ZONES HUMIDES (Feuchtgebiete) réalisé par David Wnendt, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 14 décembre 2020 chez Extralucid Films.
Acteurs : Carla Juri, Christoph Letkowski, Marlen Kruse, Meret Becker, Axel Milberg, Peri Baumeister, Edgar Selge, Clara Wunsch, Ludger Bökelmann…
Scénario : Claus Falkenberg, David Wnendt & Sabine Pochhammer, d’après le roman de Charlotte Roche
Photographie : Jakub Bejnarowicz
Musique : Enis Rotthoff
Durée : 1h44
Année de sortie : 2013
LE FILM
Helen est une adolescente non-conformiste qui entretient une relation conflictuelle avec ses parents. Passant la plupart de son temps à traîner avec son amie Corinna, avec qui elle transgresse un tabou social après l’autre, elle utilise le sexe comme un mode de rébellion et casse la morale bourgeoise conventionnelle. Après un accident de rasage intime, Helen se retrouve à l’hôpital où il ne lui faut pas longtemps pour faire des vagues. Mais elle y rencontre Robin, un infirmier dont elle va tomber follement amoureuse…
C’est l’histoire d’une success-story. Il y a eu tout d’abord le roman de Charlotte Roche (née en 1978), Zones Humides (Feuchtgebiete), sorti en février 2008, qui devient très vite un phénomène en Allemagne où il se vend à 2,5 millions d’exemplaires. Rebelle, punk, frontal, sulfureux, cru – on arrête là, on croirait une introduction de Laurent Delahousse – Zones humides explose les compteurs dans les librairies et sur Amazon, où pour la première fois un ouvrage germanique atteint la liste des best-sellers. Forcément, un triomphe comme celui-là ne pouvait qu’intéresser le cinéma. Et pourtant, Charlotte Roche a tenu à choisir elle-même le producteur qui prendrait en main son ouvrage, quitte à refuser les offres les plus alléchantes et les plus faciles à mettre en route. Son choix s’est porté sur Peter Rommel, l’un des producteurs d’Et si on vivait tous ensemble ? (2011) de Stéphane Robelin, qui réunissait Guy Bedos, Daniel Brühl, Geraldine Chaplin, Pierre Richard, Claude Rich et Jane Fonda, mais aussi et surtout du très remarqué 7ème Ciel – Wolke 9 (2008) qui traitait de la sexualité des personnes d’un âge respectable. Charlotte Roche a ensuite laissé carte blanche au producteur pour choisir le réalisateur qui saura relever le défi de mettre son roman en images. Peter Rommel a jeté son dévolu sur David Wnendt, dont il avait remarqué le long-métrage Guerrière – Kriegerin, sorti en 2011. Résolument trash, Zones humides le film n’est certes pas à mettre devant tous les yeux, mais ce portrait d’une jeune femme de 18 ans vaut sacrément le détour, d’une part pour sa réalisation effectivement électrique et percutante, d’autre part pour l’explosive interprétation de son actrice principale, Carla Juri, pour laquelle on craque instantanément et ce même si elle nous emmène loin, très loin même dans le graveleux. Mais au-delà des apparences, son personnage, Helen Memel, est une post-ado bouleversée et même traumatisée par la séparation de ses parents. Zones humides embarque le spectateur pour un ride qui ne s’arrête jamais pendant 1h45, au bout duquel on ressort lessivés, mais heureux, après avoir été pourtant pas mal bousculés et mis mal à l’aise. Une grande et belle expérience qui fait du bien à l’âme et qui tonifie le corps en même temps, pourquoi refuser ?
Helen, 18 ans, vit avec sa mère et son petit frère Toni dans un appartement à Berlin. Elle adore provoquer les gens en disant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Sa cible de choix est sa mère, dont elle moque du nouveau catholicisme et la maniaquerie en étant très ouverte sur le plan sexuel et en n’ayant que peu d’hygiène corporelle : elle se lave le moins souvent possible pour « sentir le sexe » et attirer les garçons ; elle se masturbe avec les légumes de la cuisine (« concombres OK, gingembre nul, carottes BINGO ! ») sans les laver ensuite. Parfois elle se rappelle son enfance et l’éducation spéciale de sa mère. Aujourd’hui, cette dernière multiplie les amants, et ne voit plus du tout le père d’Helen, qui va lui rendre visite de temps en temps. C’est un ingénieur riche et bourru qui n’a que peu de temps pour elle. Elle se lie d’amitié avec sa voisine Corinna. Ensemble, elles jouent avec le sang de leurs règles et échangent leurs tampons. Comme elle n’aime pas se raser, Helen décide un matin de le faire vite. Finalement elle se coupe gravement à l’anus pendant son rasage intime. Elle ne prévient personne et après avoir quand même essayé d’aller à l’école en saignant, elle se résout à être hospitalisée. Sa fissure anale est assez grave puisqu’elle s’ajoute à ses hémorroïdes chroniques. Elle se fait rapidement opérer par le Dr Notz, qui se sert d’elle pour faire un cours à ses assistants. Après l’opération, elle doit rester quelques jours alitée à la clinique, jusqu’à qu’elle puisse aller aux toilettes. Elle flirte avec l’infirmier Robin (Christoph Letkowski, génial) qui est désarmé devant ses manières directes et ses provocations. Ils vont bientôt être complices, mais la petite amie de Robin avec qui il fait une pause depuis deux ans, Valerie, voit ça d’un très mauvais oeil. Pendant son séjour à la clinique, elle décide de prévenir ses parents et espère pouvoir se servir de cette excuse pour les réunir, afin qu’ils se remettent en couple. Ses parents ne sont pas ponctuels et ne parviennent pas à se revoir. Helen se sent bien dans la clinique, et cache le fait qu’elle soit allée aux toilettes pour rester plus longtemps, afin de tenter à nouveau de voir ses parents revenir en même temps.
Amis du bon goût, bonjour ! Ou au revoir plutôt, c’est selon ! Jamais nous n’avions vu une jeune nana toute mignonne parler aussi ouvertement, non pas de sexualité, mais de son mode de vie placé sous le signe de la lutte permanente contre les conseils hygiéniques les plus basiques, en malaxant ou même en goûtant tout ce qui est à sa portée, mucus vaginal, sperme, sang et bien d’autres réjouissances. Les doigts s’immiscent partout, la caméra de David Wnendt s’inspire d’ailleurs de celle de David Fincher dans Fight Club, dont il reprend et adapte le générique pour aller là où on n’aurait pu l’imaginer, avec aussi quelques touches de Danny Boyle époque Trainspotting. A l’instar du Golden Glove – Der Goldene Handschuh de Fatih Akin, Zones humides est un film quasiment en odorama, à croire qu’il s’agit là d’une nouvelle habitude du cinéma allemand. Alors oui, ce Feuchtgebiete est crade et le personnage ne se prive pour inspirer le dégoût à celles et ceux qui l’écoutent, aussi bien dans ses mots que dans ses actes, mais une fois le vernis gratté, on se rend compte qu’Helen envoie un appel au secours. Solitaire, mal dans sa peau, sauvage, complexe, provocante et pourtant vulnérable (Delahousse, sors de ce corps bordel) Helen cherche sa propre identité et s’avère en pleine détresse existentielle.
Comme le livre à sa sortie, Zones humides le film, ou Wetlands pour son exportation internationale, peut déranger une bonne partie des spectateurs en montrant des choses qui sur le papier n’ont rien de «cinégénique» dirons-nous, et qui d’ailleurs à l’écran ne le deviennent pas non plus, mais David Wnendt, qui a dû se plier à quelques changements inévitables lors de la transposition du livre, a su en conserver l’essence, l’esprit, l’humour, et bien évidemment les thèmes. On rit beaucoup, on est souvent ému, on est parfois – gentiment – écoeuré et malgré le personnage sans aucune retenue ni pudeur et « modérément » vulgaire, nous n’avons d’yeux – même si ses partenaires sont d’ailleurs tout aussi excellents – que pour Carla Juri, véritable révélation, apparue depuis dans le formidable Brimstone de Martin Koolhoven et le sublime Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve. Un soleil ardent capable d’illuminer et d’embellir la crasse et les mucus les plus abominables, on appelle ça le charisme et le talent, et la comédienne n’est indéniablement pas pour rien dans cette belle réussite qu’est Zones humides, par ailleurs récompensé par un beau succès dans les salles allemandes où le film aura attiré près d’un million de spectateurs.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Après un passage forcément remarqué à L’Étrange Festival en 2014, Zones humides avait complètement disparu de la circulation dans nos contrées ! Il aura fallu attendre six ans pour que le film de David Wnendt revienne à la surface et parvienne dans les bacs français, grâce aux désormais bons soins d’Extralucid Films, pour lesquels nous signons ici la dixième chronique. A cette occasion, l’éditeur a concocté un combo Blu-ray + 2 DVD, disposés dans un boîtier classique, mais épais, qui rejoint ainsi la collection Extramonde, aux côtés de Vierges, River of Grass et Slacker. L’ensemble est glissé dans un surétui cartonné, qui aurait néanmoins gagné à reprendre le visuel, plus vendeur et attractif, de la jaquette. Le menu principal est animé et musical. Notons aussi que l’éditeur a également créé une « Pizza Box », ceux qui ont vu le film comprendront, dont nous vous proposons l’unboxing en fin de chronique !
Si tous les suppléments sont réunis sur le Blu-ray, ils se trouvent aussi répartis sur les deux DVD. Sur le premier, vous trouverez la bande-annonce déclinée sous deux versions, censurée et non censurée, ainsi qu’un entretien dense et spontané d’Ovidie (12’). La réalisatrice féministe, documentariste, autrice et ancienne star du cinéma pornographique avait réalisé une critique très élogieuse de Zones humides, parue dans Metronews, lors de sa présentation au Forum des images en septembre 2014. Ovidie revient sur sa découverte du film de David Wnendt, « une grosse claque », avant d’en venir plus précisément sur les thèmes et le triomphe du livre de Charlotte Roche en Allemagne. Étonnée que le film n’ait pas pu trouver de distributeur en France, ou que l’actrice Carla Juri n’ait jamais tapé dans l’oeil des réalisateurs français (avec lesquels elle voulait tourner comme elle avait pu lui avouer au cours d’une interview), l’invitée d’Extralucid Films défend encore corps et âme Zones humides, et se dit très heureuse qu’il sorte enfin, même en DVD.
Tout le reste des suppléments se trouve sur le deuxième DVD.
On commence par cinq featurettes très rapides (d’une durée totale de 9’30), axées promo et constituées des propos de l’équipe (les comédiens, Charlotte Roche, le réalisateur), ainsi que d’images de tournage, de la Première du film à Berlin le 13 août 2013 et de la Première en plein-air à Düsseldorf le 15 août 2013, avec non pas le tapis rouge habituel, mais une pataugeoire. Un making of proprement dit (6’) compile un peu tous ces modules, avec des images de plateau supplémentaires.
L’éditeur joint une série d’entretiens, 7 au total (19’), de Carla Juri, Christoph Letkowski, Meret Becker, Axel Milberg, Charlotte Roche, David Wnendt et le producteur Peter Rommel. Divers extraits de ces interviews étaient déjà parsemés dans les bonus précédents et sont ici livrées dans leur intégralité. La psychologie du personnage principal, les partis-pris, les thèmes du film, les conditions de tournage, le succès du livre, les différences entre le roman et le film sont ainsi passés au peigne fin, avec les compliments et superlatifs de rigueur.
Trois scènes coupées (5’) prolongent la scène du barbecue, où Helen finit par emballer le fils d’une amie de la famille et l’initie au plaisir du doigt bien placé. Une autre séquence liée à l’enfance d’Helen avec ses parents est aussi disponible.
S’ensuit la conférence de presse donnée par toute l’équipe du film lors de la présentation de Zones humides au Festival international du film de Locarno (18’) le 11 août 2013, où l’on peut voir que l’oeuvre de David Wnendt n’a pas laissé les spectateurs et la critique indifférents.
Dans la même veine, l’éditeur joint le jeu de questions/réponses après la projection de Zones humides au Soho House Berlin le 12 août 2013 (9’). Charlotte Roche et le réalisateur Wnendt reviennent une fois de plus sur le succès du livre et son adaptation au cinéma, avant de répondre à une question posée dans le public.
Enfin,comme la dernière étape d’un long marathon promotionnel, Charlotte Roche, David Wnendt et le producteur Peter Rommel abordent encore ce qui a fait le triomphe du roman dans les librairies allemandes, puis le pari de le transposer au cinéma (14’).
Pas mal de redondances dans tous ces suppléments, mais au moins l’éditeur ne vient pas les mains vides et le film méritait largement une aussi belle édition.
L’Image et le son
Selon IMDB, Zones humides a été tourné via la caméra Red Epic 5K Redcode RAW. Extralucid Films prend soin du film de David Wnendt et livre un master HD au format 1080p, irréprochable et au transfert immaculé. Respectueux des volontés artistiques du chef opérateur Jakub Bejnarowicz (L’Inciseur de Christian Alvart), la copie se révèle un petit bijou technique alliant des teintes multicolores et saturées (vert, rouge, rose, bleu, tout y passe), à la fois chaudes et froides, le tout soutenu par un encodage AVC de haute volée. Le piqué est tranchant, les arrière-plans sont magnifiquement détaillés, le relief omniprésent et les détails foisonnants sur le cadre large. Les partis pris esthétiques sont donc respectés avec un léger grain cinéma conservé qui confère à l’image une agréable texture, une fabuleuse gestion des contrastes et des séquences sombres aussi soignées. Un service après-vente remarquable.
Voici le genre de mixage qui ne fait pas dans la demi-mesure ! La piste allemande unique DTS-HD Master Audio 5.1 se révèle souvent fracassante et redoutablement immersive. La bande-originale très « gros son » met à mal le caisson de basses à plusieurs reprises. Nous vous conseillons d’ailleurs de visionner Zones humides au moment où vos voisins seront absents. Les dialogues sont ardents sur la centrale, tandis que les frontales et les latérales n’ont de cesse de s’affronter lors des séquences plus agitées.