L’ÉTOILE DU NORD réalisé par Pierre Granier-Deferre, disponible en DVD et Blu-ray le 29 septembre 2023 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Simone Signoret, Philippe Noiret, Fanny Cottençon, Julie Jézéquel, Liliana Gerace, Gamil Ratib, Jean-Yves Chatelais, Jean Dautremay, Pierre Forget, Jean-Pierre Klein, Michel Koniencny, Patricia Malvoisin, Jean Rougerie…
Scénario : Michel Grisolia, Jean Aurenche & Pierre Granier-Deferre, d’après le roman Le Locataire de Georges Simenon
Photographie : Pierre-William Glenn
Musique : Philippe Sarde
Durée : 2h04
Date de sortie initiale : 1982
LE FILM
Édouard Binet a été pendant de longues années l’homme de confiance d’une célèbre chanteuse égyptienne, Jasmina, à présent disparue. Sur le paquebot qui le ramène en France, il fait la connaissance de Sylvie Baron, une jeune danseuse, et la présente au riche Nemrod Loktoum, dont elle devient la maîtresse…
L’Étoile du Nord est le dernier grand succès de Pierre Granier-Deferre, du moins celui qui dépassera le million d’entrées pour l’ultime fois de sa carrière cinématographique. Après le semi-échec rencontré avec Une étrange affaire (« à peine » 700.000 entrées), mais lauréat du Prix Louis-Delluc, le réalisateur décide de revenir à Georges Simenon, qui avait été quelque peu oublié par le cinéma français depuis près de dix ans, précisément depuis L’Horloger de Saint-Paul de Bertrand Tavernier en 1974. Voulant également retravailler avec Simone Signoret, Pierre Granier-Deferre, avec laquelle il avait déjà collaboré sur Le Chat et La Veuve Couderc, se met à la recherche d’un partenaire digne d’être à la hauteur de « la Vieille ». Fier de son expérience avec Philippe Noiret sur Une femme à sa fenêtre en 1976, le metteur en scène lui propose le rôle principal de cette adaptation du roman intitulé Le Locataire, titre qu’il ne pouvait pas reprendre pour cette transposition car ayant été utilisé par Roman Polanski quelques années auparavant. Il en résulte un film étrange, presque anachronique en cette année 1982, marquée par les triomphes d’ET L’Extra-terrestre, L’As des as, Deux heures moins le quart avant J.C., La Balance, Plus beau que moi tu meurs, Mad Max (et sa suite), Blade Runner, Conan le Barbare…L’aspect feutré détonne dans L’Étoile du Nord, quasi-huis clos où les échappées nécessaires pour laisser le spectateur respirer ne se font que par les réminiscences du personnage principal et par les fantasmes de celle qui l’écoute. Si l’on a évidemment connu Pierre Granier-Deferre plus inspiré, ce drame vaut avant tout pour ses fabuleux comédiens, auxquels se joint la magnifique Fanny Cottençon (récompensée par le César de la meilleure actrice dans un second rôle), qui la même année sera définitivement lancée avec Tête à claques de Francis Perrin et Paradis pour tous d’Alain Jessua. Une curiosité qui se déguste probablement mieux aujourd’hui qu’à sa sortie.
Pendant les années 1930, Édouard Binet, un aventurier laissant l’Égypte derrière lui et regagnant l’Europe en paquebot, fait la connaissance d’un homme d’affaires très riche, Nemrod Loktum, et d’une jeune danseuse belge, Sylvie Baron. Il voyage avec eux dans le train Paris-Bruxelles (l’Étoile du Nord). Nemrod est assassiné dans le train par Édouard, mais celui-ci se défend et déclare qu’il ne s’en souvient pas. Il a entamé une relation avec la séduisante Sylvie. Arrivé à Bruxelles, il s’installe chez la mère de Sylvie qui tient une pension de famille à Charleroi. Malgré les soupçons de la jeune sœur de Sylvie, Antoinette, et des autres pensionnaires, Madame Baron est charmée par les histoires invraisemblables d’Édouard et par ses manières élégantes et distinguées.
Madame Baron est donc incarnée par Simone Signoret, qui faisait sans le savoir ses adieux au cinéma, avant de disparaître trois ans plus tard à l’âge de 64 ans. Les traits creusés, vieillie avant l’âge, la voix rauque, la silhouette épaisse et le geste hésitant, la comédienne réalise magistralement son dernier tour de piste, son personnage, sachant que son heure est désormais proche, vivant par procuration les souvenirs que le dénommé Binet lui raconte sans discontinuer. Ce dernier a été pendant de longues années l’homme de confiance d’une célèbre chanteuse égyptienne, Jasmina, à présent disparue. Avec elle, Binet a connu la grande vie, l’opulence, la jouissance de l’existence, sous un soleil de carte postale et dans ses décors surréalistes. Madame Baron elle n’est jamais sortie de chez elle et vit dans sa maison, où elle loue des chambres aux gens de passage. Certains restent plus longtemps que prévu, tout le monde se retrouve pour les repas et font plus ou moins connaissance.
C’est ce qui intéresse visiblement le plus Pierre Granier-Deferre, plus à l’aise quand il filme deux acteurs dans une chambre ou une cuisine que dans des décors exotiques. Le scénario qu’il a coécrit avec Michel Grisolia (J’embrasse pas, Le Choix des armes, Flic ou voyou) et le grand Jean Aurenche, qui s’est vu attribuer le César (face à Danton et Les Misérables de Robert Hossein), rapproche souvent les protagonistes dans des espaces étroits, les confronte, où ceux-ci se libèrent par la parole, procédé récurrent chez Georges Simenon, à l’intar des coupables dans les enquêtes de Maigret. On pourra reprocher au film d’être très bavard, même si on ne pourra jamais se lasser de la voix de Philippe Noiret (ici entre Coup de torchon de Bertrand Tavernier et Le Grand Carnaval de Alexandre Arcady), surtout quand Binet raconte l’existence qu’il a menée, comme une relecture de Shéhérazade.
De plus, il y a toujours une élégance chez Pierre-Granier Deferre, une distance, une pudeur, un sentiment soutenu par la belle photo de Pierre-William Glenn et la douce composition de Philippe Sarde. L’Étoile du Nord agit petit à petit sur le spectateur. Il s’en dégage un charme vénéneux et pourtant attractif, qui fait son effet, qui laisse un goût amer en bouche et qui donne pourtant envie d’y revenir.
LE BLU-RAY
Ainsi se termine la dernière vague (pour l’instant) de Coin de Mire Cinéma, après Prêtres interdits et Dans l’eau…qui fait des bulles, voici l’édition HD de L’Étoile du Nord, se présente sous la forme d’un boîtier classique de couleur noire, glissé dans un surétui cartonné. Les caractéristiques de la jaquette restent les mêmes, ainsi que le menu, fixe et musical.
Qu’en est-il de la fameuse Séance propre à l’éditeur ? Nous sommes en 1982 et les actualités diffusées dans les salles n’existent plus. En revanche, les réclames sont toujours là et visiblement, les années 80 éclatent dans les publicités, des coupes de cheveux (la nuque longue est reine) en passant par la mode vestimentaire. Place aux glaces Miko (« sous le choc, le plaisir ! »), aux chocolats Nuts, aux jeans Lee Cooper, à Darty, aux monstres Seiko (attention, romantisme!), au 3615 CUM (?), tandis qu’Aldo Maccione fait la promotion des Petits Coeurs, que Pierre Cosso déguste un Gini (sur une musique de Serge Gainsbourg)…
L’éditeur joint aussi l’interview de Pierre Granier-Deferre (29’), réalisée en 2003 à l’occasion de la sortie de L’Étoile du Nord en DVD chez Studiocanal. C’est toujours un grand plaisir de retrouver le réalisateur, peu avare en anecdotes de tournage, ce qui est le cas encore une fois pour le film qui nous intéresse aujourd’hui. La genèse de L’Étoile du Nord, le casting, l’adaptation du roman de Georges Simenon, le travail avec Jean Aurenche, la création du personnage campé par Simone Signoret sont abordés. Le cinéaste ajoute que souffrant les derniers jours de tournage, Bertrand Tavernier est venu à son secours pour filmer la scène finale se déroule à L’Île de Ré. De rapides images dévoilent l’envers du décor du film.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
Fort d’une promotion numérique et d’une remastérisation 2K, L’Étoile du Nordest enfin proposé dans un master HD de très haut niveau, qui permet d’apprécier enfin la belle photographie de Pierre-William Glenn comme il se doit. Bien qu’elles demeurent froides sur les séquences sombres, les scènes extérieures sont les mieux loties avec un relief plus probant, un piqué plus acéré et des détails plus nombreux. Les séquences nocturnes ne sont pas pour autant dédaignées avec une jolie restitution des matières, le grain cinéma est respecté, la copie affiche une stabilité jamais prise en défaut, la copie demeure impressionnante, la restauration est superbe (toutes les scories ont disparu) et les contrastes assurés avec des noirs solides.
Le mixage DTS-HD Master Audio Mono permet à la composition de Philippe Sarde d’être délivrée avec un coffre inédit. Également restauré, le son a subi un dépoussiérage depuis la dernière sortie du film en DVD. Le confort acoustique est ici largement assuré, jamais entaché par un souffle quelconque. La musique, les effets annexes, les voix des comédiens, tout est ici mis en valeur avec fluidité probante. Les sous-titres français pour sourds et malentendants sont aussi disponibles.