VÉNÉNEUSES réalisé par Jean-Pierre Mocky, disponible en DVD et Blu-ray le 20 janvier 2021 chez ESC Editions.
Acteurs : Jean-Pierre Mocky, Richard Bohringer, Florian Hessique, Jean-François Stévenin, Charlotte Gaccio, Laurent Biras, Lola Marois, Kevin Miranda, Philippe Rebbot…
Scénario : Jean-Pierre Mocky & Frédéric Dieudonné
Photographie : Jean-Paul Sergent
Musique : Vladimir Cosma
Durée : 1h23
Date de sortie initiale : 2017
LE FILM
Dick Grant, truand vieillissant qui purge sa peine, apprend que sa compagne l’a doublement trahi : non seulement elle le trompe avec l’un de ses associés, mais le couple s’apprête à lui voler toute sa fortune. Il s’évade de prison et accomplit sa vengeance. Lors de sa cavale, il rencontre une jeune et jolie blonde avec qui il a une aventure. Elle finit par le démasquer et le fait chanter : ou bien il la débarrasse d’un oncle encombrant, ou bien elle le dénonce à la police…
Le 8 août 2019, Jean-Pierre Mocky s’en est allé, laissant derrière lui plus de 80 longs-métrages, séries télévisées, téléfilms et documentaires. 60 ans de carrière comme metteur en scène, des Dragueurs (1959) à son ultime baroud d’honneur, Tous flics !, qui n’a pas encore connu les honneurs (posthumes) au cinéma. S’il venait de fêter ses 90 ans au moment où la mort a fini par le rattraper, Jean-Pierre Mocky ne s’est jamais arrêté de tourner et d’apparaître également devant sa propre caméra, allant parfois jusqu’à réaliser trois films par an. Vénéneuses restera son antépénultième long-métrage, dans lequel le cinéaste s’avère très en verve et rend un bel hommage aux films de gangsters qui ont bercé son enfance et dont il affectionnait les personnages, aussi bien à l’écran que dans la vie réelle. Et puis quoi qu’on en dise, ce n’est pas commun de trouver dans le cinéma français un papy de 88 balais qui était toujours aussi rebelle et bad-ass ! Vénéneuses est un excellent cru, dans lequel brillent les dialogues de Frédéric Dieudonné, qui avait déjà écrit Le Cabanon rose et Rouges étaient les lilas, les deux opus du réalisateur de l’année 2016.
C’est impressionnant comme le cinéma de Jean-Pierre Mocky conservait une fraîcheur anarchiste unique, y compris à la fin de sa vie et de sa très longue carrière. Vénéneuses ne ressemble à aucun autre film, si ce n’est qu’il s’inscrit évidemment et naturellement au sein de l’imposante filmographie du maître. Vénéneuses se regarde comme on lit un vieux polar aux pages jaunies, dans lequel les protagonistes ne sont sans doute pas trop recherchés, mais qui possèdent ce côté rassurant, attachant et presque indéfinissable, qu’on a finalement beaucoup de plaisir à retrouver et à suivre dans leurs péripéties. D’emblée, Jean-Pierre Mocky plonge les spectateurs dans le monde de la nuit, dans un night-club où Lola Marois (madame Jean-Marie Bigard pour les intimes) fait saliver les mecs de la salle en exécutant un striptease lent et excitant. On imagine très bien le sieur Mocky en train de la diriger, ne perdant pas une miette de ce qui se passe devant lui et en lui demandant d’accentuer ses poses lascives.
Mais ce qui intéresse aussi et surtout le réalisateur, c’est de créer une ambiance et cela passe aussi bien par l’image que par les dialogues. Non seulement Vénéneuses est un film qui a de la gueule avec ses cadrages bien composés qui renvoient directement aux films noirs français et américains, mais les répliques sont souvent à tomber. S’il y a bien un petit côté « forcé » dans l’usage de certaines expressions sans doute trop « écrites », les comédiens s’amusent comme dans une partie de ping-pong incessante, se renvoyant la balle avec délectation, conscients d’incarner des stéréotypes, mais débordant de générosité et visiblement très heureux de le faire.
Dans Vénéneuses, Jean-Pierre Mocky convie ses potes, comme Richard Bohringer, sublime, complice du réalisateur depuis Le Pactole (1985) et qui ont collaboré une quinzaine de fois, comme sur Agent trouble (1987), Les Saisons du plaisir (1988), Le Mystère des jonquilles (2014), y compris sur quatre épisodes de la série Myster Mocky présente. Même chose pour Jean-François Stévenin, impérial en inspecteur un peu dépassé par les événements, qui était déjà apparu chez Mocky dans Y a-t-il un Français dans la salle ? (1982), Noir comme le souvenir (1995), Le Deal (2006) et Le Renard jaune (2013). Le cinéaste n’a jamais laissé ses actrices de côté. Dans Vénéneuses, que certains culs serrés taxeront gratuitement de misogyne, elles apparaissent aussi bien en femme fatale en maillot de bain affriolant, à l’instar de la divine Clara Huet, ou dans le plus simple appareil et de ce point de vue, Jean-Pierre Mocky aussi bien que les spectateurs profitent des belles courbes de Laura Giudice, qui ne peut s’empêcher de se trimballer nue au milieu de tous, n’importe quand, à la piscine, entourée de flics ou prenant une pause glace.
Outre la qualité de la photographie de Jean-Paul Sergent (13 French Street, Dossier Toroto, Le Mentor), la composition du légendaire Vladimir Cosma s’inscrit parfaitement dans le ton du film, trouvant le parfait équilibre entre le côté sérieux de l’entreprise, autrement dit en lui insufflant une âme néo-noire unique, et la légèreté, soulignant ainsi que rien n’est à prendre au premier degré, mais que l’histoire n’a rien de ridicule non plus.
Pour Ilan Malka.
LE BLU-RAY
ESC Editions ne cesse d’agrandir sa collection consacrée au cinéaste Jean-Pierre Mocky. Vénéneuses rejoint ainsi Votez pour moi !, Rouges étaient les lilas, Le Cabanon rose, Calomnies, Y a t-il un français dans la salle ?, Le Piège à cons, L’Ibis rouge, L’Étalon, Solo, La Grande lessive, Les Compagnons de la marguerite, Depardieu par Mocky et d’autres encore au catalogue de l’éditeur. Très beau visuel. Le menu principal est animé sur la musique de Vladimir Cosma.
On retrouve d’ailleurs ce dernier à travers une interview indispensable, dans laquelle l’un de nos plus grands compositeurs de musiques de films, s’exprime sur sa longue, fructueuse et pourtant méconnue collaboration avec Jean-Pierre Mocky (20’). Le maestro partage ses souvenirs liés à sa rencontre et le travail avec le cinéaste, qu’il considère comme étant aussi important que Gérard Oury et Claude Zidi, avant de revenir sur quelques-unes de leurs associations, leur première Il gèle en enfer (1989), en passant par Le Deal (ne ratez pas l’anecdote sur l’enregistrement de la chanson de Renaud). Vladimir Cosma dresse un formidable portrait du réalisateur, dont on était facilement « happé par le charme et la forme de conviction ».
Olivia Mokiejewski, journaliste et fille de Jean-Pierre Mocky, présente ensuite brièvement Vénéneuses (3’20), en indiquant entre autres que son père adorait jouer les rôles de gangsters, qu’il admirait et qu’il a même parfois fait tourner dans ses films.
L’interactivité se clôt sur un montage de quelques instantanés de tournage (6’), où l’on peut voir Mocky à l’oeuvre devant et derrière la caméra, ou en train de répéter son texte avec Richard Bohringer.
L’Image et le son
Les films de Jean-Pierre Mocky étaient filmés avec peu de moyens et cela se ressent sur ce master HD, surtout sur les séquences nocturnes ou tamisées, où la définition flanche avec des couleurs qui bavent quelque peu, un piqué émoussé et une perte des détails. En revanche, ce Blu-ray s’en sort pas mal sur les scènes diurnes avec des teintes chaudes, un relief plus incisif et une clarté appréciable. Le cadre large apparaît alors en grande forme avec beaucoup de précision sur les gros plans, très prisés par le cinéaste.
La piste unique ne fait pas d’esbroufe inutile et se contente de délivrer les voix des comédiens avec suffisamment d’ardeur, tout en laissant une large place à la géniale composition de Vladimir Cosma. En revanche, dommage de ne pas trouver de sous-titres destinés au public sourd et malentendant.