RETOUR DE MANIVELLE réalisé par Denys de La Patellière, disponible en DVD & Blu-ray le 17 mai 2024 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Michèle Morgan, Daniel Gélin, Peter van Eyck, Bernard Blier, Michèle Mercier, François Chaumette, Pierre Leproux, Jean Olivier, Hélène Roussel…
Scénario : Denys de La Patellière, d’après le roman de James Hadley Chase
Photographie : Pierre Montazel
Musique : Maurice Thiriet
Durée : 1h59
Date de sortie initiale : 1957
LE FILM
Fréminger, un riche homme d’affaires se suicide après avoir supprimé la clause du suicide de son testament. Sa veuve, Hélène, tente alors de maquiller sa mort en meurtre après avoir fait croire que le défunt est encore en vie. Elle fait appel à Robert, le chauffeur, qui devient son amant. Mais le plan tourne mal…
Quand on évoque la grande carrière de Denys de La Patellière (1921-2013), le cinéphile pense instantanément à ses nombreuses et fructueuses collaborations avec Jean Gabin, six films tournés de 1958 à 1972, des Grandes familles au Tueur, près de 18 millions d’entrées au total. Parmi les autres succès du réalisateur on peut aussi citer son premier long-métrage, Les Aristocrates (2,9 millions), Un taxi pour Tobrouk (4,9 millions) et Retour de manivelle (2 millions). Moins connu que ses autres opus, ce dernier sorti en septembre 1957 apparaît comme un chaînon manquant entre Assurance sur la mort – Double Indemnity (1944) de Billy Wilder et Les Diaboliques (1955) de Henri-Georges Clouzot. Avouez qu’on a déjà fait pire comme références, surtout que ce thriller dramatique et psychologique parvient sans mal à trouver sa propre identité et ce grâce à un formidable trio d’acteurs au sommet de leur art, Michèle Morgan, Daniel Gélin et Bernard Blier, exceptionnels et qui se délectent des répliques concoctées par Michel Audiard. Une très belle année pour le dialoguiste puisqu’il signait également en même temps celles de Trois Jours à vivre et Le Désordre et la Nuit de Gilles Grangier, Maigret tend un piège de Jean Delannoy et aussi celles des Grandes familles du même Denys de La Petellière. Le cinéaste n’est pas en reste et livre un quasi-huis clos étouffant, prenant du début à la fin, un film noir à la française qui vaut assurément d’être réhabilité.
Un soir d’ivresse, Eric Fréminger se ferait écraser bêtement sans le secours d’un inconnu, Robert Montillon. Celui-ci connaît des jours difficiles et, malgré l’accueil plutôt glacial de la femme de Fréminger, malgré le caractère quelque peu inquiétant de la somptueuse demeure où il est reçu, Robert accepte la proposition que lui fait Fréminger d’entrer chez lui comme secrétaire-chauffeur. Quarante-huit heures plus tard, ruiné malgré les apparences, Fréminger se tire une balle dans la tête après avoir annoncé à Hélène, sa femme, que pour toucher les 300 millions de l’assurance-vie, elle devra maquiller son suicide en crime car il vient de faire supprimer la clause « suicide » par l’assurance. Hélène persuade alors Robert de l’aider dans le plan machiavélique qu’elle conçoit aussitôt ; et elle devient sa maîtresse pour le payer de ce petit service. Ce qui ne l’empêche pas de le pousser dans le lit de sa jeune bonne afin de trouver en celle-ci, au moment opportun, un témoin facilement influençable.
« Que faites-vous dans l’existence ? »
« Je suis disponible. »
Au moment où elle tourne Retour de manivelle, Michèle Morgan est sans doute la plus grande comédienne française et la plus connue dans le monde après les immenses hits successifs qui se sont succédé depuis dix ans, La Symphonie pastorale, Aux yeux du souvenir, Fabiola, La Belle que voilà, Maria Chapdelaine, La Minute de vérité, Les Orgueilleux, Obsession, Napoléon, Les Grandes manœuvres, Marie Antoinette…une filmographie qui en ferait pâlir plus d’un et surtout plus d’une aujourd’hui. Pour son unique association avec Denys de La Patellière, elle trouve l’un de ses rôles les plus ambigus avec celui que lui offrira André Cayatte immédiatement après dans Le Miroir à deux faces. Son personnage ne fera qu’une bouchée de celui interprété par Daniel Gélin, le comédien sortant de L’Homme qui en savait trop – The Man Who Knew Too Much d’Alfred Hitchcock et Charmants Garçons d’Henri Decoin, prouvant une fois de plus sa capacité à se diversifier. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces deux grandes vedettes du cinéma français n’avaient pas peur de jouer avec leur image et ceux qu’ils incarnent à l’écran sont ici difficilement attachants. Toutefois, ils apportent à Hélène et Robert un background dramatique, une sensibilité, ce qui permet au public, non pas de s’identifier à eux, mais de comprendre comment ils ont pu en arriver là, pour exécuter leur plan avec un sang-froid de reptile.
S’il est évident et attendu qu’un rouage va forcément gripper à un moment donné, le spectateur suit ce couple étrange formé par une femme fatale aux yeux laser et ce type un peu paumé, mais débrouillard, deux êtres solitaires qui se sont tirés d’affaire comme ils l’ont pu, avec les moyens et les atouts qui étaient en leur possession, son corps pour elle, sa roublardise pour lui. Tout irait donc pour le mieux dans leur opération, si ce n’est que les sentiments finissent par s’en mêler et qu’un commissaire tenace est persuadé d’avoir ferré un gros poisson. Qui d’autre que Bernard Blier pouvait incarner ce flic à qui on ne la fait pas et qui a toujours une bonne punchline prête à être dégainée au moment opportun, y compris à son subordonné ? Dès qu’il apparaît vers la 80è minute, Bernard Blier vole la vedette à ses camarades de jeu et ce jusqu’à la fin, relançant sans cesse le récit, avançant dans son enquête à tâtons, mais sûrement, en grand connaisseur de la psyché humaine, de sa bassesse.
Cependant, pas un protagoniste n’est mis en retrait, y compris Jeanne, la belle jeune femme de chambre embauchée par Hélène, incarnée par la merveilleuse Michèle Mercier, dans son premier rôle au cinéma, même si elle était déjà apparue trois ans plus tôt devant la caméra de Jean Boyer dans J’avais sept filles, dans lequel elle ne faisait que danser, discipline à laquelle elle voulait alors consacrer son existence. D’un naturel confondant et affichant déjà un sex-appeal prononcé du haut de ses 18 ans, Michèle Mercier marque les esprits dans un rôle pourtant secondaire, personnage qui sera manipulé par l’infernal tandem.
Belle mécanique que celle du scénario écrit par Denys de La Patellière, d’après l’œuvre de James Hadley Chase There Is Always a Price Tag, auteur qui aura souvent inspiré les metteurs en scène hexagonaux tels Georges Lautner (Présumé dangereux), Jean-Luc Godard (Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma), Patrice Chéreau (La Chair de l’orchidée) et Jacques Deray (Par un beau matin d’été), bien huilée, sans excès de gras et blindée de tension pour maintenir l’intérêt jusqu’au dénouement. Retour de manivelle mérite très largement d’être redécouvert, pour son histoire extrêmement bien ficelée et digne d’un film noir américain, pour sa distribution quatre étoiles (dont Peter van Eyck et François Chaumette), le tout élégamment photographié par Pierre Montazel (Chiens perdus sans collier, Gas-oil). Du grand spectacle à la française.
LE BLU-RAY
Après une première édition en DVD chez René Chateau, remplacée par celle sortie chez TF1 Studio en novembre 2015, Retour de manivelle arrive en Haute-Définition (ainsi qu’en édition Standard par la même occasion) chez Coin de Mire Cinéma. La dernière vague en date de l’éditeur comporte Les Amants de Brasmort, Sois belle et tais-toi! et Une robe noire pour un tueur, tous intégrant désormais la collection La Séance. Le disque repose dans un boîtier classique de couleur noire, glissé dans un surétui cartonné liseré bleu. Le menu principal est fixe et musical.
Avant de démarrer le film, faisons un point sur les actualités du moment, autrement dit, que se passait-il en cette 38ème semaine de l’année 1957 ? (14’). Un programme extrêmement chargé, qui compile en vrac les sujets sur le championnat du monde des poids coqs avec Alphonse Halimi, les épreuves d’athlétisme à Varsovie, l’élection de Miss Amérique 1957 (“que le monde paraît beau lorsqu’on contemple un spectacle si charmant !”), le 29è Congrés International PEN (un échange entre les intellectuels de l’Orient et de l’Occident), une catastrophe naturelle dans le Lancashire, le premier championnat interclubs de parachutistes allemands, un défilé aérien en Pologne, l’intégration des afro-américains dans les écoles blanches aux États-Unis (“la ségrégation est une hydre à 1000 têtes qui sera difficile de terrasser”), des incendies de forêts près de Cannes, un hommage à l’aviateur Géo Chavez (pionnier de l’aéronautique, blessé mortellement en 1910 au cours d’une tentative de traversée des Alpes en avion et dont les cendres sont transférées cinquante ans plus tard au Pérou, son pays d’origine), ainsi qu’un long reportage sur l’exploitation lucrative des richesses du Sahara (“l’Algérie est vitale pour la France !”). On oublie certains reportages, mais ce serait encore trop long à détailler !
Pour vous détendre un peu avant le début du film de Denys de La Patellière, savourez les réclames publicitaires en avant-programme (9’). Les bonbons Isicrem, les produits Liebig (avec une relecture de la Guerre des Mondes !), un peu de magie pour mettre en valeur des chemises Fablo, l’eau Vichy (“la moins chère car la plus vendue, la plus vendue parce que la meilleure !”), le Super Persil (qui lave encore plus blanc), les magasins Printemps et les stations Esso n’auront plus de secret pour vous !
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
Retour de manivelle a été restauré en 4K à partir du négatif original, par TF1 Studio, avec la participation du CNC et de Coin de Mire Cinéma. Si l’on compare ce nouveau master HD avec le DVD TF1 Studio sorti en 2015, le piqué est sans nul doute renforcé, ainsi que les détails sur les gros plans et le relief des textures. La très belle photographie est lumineuse, les contrastes denses et ce Blu-ray flatte souvent les rétines, notamment en ce qui concerne la propreté indéniable et impressionnante de la copie, ainsi que sa stabilité et son élégance.
La piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. L’écoute se révèle fluide, équilibrée, limpide. Aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs, les ambiances sont précises, les dialogues sont dans l’ensemble clairs, sans souffle parasite. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.