J’AI LE DROIT DE VIVRE (You Only Live Once) réalisé par Fritz Lang, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 29 mars 2023 chez Studiocanal.
Acteurs : Sylvia Sidney, Henry Fonda, Barton MacLane, Jean Dixon, William Gargan, Jerome Cowan, Charles ‘Chic’ Sale, Margaret Hamilton, Warren Hymer, Guinn ‘Big Boy’ Williams, John Wray, Walter De Palma…
Scénario : Gene Towne & C. Graham Baker
Photographie : Leon Shamroy
Musique : Alfred Newman
Durée : 1h26
Date de sortie initiale : 1937
LE FILM
Après sa sortie de prison, Eddie Taylor ne peut profiter d’un répit. Accusé d’un braquage de banque meurtrier qu’il n’a pas commis, il est emprisonné à tort. Alors que la justice se rend compte de son erreur, Eddie Taylor s’évade. Il devient un véritable meurtrier en abattant accidentellement un aumônier. Il doit partir en cavale avec sa femme Joan et son bébé. Sa fuite éperdue se finit par sa mort, abattu par la police.
Ensemble, nous avons déjà eu l’occasion de revenir à plusieurs reprises sur les débuts et la carrière de Fritz Lang en Allemagne à travers nos chroniques sur Les Trois Lumières, Le Testament du Dr. Mabuseet M Le Maudit, ainsi que sur son passage aux États-Unis après avoir fui le nazisme, pour les sorties en Blu-ray des Pionniers de la Western Union, Espions sur la Tamise et Les Bourreaux meurent aussi. 1936, sort Furie – Fury, pamphlet sur le lynchage produit par Joseph L. Mankiewicz pour le compte de la MGM. Sur cette lancée, Fritz Lang se lance dans J’ai le droit de vivre – You Only Live Once, qui déboule sur les écrans dès l’année suivante, dans lequel le réalisateur dirige à nouveau la magnifique Sylvia Sidney, qui tenait l’affiche de son précédent long-métrage. Considéré comme le second volet d’une trilogie dite judiciaire voulue « réaliste et sociale » à laquelle viendra se greffer Casier judiciaire – You and Me, toujours avec la même comédienne, J’ai le droit de vivre est une tragédie centrée sur un couple pourchassé par la police, qui serait inspirée par l’histoire de Bonnie et Clyde. Pas étonnant que Fritz Lang donne cette impression d’inventer « le Nouvel Hollywood » trente ans avant, surtout durant la dernière partie et la violence inédite de son dénouement. Ce serait un cliché de dire que « tout Fritz Lang se trouve » dans J’ai le droit de vivre, mais puisque c’est le cas…le thème du faux coupable ou plutôt de la culpabilité est le noyau central de You Only Live Once, merveilleux film porté par un casting exceptionnel mené par le couple Henry Fonda-Sylvia Sidney, le tout sublimement photographié par Leon Shamroy, chef opérateur de Bravados d’Henry King et de La Planète des singes de Franklin J. Schaffner. Un monument intemporel.
LES TROIS LUMIÈRES (Der Müde Tod) réalisé par Fritz Lang, disponible en DVD depuis le 9 septembre 2019 chez Films sans Frontières.
Acteurs : Lil Dagover, Walter Janssen, Bernhard Goetzke, Hans Sternberg, Eduard von Winterstein, Rudolf Klein-Rogge, Karl Huszar, Paul Biensfeldt, Lewis Brody…
Scénario : Fritz Lang & Thea von Harbou
Photographie : Bruno Mondi, Erich Nitzschmann, Herrmann Saalfrank, Bruno Timm & Fritz Arno Wagner
Musique : Giuseppe Becce, Karl-Eernst Sasse & Peter Schirmann
Durée : 1h36
Date de sortie initiale: 1921
LE FILM
Un jeune couple fait halte dans une auberge. Un mystérieux voyageur, dont on murmure qu’il possède un terrain entouré d’un mur, aux abords d’un cimetière, emmène le jeune homme. Sa compagne désespérée tente de le suivre à l’intérieur de cet étrange enclos, mais ne peut y trouver une ouverture. La Mort lui apparaît alors et lui promet de lui rendre son fiancé si, transportée avec lui dans trois époques différentes, elle parvient à lui sauver la vie une fois. Voilà la jeune femme projetée à Bagdad, puis à Venise sous la Renaissance et enfin en Chine, dans le palais de l’Empereur. Mais la Mort est toujours victorieuse. La Faucheuse propose alors un second marché…
Fritz Lang (1890-1976) est considéré, à juste titre, comme l’un des plus grands cinéastes. De 1919 à 1960, il tourne en Allemagne, en France et aux États-Unis. Sa filmographie s’étend du muet jusqu’au cinéma parlant. Dès ses débuts, il introduit dans ses films un style, des techniques nouvelles et une esthétique particulière qui appartient à l’expressionnisme, courant artistique figuratif très présent en Allemagne. Surnommé le « Maître des ténèbres », il est connu pour avoir réalisé M le maudit – M, Eine Stadt sucht einen Mörder, Metropolis ou encore Le Testament du Dr. Mabuse – Das Testament des Dr. Mabuse. Fritz Lang a trente ans lorsqu’il met en scène son huitième film intitulé Les Trois Lumières – Der Müde Tod qui traite un des thèmes récurrents de sa carrière : la mort. Il s’agit de son premier grand succès critique.
LA FEMME AU GARDÉNIA (The Blue Gardenia), disponible depuis le 12 décembre 2006 en DVD chez Films sans Frontières.
Acteurs : Anne Baxter, Richard Conte, Ann Sothern, Raymond Burr, Nat « King » Cole, Jeff Donnell, Richard Erdman, George Reeves…
Scénario : Charles Hoffman, d’après une histoire originale de Vera Caspary
Photographie : Nicholas Musuraca
Musique : Raoul Kraushaar
Durée : 1h26
Année de sortie : 1953
LE FILM
Après un rendez-vous galant au cabaret le Gardénia Bleu, Norah Larkin suit son séducteur qui tente d’abuser d’elle. La jeune femme, pour se défendre, le frappe avec un tisonnier. Le lendemain, elle apprend dans la presse que son amant est mort. Casey Mayo, un célèbre chroniqueur, lui propose par voie de presse de l’aider à se défendre.
« C’est une vision particulièrement perfide de la vie américaine. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce fut mon premier film de l’après Mc Carthy et que j’ai dû le tourner en vingt jours. C’est sans doute ce qui m’a rendu si venimeux » Fritz Lang à propos de La Femme au gardénia. Pourtant, The Blue Gardenia démarre comme presque comme une comédie légère avec l’exposition des trois protagonistes principaux, Norah Larkin (Anne Baxter), Casey Mayo (Richard Conte) et Harry Prebble (Raymond Burr). Puis Fritz Lang se focalise plus précisément sur la jeune femme, que l’on découvre chez elle en compagnie de deux amies colocataires. Norah se prépare à dîner aux chandelles avec le portrait de son amoureux posé sur la table, qui ne peut être présent physiquement, car mobilisé en Corée. Résolue à l’attendre, elle vit ainsi au jour le jour, en espérant que l’homme qu’elle aime revienne au bercail le plus tôt possible. Mais une lettre lui informe qu’il ne reviendra pas vers elle, car il vient de rencontrer une infirmière, qu’il souhaite épouser. Folle de chagrin, elle décide de passer la soirée avec Prebble, un homme à femmes, avec lequel elle décide de se lâcher. La soirée est très alcoolisée et au moment où Norah se refuse finalement à lui, Prebble devient violent…Le cinéaste fait monter la tension, tout en dressant le portrait de cette standardiste anonyme, qui se retrouve dans une situation extraordinaire, où elle devient la première suspecte dans une affaire de meurtre. Si La Femme au gardénia est et restera un film mineur de Fritz Lang, ce long-métrage réalisé entre Le Démon s’éveille la nuit – Clash by Night et Règlement de comptes – The Big Heat, n’en demeure pas moins excellent, aussi bien sur la forme que sur le fond. Inspirée par une histoire de Vera Caspary (l’autrice de Laura, adapté en 1944 par Otto Preminger), voici une bonne et néanmoins méconnue leçon de mise en scène et de montage, doublée d’une très solide direction d’acteurs, par l’un des plus grands maîtres de l’histoire du cinéma.
LES PIONNIERS DE LA WESTERN UNION (Western Union) réalisé par Fritz Lang, disponible en combo Blu-ray+DVD le 15 septembre 2020 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Randolph Scott, Robert Young, Virginia Gilmore, Dean Jagger, John Carradine, Slim Summerville, Chill Wills, Barton MacLane…
Scénario : Robert Carson d’après le roman de Zane Grey
Photographie : Edward Cronjager, Allen M. Davey
Musique : David Buttolph
Durée : 1h35
Date de sortie initiale : 1941
LE FILM
Vance Shaw, un hors-la-loi, sauve Edward Creighton, pied-tendre en charge de la construction de la ligne télégraphique. Sensible à la sœur de Creighton, il abandonne la vie de brigand et se joint comme éclaireur à l’équipe. Mais les ouvriers de la ligne sont les victimes régulières et des Indiens, et des attaques de bandits menés par le propre frère de Vance. Chacun dans un camp opposé, les deux frères vont dès lors s’affronter.
Grand amateur du travail de Sigmund Freud, Friedrich Christian Anton Lang alias Fritz Lang (1890-1976) n’aura de cesse au cours de sa longue et prolifique carrière, de se pencher sur la question du meurtre, des assassins, de la culpabilité et de la vengeance. En 1933, Joseph Goebbels propose au cinéaste le poste de directeur du département cinématographique de son ministère, celui de la propagande. Fritz Lang refuse. La légende dit que le réalisateur aurait déclaré à Goebbels que sa mère était juive. Il s’enfuit en France avant de s’installer aux Etats-Unis. Furie, son premier film américain et réquisitoire contre le lynchage, montre l’engagement du réalisateur. Suivront J’ai le droit de vivre (1937), Casier judiciaire (1938) et Le Retour de Frank James (1940), son premier western. Devant le succès rencontré par cette suite de Jesse James (Henry King, 1939) aka Le Brigand bien-aimé dans nos contrées, Fritz Lang se voit proposer un nouveau western par la Fox et Darryl Francis Zanuck, ainsi qu’un budget conséquent doublé d’une lourde équipe. Ce sera Les Pionniers de la Western Union (1941) ou tout simplement Western Union en version originale. Juste avant d’entamer sa tétralogie antinazie constituée de Chasse à l’homme – Man Hunt (1941), Les Bourreaux meurent aussi – Hangmen Also Die! (1943), Espion sur la Tamise – Ministry of Fear (1944) et Cape et Poignard – Cloak and Dagger (1946), Fritz Lang continue de se faire la main au sein des studios hollywoodiens en acceptant ce western assez lambda, qui vaut essentiellement aujourd’hui pour son casting de luxe et la séquence très impressionnante de l’incendie.
LE TESTAMENT DU DR. MABUSE (Das Testament des Dr. Mabuse) réalisé par Fritz Lang, disponible le 16 avril 2019 en combo DVD/Blu-ray chez Tamasa Diffusion
Acteurs : Rudolf Klein-Rogge, Otto Wernicke, Oscar Beregi Sr., Theodor Loos, Gustav Diess, lTheo Lingen…
Scénario : Fritz Lang, Thea von Harbou d’après le roman de Norbert Jacques
Photographie : Károly Vass, Fritz Arno Wagner
Musique : Hans Erdmann
Durée : 2h01
Année de sortie : 1933
LE FILM
Devenu fou, Mabuse, le célèbre criminel, est interné dans un hôpital psychiatrique. Grâce à l’hypnose, il tient en son pouvoir Baum, le directeur de l’asile. Ainsi, il parvient à remettre sur pied une inquiétante bande de malfaiteurs, qui sera confrontée au commissaire Lohmann…
« Quand les hommes
seront dominés par la terreur, rendus fous d’épouvante, que le
chaos sera la loi suprême, l’heure de l’empire du crime sera
arrivée ».
Onze ans après Docteur Mabuse, le joueur – Doktor Mabuse, der Spieler, Fritz Lang décide de donner suite à son film en deux épisodes sorti en 1922 avec Le Testament du docteur Mabuse – Das Testament des Dr. Mabuse. 1933. Année fatidique. Le réalisateur reprend son personnage pour évoquer la situation de l’Allemagne, en particulier la montée du nazisme durant la crise économique. Les mystères sombres de l’âme humaine manipulée par l’hypnose, la corruption de la société, la manipulation des masses, le soulèvement d’un nouveau pouvoir sont au coeur du Testament du docteur Mabuse, qui sera suivi d’un ultime épisode en 1960, Le Diabolique Docteur Mabuse – Die tausend Augen von Dr Mabuse, par ailleurs le dernier film de Fritz Lang. Le cinéaste, inquiet (euphémisme) devant l’avènement d’Adolf Hitler au pouvoir, tourne donc ce nouveau Mabuse à partir d’un scénario de Thea von Harbou, son épouse, qui soutient les idées nationalistes et conservatrices (avant de soutenir publiquement le projet nazi), pensé comme « une allégorie pour montrer les procédés terroristes d’Hitler » ainsi que le décrira le réalisateur. Notons que le tournage d’une version française signée René Sti avait été réalisé en parallèle de la mouture de Fritz Lang.
Le film raconte l’histoire du Dr Mabuse qui dirige, de l’asile psychiatrique où il est interné, un gang de malfaiteurs et le docteur Baum, directeur de l’établissement, grâce à ses pouvoirs hypnotiques, tandis que le commissaire Karl Lohmann et le bandit repenti Kent tentent de démanteler le réseau.
Le personnage du Dr Mabuse renvoie directement au Surhomme prôné par Hitler, ce qui introduit ici une dimension fantastique caractérisée par l’utilisation de quelques effets spéciaux, particulièrement réussis. Le Testament du docteur Mabuse est rétrospectivement le premier film intentionnellement anti-nazi de Fritz Lang, son deuxième parlant, d’autant plus que le cinéaste n’hésite pas à reprendre certains slogans et doctrines du nazisme, pour les mettre dans la bouche du personnage éponyme et d’autres criminels. La projection du film est évidemment interdite en Allemagne en 1933 et ne sortira qu’en 1951. Pourtant, à l’avènement du Troisième Reich, Joseph Goebbels, ministre de la propagande et de l’information du régime, grand admirateur des films de Fritz Lang (comme Hitler d’ailleurs), propose au cinéaste de prendre la tête du département cinématographique de son ministère, dans le but de réaliser les films à la gloire du parti nazi. Après cette annonce qu’il décline poliment, Fritz Lang divorce de Thea von Harbou et quitte l’Allemagne pour trouver refuge à Paris, avant de s’envoler pour Hollywood.
Si comme le premier film, Le Testament du docteur Mabuse est basé sur un roman de l’écrivain luxembourgeois Norbert Jacques, Fritz Lang s’empare d’un postulat de départ pour mieux se l’accaparer et tirer un signal d’alarme quant à l’avenir de son pays, de l’Europe et même du monde entier. A travers le personnage de Mabuse, toujours incarné par l’effrayant Rudolf Klein-Rogge, le cinéaste dévoile une logique de faits réalisée dans un but cohérent, développer le crime pour susciter l’inquiétude de la population, afin de mieux la manipuler puisque rendue incapable de réflexion, figée dans l’effroi. Cette mécanique impitoyable est ainsi dépeinte par un des plus grands auteurs et formaliste de l’histoire du cinéma. Non seulement Le Testament du docteur Mabuse, plus une suite à M le Maudit qu’a DocteurMabuse le joueur dans ses thématiques (le lien étant fait avec le personnage de l’inspecteur Lohmann), est un film passionnant à analyser et à disséquer, mais c’est aussi un divertissement haut de gamme avec son intrigue policière à la serial, ainsi qu’un chef d’oeuvre absolu devant lequel le spectateur reste halluciné par la beauté des plans, la science du montage et son rythme effréné.
Aujourd’hui, Le Testament du Docteur Mabuse inspire toujours autant les cinéastes et écrivains contemporains, à commencer par M. Night Shyamalan dont le dernier film en date, Glass, rappelle parfois l’oeuvre de Fritz Lang, ainsi que Stephen King avec Fin de ronde, dernier opus de la trilogie Bill Hodges, dans lequel un criminel, pourtant immobile sur son lit d’hôpital, continue de semer la terreur en prenant possession de l’esprit d’un docteur. Inépuisable, intemporel, inaltérable.
LE BLU-RAY
Après une première édition en DVD chez Opening, le chef d’oeuvre de Fritz Lang fait son retour dans les bacs par la grande porte chez Tamasa Diffusion où il est particulièrement choyé. Ce Digipack très élégant se compose du DVD, du Blu-ray et d’un livret de 16 pages, proposant un retour sur Le Testament du docteur Mabuse, tiré d’un article publié dans La Revue du Cinéma (Hors-série, n°24). Le menu principal est fixe et bruité.
Pour accompagner Le Testament du Dr. Mabuse, Tamasa propose une intervention de Faruk Günaltay (19’). Le directeur du cinéma l’Odyssée de Strasbourg dissèque le fond et la forme du chef d’oeuvre de Fritz Lang. La production du film, le travail sur le son, le casting, la métaphore sur la nazisme, les effets de cadrage et tout un tas d’éléments sont abordés au cours de cette présentation passionnante – qui complète également les propos sur M le Maudit disponibles sur l’édition Blu-ray/DVD chez Tamasa – durant laquelle quelques séquences sont également analysées.
L’Image et le son
La restauration impressionne très souvent. Le master est issu d’un scan 2K mis entre les mains expertes des magiciens de L’Immagine Ritrovata de Bologne et le Blu-ray ici présent est au format 1080p. Le gros point fort de cette édition est la restitution des nombreux gros plans, surtout et essentiellement durant les scènes très éclairées. Le piqué est dingue, la propreté indéniable (même si quelques points blancs subsistent), les détails confondants. C’est forcément plus aléatoire sur les séquences sombres avec une définition sensiblement chancelante, mais la qualité reste au rendez-vous du début à la fin avec un grain cinéma tout ce qu’il y a de plus flatteur.
Comme sur M le Maudit, la bande-son allemande sous-titrée en français respecte l’idée originale de Fritz Lang avec des contrastes saisissants entre les scènes sonores et muettes. Un souffle chronique est inhérent à l’âge du film, mais ne dérange pas l’écoute. Le mixage est propre, équilibré, les bruitages précis, les dialogues sensiblement pincés, mais intelligibles.
M LE MAUDIT (M) réalisé par Fritz Lang, disponible le 16 avril 2019 en combo DVD/Blu-ray chez Tamasa Diffusion
Acteurs : Peter Lorre, Otto Wernicke, Gustaf Gründgens, Inge Landgut, Ellen Widmann, Theodor Loos…
Scénario : Fritz Lang, Thea von Harbou d’après un article d’Egon Jacobson
Photographie : Fritz Arno Wagner
Musique : Edvard Grieg
Durée : 1h51
Année de sortie : 1931
LE FILM
Toute la presse ne parle que de ça : le maniaque tueur d’enfants, qui terrorise la ville depuis huit mois vient de faire une nouvelle victime. Chargé de l’enquête, le commissaire Lohmann multiplie les rafles dans les bas-fonds. Gênée par toute cette agitation la pègre décide de retrouver elle-même le criminel.
Une sombre comptine chantée par des enfants qui s’amusent dans une cour. Des parents qui s’inquiètent de la disparition d’une dizaine de fillettes. C’est l’heure de la sortie de l’école, une mère de famille s’affaire à ses tâches quotidiennes, tout en préparant la table. Elle attend le retour d’Elsie, sa fille. De son côté, un agent de la circulation l’aide à traverser la route, quand une ombre l’aborde. Un sifflement reconnaissable, un leitmotiv (sifflé par Fritz Lang lui-même d’ailleurs), celui de Dans l’antre du roi de la montagne de Peer Gynt. En cinq minutes, le cadre, exceptionnel est posé par Fritz Lang. M le Maudit, ou tout simplement M en version originale est déjà le quinzième long métrage du réalisateur, ainsi que son premier film parlant. Immense chef d’oeuvre absolu de tous les temps, référence incontournable du genre policier, considéré d’ailleurs comme le premier thriller moderne, M le Maudit conserve son aura et son pouvoir d’attraction hypnotique. Près de 90 ans après sa sortie, ce drame anxiogène prend toujours aux tripes et l’on reste abasourdi par son audace scénaristique, sa beauté plastique, l’interprétation habitée de Peter Lorre et sa maîtrise formelle.
Après cette mise en place dans une cité ouvrière, le cadavre de la petite est découvert. La police intensifie ses efforts de recherche, en vain. Les habitants en viennent à se soupçonner les uns les autres. Les dénonciations anonymes font croître la tension et les policiers sont à bout de forces. Cependant, les rafles et les contrôles incessants dérangent les bandes criminelles dans leurs « affaires ». Aussi la pègre décide-t-elle, sous la direction de Schränker, de chercher elle-même le meurtrier et utilise dans ce but le réseau des mendiants. Alors que la police a identifié le meurtrier, celui-ci est reconnu par un vendeur de ballons aveugle grâce à la chanson que le tueur siffle. Un de ses « collègues » marque alors un « M » à la craie sur le manteau du meurtrier qui s’enfuit dans un bâtiment de bureaux cerné par les les bandes diverses. En se servant de leur attirail de cambriolage, ils fouillent l’immeuble, attrapent le meurtrier d’enfants et l’emmènent dans une distillerie abandonnée. Là, toute la pègre rassemblée lui fait un procès macabre.
Peter Lorre, dans son premier rôle au cinéma, entame alors l’une des plus grandes séquences de l’histoire du cinéma, quand son personnage, les yeux exorbités, le visage en sueur, la respiration saccadée, tente d’exprimer, de façon désespérée, son aliénation et son dédoublement intérieur. « Toujours, je dois aller par les rues, et toujours je sens qu’il y a quelqu’un derrière moi. Et c’est moi-même ! […] Quelquefois c’est pour moi comme si je courais moi-même derrière moi ! Je veux me fuir moi-même mais je n’y arrive pas ! Je ne peux pas m’échapper ! […] Quand je fais ça, je ne sais plus rien… Ensuite je me retrouve devant une affiche et je lis ce que j’ai fait, alors je me questionne : J’ai fait cela ? ». Fritz Lang met en parallèle les actions simultanées de la police quasi-impuissante, représentée par le commissaire Lohmann (qui reviendra dans Le Testament du Docteur Mabuse) et la pègre qui a alors une longueur d’avance sur les autorités. Tandis que les criminels se préparent à lyncher le meurtrier au cours d’une parodie de justice où un « avocat » de la défense tente d’expliquer que le tueur de fillettes doit être remis à la police, Lohmann apprend ce qui est sur le point d’arriver.
Tout subjugue dans M le Maudit. Le travail sur le son et le silence. Fritz Lang joue avec la nouvelle technologie mise à sa disposition. Le silence reflète la cacophonie ambiante, les ambiances ne sont jamais utilisées gratuitement, mais comme un véritable personnage à part entière. Le cinéaste, l’un des plus grands à avoir su conjuguer la grammaire cinématographique, évoque la traque d’une bête sauvage, aux abois. Ou quand les malfaiteurs s’associent pour mettre la main sur un assassin, un « outsider » qui gâche leurs affaires et les empêche de vaquer à leurs occupations. En raison de cette suite de meurtres, la police organise des rafles dans les quartiers louches, jusque dans les tripots clandestins où sont saisis les flingues, les portefeuilles, bijoux et fourrures volés. C’est la goutte d’eau pour la pègre, surtout après huit mois de recherches intensives qui n’ont donné aucun résultat en dépit du gigantesque dispositif déployé et des moyens conséquents mis à disposition de la police montrée incompétente, y compris les scientifiques avec leurs analyses d’empreintes. Seuls les cambrioleurs, les arnaqueurs, les tricheurs, les pickpockets, les prostituées, pourront faire quelque chose.
En montrant les habitants d’une grande ville allemande (jamais nommée, même si un journal indique Berlin, tout comme le plan de la ville accroché dans les bureaux de la police) jetés dans la terreur et l’hystérie, Fritz Lang, s’inspirant alors d’un fait divers réel, invite à réfléchir sur les réactions, le comportement et les actions d’une société traumatisée par les crimes commis. Héritier de l’Expressionnisme allemand, M le Maudit crée un genre, transcende les générations, foudroie autant les yeux devant tant de virtuosité, que l’estomac avec son récit tendu du début à la fin. Enfin, en montrant une société se liguer dans le but d’éradiquer un être jugé « nuisible », le réalisateur anticipe alors la Solution finale…Un chef d’oeuvre prophétique. Vingt ans plus tard, Joseph Losey en signera un très grand remake avec David Wayne, avec l’action du film transposée à Los Angeles.
LE BLU-RAY
Après une première édition en DVD chez Opening, puis chez Films sans frontières dans de louches éditions DVD et Blu-ray, le chef d’oeuvre de Fritz Lang fait son retour dans les bacs par la grande porte chez Tamasa Diffusion où il est particulièrement choyé. Ce Digipack très élégant se compose du DVD, du Blu-ray et d’un livret de 16 pages, proposant des extraits du dossier pédagogique rédigé par Mireille Kentzinger et comprenant un retour sur M le Maudit, avec une analyse de séquence, un gros plan sur le montage et diverses photographies. Le menu principal est fixe et bruité.
Pour accompagner M le Maudit, Tamasa propose une intervention de Faruk Günaltay (42’). Le directeur du cinéma l’Odyssée de Strasbourg dissèque le fond et la forme du chef d’oeuvre visionnaire de Fritz Lang. La production du film (à l’époque où il devait s’intituler Les Assassins sont parmi nous), le travail sur le son (premier long métrage parlant du réalisateur), le casting, la psychologie du personnage principal, les effets de cadrage, la critique de la République de Weimar, l’anticipation de la question de l’élimination « du corps en trop » et tout un tas d’éléments sont abordés au cours de cette présentation passionnante durant laquelle quelques séquences sont également analysées.
L’Image et le son
Depuis sa sortie en 1931, M le Maudit a été vu et revu dans de différentes versions et durées. Aucune ne correspondait à la version originale. Les montages français et britannique comprenaient même des scènes filmées ultérieurement. Fritz Lang n’avait aucun contrôle sur ces versions. En 1960, M le Maudit était ressorti dans un montage de 96 minutes, lui aussi très éloigné de l’original de 1931. Le format de l’image avait même été modifié et les têtes des comédiens tronquées. Sans oublier des ambiances sonores ajoutées sur des séquences muettes. Depuis, diverses tentatives avaient été réalisées pour reconstituer l’oeuvre originale de Fritz Lang. En 2001, l’image et le son de 1931 ont enfin été retrouvés sur des pellicules nitrates. 70 % des négatifs originaux survécurent. Pour cette restauration, une copie française du négatif fut réalisée à partir d’un tirage et servit à compléter les scènes tronquées. Pour la première fois, les instabilités récurrentes de l’image dues à des perforations et des erreurs de tirage furent en grande partie corrigées. La restauration numérique de l’image a demandé un soin minutieux pour respecter les partis pris originaux. Toutefois, le montage soumis à la censure allemande de 117 minutes, n’a jamais pu être reconstitué. Alors évidemment tous les défauts n’ont pu être corrigés sur cette version restaurée 2K par TLEFilms, AFF et Deutsche Kinematek, quelques rayures subsistent par exemple, mais il faut bien admettre que le confort de visionnage est total et que la tenue des contrastes est souvent ébouriffante. Divers effets de pompages demeurent également, mais le piqué ne cesse d’impressionner, même si plus émoussé sur les parties du film provenant des copies d’exploitation.
La bande-son respecte l’idée originale de Fritz Lang avec des contrastes saisissants entre les scènes sonores et muettes. Un souffle chronique est inhérent à l’âge du film, mais ne dérange pas l’écoute. Le mixage est propre, équilibré, les bruitages précis, les dialogues sensiblement pincés, mais intelligibles.