pas sacrifié à une passion son compte en banque ; Minouche, de tempérament joyeux, mais qui louchait aussi sur la fortune d’un filateur important ; Denise, grande dame de beaucoup d’allure, qui exerce un mécénat intensif pour les jeunes artistes mais s’inquiète trop de son âge et de ses méfaits. Chacune de ces rencontres a forgé sa personnalité et contribué à le rendre meilleur. Nul doute que ces longues réflexions le conduiront à dresser un autre tableau de ce long passé de séducteur patenté…

Adorables créatures prend l’allure d’un film à sketches, sans en être réellement un, puisque nous suivrons le même personnage d’André Noblet, « un jeune homme gentil, mais assez court sur pattes », qu’on nous présente d’emblée comme un type qui ne paye pas de mine, mis presque nu histoire de se moquer des pectoraux qu’il n’a pas, mais qui n’en séduit pas moins une poignée de femmes. Il y a donc Christiane Bertin (Danielle Darrieux), Minouche (Martine Carol), Denise Aubusson (Edwige Feuillère) et Catherine (Antonella Lualdi) et dans une moindre mesure Alice (Renée Faure). Si la première, qui venait d’enchaîner La Vérité sur Bébé Donge d’Henri Decoin, Le Plaisir de Max Ophüls, L’Affaire Cicéron de Joseph Mankiewicz et se préparait à interpréter Madame de… de Max Ophüls est comme d’habitude exceptionnelle, la gent masculine n’aura souvent d’yeux que pour la sulfureuse Martine Carol, alors la star française la plus célèbre et la plus populaire dans le monde (avant d’être détrônée par Brigitte Bardot), qui n’hésite pas à apparaître en tenue d’Ève au détour d’une sortie de bain. L’actrice mythique de Caroline chérie tournait pour la première fois devant la caméra de Christian-Jaque, qu’elle allait épouser deux ans plus tard, et qu’elle allait retrouver pour Lucrèce Borgia (1953), Destinées (1954), Madame du Barry (1954), Nana (1955) et Nathalie (1957).

La doyenne Edwige Feuillère, âgée de 45 ans, apporte ici l’émotion dans le rôle d’une femme d’âge mûr qui entretiendra une relation avec André, faisant de lui un gigolo, quelque peu moqué par Alice, la secrétaire voleuse de Denise, incarnée par Renée Faure, la compagne du cinéaste, qui l’avait révélée en 1941 dans L’Assassinat du père Noël. Quant à la dernière, Catherine, à qui André passera la bague au doigt et qui faisait encore ses premiers pas sur grand écran, les cinéphiles reconnaîtront la délicieuse Antonella Lualdi, que l’on verra après dans le magnifique Il Capotto Le Manteau d’Alberto Lattuada, adapté de Nicolas Gogol, en Mathilde de La Môle dans Le Rouge et le Noir de Claude Autant-Lara, dans le virtuose Les Cent cavaliers I Cento Cavalieri de Vittorio Cottafavi, avant de connaître un second souffle à la télévision dans la série Les Cordier, juge et flic, dans laquelle elle campait l’épouse de Pierre Mondy.

Daniel Gélin, nouvelle vedette du cinéma français depuis les succès Rendez-vous de juillet (1949) et Édouard et Caroline (1950) de Jacques Becker a beau se démener, celui-ci se fait éclipser par ses partenaires et fait pâle figure devant l’élégance et le sex-appeal des actrices qui l’entourent. Mais Adorables créatures est une comédie de moeurs drôle et dont le charme subsiste, menée à cent à l’heure (bon d’accord, en dépôt d’un petit ventre mou au moment des sports d’hiver), brillamment écrite, solidement réalisée et élégamment photographiée par Christian Matras (Maxime, Les Espions, Lola Montès, Fanfan la Tulipe) et surtout féministe, en dépit de ce qu’ont pu dire les détracteurs contemporains du cinéaste, d’autant plus que le « héros » présenté ici n’est guère reluisant et d’ailleurs représenté comme un amant médiocre…Laissez vous donc tenter par ces Adorables créatures.

LE DIGIBOOK

Nous parlions dernièrement de Pétrus et de Martin Roumagnac, Adorables créatures est le troisième titre que nous passons en revue de la dixième vague éditée par Coin de Mire Cinéma, avec Le Ciel est à vous (1944) de Jean Grémillon, L’Air de Paris de Marcel Carné (1954), Notre Dame de Paris (1956) de Jean Delannoy, Le Meurtrier (1963) de Claude Autant-Lara et Du rififi à Paname (1965) de Denys de La Patellière ! D’après nos recherches, le film de Christian-Jaque était jusqu’ici présenté à la vente en DVD chez LCJ Editions & Productions, dans l’anthologie Les Films du Collectionneur.

L’éditeur a d’ores et déjà annoncé près de trente de titres à venir (La Table aux crevés de Henri Verneul, La Vierge du Rhin de Gilles Grangier, Tout l’or du monde de René Clair, Monsieur de Jean-Paul Le Chanois, Le Drapeau noir flotte sur la marmite de Michel Audiard, Julie pot de colle de Philippe de Broca, Le Tonnerre de Dieu de Denys de La Patellière) et même L’Homme de Rio en combo 4K UHD/Blu-ray !. Chaque titre est annoncé au tarif de 32€, disponible à la vente sur internet sur le site de l’éditeur et dans certains magasins spécialisés.

L’édition prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie de Christian-Jaque, avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction en fac-similé des matériels publicitaires et promotionnels, des photos promotionnelles, de la couverture du dossier de presse et de la revue Film Complet. Le menu principal est fixe et musical.

Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film (ici celle de Brelan d’as), puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores. Le film démarre une fois que le salut du petit Jean Mineur (Balzac 00.01).

Il se passait quoi en cette 36e semaine de l’année 1952 ? Vous ne savez pas ? Heureusement, les journaux des actualités sont là et vous résument tout cela en dix minutes ! Sur la Loire, entre Blois et Chenonceau, le grand couturier Jacques Fath présentait sa nouvelle collection aux couleurs de l’automne, tandis que le porte-avions Arromanches partait de Toulon vers l’Indochine, afin de soutenir les forces franco-vietnamiennes. Direction Caen, où le Président du Conseil (et Ministre des Finances et des Affaires économiques) Antoine Pinay, inaugurait la foire exposition, la Caisse d’Épargne, et s’exprimait sur l’inflation. À Bonn, on pleure la disparition du docteur Kurt Schumacher, chef du Parti Social Démocrate d’Allemagne Occidentale, dont les obsèques ont réuni des milliers de personnes. En Californie, la ville de Bakersville est touchée par un grave séisme. Quelques images également de la Mostra de Venise (notamment avec Erich von Stroheim) et des événements sportifs (jeep-cross, cyclisme…)…

Les réclames de l’année 1952 (8’30) promeuvent les esquimaux Miko (« un aliment sain et complet »), l’élection de Miss Philips, la bière Golden Tree (superbe publicité réalisée en animation), le détergent Pactol (« pour tous les nettoyages ménagers ! ») et le café Dessa (« le vrai moka ! »), sans oublier la sempiternelle margarine Astra.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce d’Adorables créatures et sur celles des films de la dixième vague Coin de Mire Cinéma.

L’Image et le son

Adorables créatures a subi un dépoussiérage de premier ordre. La numérisation du négatif nitrate original 35mm a été faite sur scan en 2K, la restauration de l’image et don son ayant été réalisés par le laboratoire Mikros Image. Force est de constater que nous n’avions jamais vu le film de Christian-Jaque dans de telles conditions. Les contrastes sont très appréciables, les noirs sont profonds, la palette de gris étendue. Les arrière-plans sont bien gérés, le grain original est respecté, le piqué est souvent dingue et les détails regorgent sur les visages des comédiens. Ce master très élégant permet de redécouvrir cette comédie dans une admirable qualité technique, ce qui n’était pourtant pas chose aisée, étant donné les quelques effets de montage récurrents, façon « page qui se tourne », qui ont dû donner du fil à retordre aux artistes de la restauration.

La piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. L’écoute se révèle fluide, équilibrée, limpide. Aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs, les ambiances sont précises, les dialogues sont dans l’ensemble clairs, sans souffle parasite. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.

Crédits images : © Coin de Mire Cinéma / Les Productions Jacques Roitfeld / Roger Corbeau / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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