LES YEUX BANDÉS (Blindfold) réalisé par Philip Dunne, disponible en DVD et Combo Blu-ray + DVD le 8 décembre 2020 chez Elephant Films.
Acteurs : Rock Hudson, Claudia Cardinale, Jack Warden, Guy Stockwell, Brad Dexter, Anne Seymour, Alejandro Rey, Hari Rhodes…
Scénario : Philip Dunne & W.H. Menger, d’après le roman Blindfold de Lucille Fletcher
Photographie : Joseph MacDonald
Musique : Lalo Schifrin
Durée : 1h42
Année de sortie : 1966
LE FILM
Un éminent psychiatre, le Dr. Snow, suit un scientifique qui souffre de troubles émotionnels. Tous les deux sont kidnappés par une organisation secrète qui cherche à s’accaparer le fruit des recherches du savant.
Si le nom de Philip Dunne (1908-1992) vous dit quelque chose, c’est sûrement pour les films dont il est l’auteur, Le Dernier des Mohicans – The Last of the Mohicans (1936) de George B. Seitz, Suez (1938) d’Allan Dwan, Johnny Apollo (1940) de Henry Hathaway, le splendide Qu’elle était verte ma vallée – How Green Was My Valley (1941) de John Ford, le fantastique L’Aventure de madame Muir – The Ghost and Mrs. Muir (1947), La Flibustière des Antilles – Anne of the Indies (1951) et Le Gaucho – Way of a Gaucho (1952) de Jacques Tourneur, et La Tunique – The Robe (1953) de Henry Koster. Celui-ci passe aussi derrière la caméra en 1955 avec Prince of Players, interprété par Richard Burton. Il réalisera ainsi une dizaine de longs-métrages, dont le plus célèbre demeure assurément 10, rue Frederick – Ten North Frederick (1958) avec Gary Cooper. Les Yeux bandés – Blindfold, qu’il écrit et met en scène en 1965 est son dernier film. Pour cet ultime baroud d’honneur, le cinéaste et son coscénariste W.H. Menger s’inspirent d’un roman de Lucille Fletcher paru en 1960. Philip Dunne en tire une comédie d’espionnage, teinté de film d’aventure et d’action, le tout mâtiné d’une romance entre les deux protagonistes, incarnés par le couple glamour Rock Hudson et Claudia Cardinale. En dépit d’un rythme poussif et d’une intrigue quelque peu tarabiscotée, l’ensemble se suit sans déplaisir, surtout grâce à ses deux stars internationales qui rivalisent de charme et de sensualité.
Le général Pratt, un chef de la sécurité nationale, et ses collaborateurs approchent le Dr Bartholomew Snow, un psychiatre prospère, pour aider le gouvernement américain dans le secret, au sujet d’un patient dépressif une fois psychanalysé par le Dr Snow, qui était en fait un scientifique du gouvernement, et qui vient de faire une rechute très grave. Le général Pratt cache le patient, Arthur Vincenti, dans un endroit reculé connu sous le nom de « Base X », forçant le Dr Snow à porter un bandeau chaque fois qu’il y est emmené en avion et en voiture. Les agents ennemis et une organisation qui kidnappent et vendent des scientifiques au plus offrant veulent savoir ce que sait Vincenti, il est donc en danger. La sœur du patient, la belle Vicky Vincenti, croit à tort que c’est le Dr Snow qui l’a enlevé. Quand elle fait arrêter le médecin, Snow dit aux autorités et à la presse que lui et Vicky sont en fait en pleine querelle d’amoureux et qu’ils sont fiancés afin de garder secrète l’affaire Vincenti. Snow est un homme avec sept fiançailles ratées et ne voit rien de mal à utiliser une fausse union pour garder Vicky tranquille. Tous sont satisfaits de l’explication, sauf un détective suspect du NYPD nommé Harrigan. Un homme bégayant nommé Fitzpatrick, appartenant visiblement à la CIA, se présente à une séance avec le Dr Snow. Fitzpatrick prétend au Dr Snow que c’est en fait le général Pratt qui est l’agent ennemi. Cela a du sens pour le Dr Snow car il ne pouvait pas comprendre pourquoi Vincenti n’aurait pas été placé dans un hôpital militaire. Incapable de trouver le général, et les autorités ne voulant pas révéler si le général Pratt ou Fitzpatrick travaillent pour le gouvernement, le Dr Snow essaie de recréer les sons qu’il a entendu les yeux bandés pour retracer son chemin vers la base X.
Voilà, le plus gros de l’action est résumé. Sur ce postulat, Philip Dunne s’amuse à plonger ses personnages dans une histoire qui les dépasse et à laquelle ils semblent ne rien comprendre. Certains penseront évidemment à La Mort aux trousses – North by Northwest (1959), chef d’oeuvre absolu d’Alfred Hitchcock, qui comme Psychose l’année suivante, influencera le cinéma du monde entier avec moult ersatz qui fleuriront dans les salles. Les Yeux bandés est clairement une tentative d’imitation, du moins dans l’âme, puisqu’on y retrouve un héros malgré lui pris dans une spirale dont il essaye vainement de s’extraire, une conspiration invraisemblable, une belle demoiselle au caractère bien trempé, sans oublier l’épilogue épique avec quelques fusillades bien senties, jusqu’au baiser final. Malheureusement, Philip Dunne ne s’écarte jamais de ce cahier des charges et de ce fait, Les Yeux bandés apparaît un peu pépère.
Comme s’il pressentait lui-même qu’il arrivait au bout d’un genre qui a encore plus contribué à sa popularité dans les années 1960, Rock Hudson enchaînera directement sur l’exceptionnel L’Opération diabolique – Seconds de John Frankenheimer, dans lequel le comédien se mettra en danger, à tel point que le film déconcertera la critique et se soldera par un échec cinglant. Mais pour l’heure, Rock Hudson est toujours impeccable dans la peau de ce psychiatre, Don Juan à ses heures, qui collectionne les conquêtes et les mariages ratés, ce qui lui a valu le surnom de Barbe-Bleue. Son quotidien partagé entre ses longues balades à cheval dans Central Park et ses consultations, se trouve parasité du jour au lendemain, et sa vie risque d’être menacée. Dans les bras de Rock Hudson, Claudia Cardinale enflamme l’écran de son sex-appeal, de ses yeux de biche et de sa voix rocailleuse. Six ans seulement avec Le Bel Antonio de Mauro Bolognini, trois ans après Le Guépard – Il gattopardo de Luchino Visconti, l’actrice révélée en 1958 par Mario Monicelli dans Le Pigeon – I soliti ignoti démarrait sa carrière internationale grâce aux Yeux bandés, et débarquait tout juste du Plus Grand Cirque du monde – Circus World de Henry Hathaway. Elle allait ainsi enchaîner Les Centurions – Lost Command de Mark Robson, Les Professionnels – The Professionals de Richard Brooks et surtout Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone.
Le couple Rock Hudson – Claudia Cardinale fonctionne à plein régime dans Blindfold, comme la plupart du temps où le comédien star des studios Universal donnait la réplique à une actrice. De ce point de vue, nous sommes gâtés et sûrement pas déçus. C’est juste que Les yeux bandés n’a pas le peps, ce petit truc en plus qui aurait pu le faire décoller véritablement. On ne s’ennuie pas, mais on peut trouver le temps long, même si le charme sulfureux de la belle Claudia remédie systématiquement à cela puisqu’on pourrait la regarder pendant des heures sans se lasser. Comme si Philip Dunne l’avait bien compris, le cinéaste la filme sous tous les angles et la moule dans des costumes affriolants et moulants, tout cela pour le plaisir des yeux des spectateurs. Là-dessus, la photo très élégante de Joseph MacDonald (La Rue chaude – Walk on the Wild Side d’Edward Dmytryk, Taras Bulba de J. Lee Thompson) et la musique du maître Lalo Schifrin participent également à la bonne tenue des Yeux bandés, film qui reste séduisant.
LE BLU-RAY
Notre cycle Rock Hudson – Elephant Films se clôt avec Les Yeux bandés de Philip Dunne, qui n’était disponible qu’en DVD chez Universal en 2009, puis chez MEP Vidéo en 2010. Blindfold rejoint ainsi La Légende de l’épée magique de Nathan Juran, Ne dites jamais adieu de Jerry Hopper, Étranges compagnons de lit de Melvin Frank et Le Sport favori de l’homme de Howard Hawks dans la collection Cinéma Master Class de l’éditeur, en DVD, ainsi qu’en combo Blu-ray + DVD. Le menu principal est fixe et musical, et la jaquette toujours réversible.
Jean-Pierre Dionnet dresse le portrait de Roy Harold Scherer Jr., connu sous le nom de Rock Hudson (16’), « un des plus grands acteurs du monde, aussi important que Marlon Brando » que certains ont pu découvrir récemment à travers la mini-série Hollywood disponible sur Netflix, dans laquelle l’acteur Jake Picking interprète une version fictionnelle de l’acteur. Les grandes étapes de la carrière du comédien sont abordées, ainsi que ses films les plus emblématiques, son amitié avec Liz Taylor, l’ambiguïté sexuelle de Rock Hudson, sans oublier évidemment sa longue, fructueuse et immense collaboration avec Douglas Sirk.
Pour en savoir un peu plus sur Les Yeux bandés, nous ne saurons que trop vous conseiller de vous diriger vers la présentation du film de Philip Dunne, réalisée par Julien Comelli (18’30). Fidèle à l’éditeur depuis maintenant un bon bout de temps, le journaliste en culture-pop indique tout d’abord que le point de départ des Yeux bandés reste La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock, qui allait créer un « sous sous-genre » et ouvrir une brèche en 1959 à de multiples imitations, dont les principales demeurent pour lui Charade (1963) de Stanley Donen, Pas de lauriers pour les tueurs – The Prize (1963) de Mark Robson, Mirage (1965) d’Edward Dmytryk et surtout Arabesque (1966), cette fois encore réalisé par Stanley Donen, sorti trois semaines après Blindfold, qu’il éclipsera immédiatement. Julien Comelli indique pourquoi le film de Philip Dunne est à réhabiliter et apparaît comme étant le chaînon manquant de tous ces films. Il en vient à la production des Yeux bandés, le replace dans la carrière de Rock Hudson et donne quelques indications sur celle de Claudia Cardinale. Enfin, Julien Comelli rapproche le film qui nous intéresse aujourd’hui des Complices, écrit et réalisé par Charles Shyer en 1994, avec Julia Roberts et Nick Nolte, qui s’avère un bel hommage appuyé aux comédies d’espionnage des années 1960.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
En dehors du teint un peu trop rosé à notre goût des visages des comédiens, ce master HD des Yeux bandés est peut-être le plus beau de toute la vague Rock Hudson présentée par Elephant Films en décembre 2020. Certes, la restauration ne date pas d’hier, de très nombreux points blancs parsèment le générique d’ouverture, mais le cadre large se déploie ensuite avec une profondeur de champ impressionnante, un Technicolor foisonnant, une luminosité plaisante, un piqué aiguisé, des contrastés soignés et une stabilité jamais prise en défaut. La texture argentique est aussi bien gérée. Hormis les scènes sombres et tamisées, où la définition n’est pas aussi fine qu’espérée et où les poussières tendent à se dévoiler un peu plus, ce Blu-ray au format 1080p devrait contenter les aficionados de comédies d’espionnage vintage.
Les versions anglaise et française sont proposées en DTS-HD Master Audio mono 2.0. Passons rapidement sur la version française au doublage old-school très réussi, mais dont les voix paraissent parfois pincées. Privilégiez forcément la version originale, évidemment plus riche, vive, propre et aérée. Dans les deux cas, pas de souffle constaté et la musique bénéficie d’une jolie restitution. Les sous-titres français ne sont pas imposés.