Test Blu-ray / Les Magnats du pouvoir – Winter Kills, réalisé par William Richert

LES MAGNATS DU POUVOIR (Winter Kills) réalisé par William Richert, disponible en combo Blu-ray+DVD le 29 janvier 2020 chez Studiocanal.

Acteurs : Jeff Bridges, John Huston, Anthony Perkins, Eli Wallach, Sterling Hayden, Dorothy Malone, Tomas Milian, Belinda Bauer, Ralph Meeker, Toshirô Mifune…

Scénario : William Richert d’après le roman de Richard Condon

Photographie : Vilmos Zsigmond

Musique : Maurice Jarre

Durée : 1h33

Date de sortie initiale : 1979

LE FILM

Nick est le demi-frère d’un président des Etats-Unis assassiné il y a plus de quinze ans. Il est plongé dans le passé, quand un homme mourant lui révèle être le véritable assassin de son frère. Le présumé coupable arrêté à l’époque par la police n’était qu’un homme de paille. Nick mène l’enquête mais sa propre vie est alors menacée…

Complètement méconnu, ou même totalement oublié par les historiens du cinéma et par les cinéphiles, Les Magnats du pouvoir, connu également sous le titre Qui a tué le président ? ou bien encore Winter Kills en version originale, est un des films les plus étranges que vous pourrez voir dans votre vie. Quasi-inclassable, comédie noire et décalée, thriller d’espionnage pur et dur, drame psychologique, on ne sait ou plutôt on ne peut jamais trancher et même longtemps après, le film ne cesse de revenir dans la tête. Réalisé par William Richert (né en 1942), à la base producteur de documentaires (Derby, A Dancer’s life), scénariste (La Loi de la pagaille), acteur occasionnel, Winter Kills est son premier long métrage en tant que réalisateur. Aussi passionnant à l’écran que pour l’histoire de son tournage catastrophique, Les Magnats du pouvoir est en fait l’aboutissement de quinze années d’enquête sur l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, puisque son récit condense toutes les théories du complot qui ont fleuri autour de ce drame historique. Sur un scénario foisonnant, passionnant, mais aussi ultra-complexe, William Richert livre une fabuleuse adaptation du roman de Richard Condon (auteur d’Un crime dans la tête, transposé par John Frankenheimer en 1962) dans laquelle brillent de fantastiques comédiens (et quel casting !), menés par le grand Jeff Bridges. Une découverte s’impose.

Années 1970. Le président Tim Keegan a été assassiné à Philadelphie 19 ans plus tôt. Nick, le demi-frère du défunt président travaille sur un bateau armé appartenant à son père, richissime homme d’affaires. Un jour, un associé de ce dernier arrive par hélicoptère sur le pont du bateau et débarque avec un blessé, un certain Fletcher. Nick est convoqué pour entendre les aveux sur son lit de mort de cet homme prétendant être le deuxième tireur à l’hôtel de ville. Le mourant déclare que le coup a été commandé par un truand appelé Casper Jr. Nick part à la découverte de la vérité, et localise le fusil du tireur. Quand les hommes qui l’accompagnent sont abattus, Nick demande l’aide de son père. Pa Kegan, patriarche cruellement déçu par le manque de perspicacité politique et commerciale de Nick, prend le commandement de l’enquête avec l’aide de John Cerruti, son bras droit. Nick se soumet à cette directive…

L’Amérique et même le monde ne se sont jamais remis de cet évènement tragique survenu le 22 novembre 1963. A l’aube des années 1980, il est peut-être temps de dresser un bilan et de mettre sur table les résultats des investigations menées, même si la célèbre commission fédérale chargée de faire la lumière sur l’assassinat, la Commission Warren, avait déjà remis son rapport en 1964. A travers son long métrage, William Richert rend compte de la spirale infernale, de l’abîme, du trou noir dans lequel le monde a plongé. Winter Kills prend la forme d’un puzzle éclaté, de poupées russes se multipliant à l’infini, chacune renfermant un nouveau suspect, une nouvelle piste, un élément que l’on ne soupçonnait pas. Découvert dans La Dernière SéanceThe Last Picture Show (1971) de Peter Bodganovich, Jeff Bridges aura immédiatement enchaîné les projets ambitieux et surtout les collaborations avec les plus grands noms, John Huston (La Dernière ChanceFat City), John Frankenheimer (The Iceman Cometh), Michael Cimino (Le Canardeur). Alors qu’il vient d’affronter King Kong dans le remake éponyme de John Guillermin, le comédien se jette à corps perdu dans Qui a tué le président ?, sans imaginer que le tournage sera chaotique, au point que la production sera obligée de s’arrêter, pour reprendre quelques mois plus tard, faute de financements. Entre l’assassinat d’un des producteurs, vraisemblablement lié à la mafia, l’argent qui réapparaît miraculeusement, en liquide et dans quelques sacs non identifiés, les membres de l’équipe non payés, le forcing des syndicats pour couper l’électricité durant les prises de vue, le mauvais temps, Winter Kills mettra plus de deux ans pour être bouclé. Toujours est-il que le résultat à l’écran est on ne peut plus bluffant. D’une part parce que les monstres du cinéma se succèdent à l’écran et tournent autour de Jeff Bridges (quasiment présent dans toutes les scènes), d’une part en raison de son intrigue troublante, tragi-comique, durant laquelle le cinéaste s’amuse à faire perdre leurs repères aux spectateurs et à son personnage principal.

Autour de la tête d’affiche, John Huston, Anthony Perkins, Eli Wallach, Sterling Hayden, Dorothy Malone, Tomas Milian, Ralph Meeker, Toshirô Mifune, Richard Boone, Joe Spinell, Elizabeth Taylor (non créditée au générique et qui n’a pas une seule réplique) et la brûlante Belinda Bauer complètent ce générique extraordinaire, chacun apportant sa pierre à l’édifice, relançant ce récit kafkaïen, enfonçant sans cesse le personnage principal dans un terrier sans fond, comme celui du Lapin Blanc dans Alice au pays des merveilles. L’enquête brumeuse et labyrinthique menée par Nick est d’ailleurs sans cesse appuyée par la merveilleuse photographie signée d’un des plus grands chefs opérateurs de l’histoire du cinéma, Vilmos Zsigmond (John McCabe, Délivrance, Obsession), qui comme son confrère Geoffrey Unsworth parvenait à représenter à l’écran le mirage, le désenchantement et la quête sans fin à travers des partis pris diffus et éthérés, tandis que la partition de Maurice Jarre appuie sans cesse l’ironie de la situation.

William Richert ne s’encombre jamais d’explications rationnelles et ne donne pas suite à certains rebondissements inattendus (les trois meurtres dans la voiture, la bombe dans la rue), comme s’ils n’avaient quasiment aucune incidence sur Nick, qui continue de foncer tête baissée vers l’inévitable mur infranchissable qui se dressera tôt ou tard devant lui.

Winter Kills ne restera qu’une semaine dans les salles américaines et ne connaîtra quasiment aucune carrière internationale. William Richert ne réalisera par la suite que trois longs métrages, The American Success Company (tourné avec Jeff Bridges et Belinda Bauer, dans le but de trouver de l’argent afin de terminer Les Magnats du pouvoir), Jimmy Reardon (1988) avec River Phoenix et une adaptation de L’Homme au Masque de Fer qui aura la malchance de sortir la même année que celle de Randall Wallace avec Leonardo DiCaprio. Depuis, Winter Kills n’a eu de cesse de connaître un véritable regain d’intérêt grâce à sa sortie en DVD et à l’engouement de la nouvelle critique cinématographique. Il était temps !

LE COMBO BLU-RAY/DVD

Winter Kills est déjà le vingtième titre de la collection Make My Day ! supervisée par Jean-Baptiste Thoret. Le DVD et le Blu-ray reposent dans un Digipack à deux volets, glissé dans un surétui au visuel superbe. Le menu principal est typique de la collection, très légèrement animé et musical.

En tant que créateur de cette collection, Jean-Baptiste Thoret présente tout naturellement le film qui nous intéresse au cours d’une préface en avant-programme (7’). Comme il en a l’habitude, le critique replace de manière passionnante Winter Kills dans son contexte, dans la filmographie et le parcours de William Richert. Il évoque également la rareté du film (« Vous allez voir, revoir, à mon avis ce sera plutôt découvrir… »), le roman de Richard Condon, la genèse de son adaptation, les conditions de tournage, les partis pris, les intentions du cinéaste, le casting et bien d’autres éléments. Tout cela est abordé sans pour autant spoiler le film pour celles et ceux qui ne l’auraient pas encore vu.

Pour en savoir le plus possible sur le film après son visionnage, n’hésitez pas à le revoir avec le commentaire audio du réalisateur William Richert (sous-titré en français). Dynamique et enjoué, le réalisateur s’exprime dès les trente premières secondes sur l’assassinat du producteur Leonard J. Goldberg survenu durant le tournage. Cette anecdote donne le ton puisque William Richert abordera les houleuses conditions de prises de vues et les incidents qui conduiront la production à s’arrêter à trois reprises. Aucun temps mort durant ce commentaire, le cinéaste est très à l’aise dans l’exercice, passant d’une anecdote à l’autre sur le casting (Dorothy Malone engagée par erreur à la place de Dorothy McGuire, Richard Boone ivre durant tout le tournage), la musique de Maurice Jarre, des scènes coupées (non présentes sur cette édition), la photo de Vilmos Zsigmond (inspirée par les peintures de Rembrandt)…

Jean-Baptiste Thoret reprend ensuite la parole pour une analyse-critique de Winter Kills (12’). La voix de l’historien du cinéma est savamment posée sur un montage d’images tirées du film. Comme à son habitude, cette réflexion est passionnante et donne envie de revoir l’oeuvre de William Richert avec ces arguments dans la tête.

Qui a tué Les magnats du Pouvoir ? (36’, contrairement aux 12 minutes indiquées sur le surétui cartonné) croise les propos du réalisateur William Richert, des comédiens Jeff Bridges et Belinda Bauer, du directeur de la photographie Vilmos Zsigmond (disparu en 2016) et du décorateur Robert Boyle (décédé en 2010). Forcément, certains souvenirs partagés ici font inévitablement redondance avec ceux entendus durant le commentaire audio du réalisateur, mais dans l’ensemble, les deux suppléments se complètent bien. Documentaire réalisé en 2003.

Jeff Bridges et William Richert (9’) se retrouvent face caméra en 2003 pour évoquer une fois de plus l’incroyable aventure du tournage de Winter Kills et se félicitent de voir le film enfin édité en DVD chez Anchor Bay.

L’interactivité se clôt sur une dernière intervention de William Richert (7’30) qui livre quelques nouveaux secrets de tournage liés à Elizabeth Taylor et à Richard Boone.

L’Image et le son

Studiocanal nous permet de (re)découvrir Winter Kills dans de très belles conditions techniques et un master restauré 4K. Les partis-pris esthétiques concoctés par le chef opérateur Vilmos Zsigmond auraient pu donner du fil à retordre au codec AVC, mais il n’en est rien. L’équilibre est omniprésent, y compris sur les séquences sombres ou nocturnes avec des noirs denses, des contrastes soignés, de magnifiques couleurs inspirées de Rembrandt. La copie est d’une propreté immaculée et l’apport HD est loin d’être négligeable. D’une part parce-que les scènes diurnes sont magnifiquement restituées avec un sensible halo de lumière vaporeux fort plaisant, mais nous découvrons également un lot de détails inédit qui flatte la rétine, d’autant plus que le cadre large est superbement exploité. Enfin, le grain argentique est absolument splendide.

La version originale (seule piste disponible sur cette édition) bénéficie d’une piste Stéréo exemplaire et limpide, restituant les dialogues avec minutie ainsi que l’enivrante bande-originale signée Maurice Jarre qui jouit d’un coffre inédit. Les effets sont solides, le confort acoustique largement assuré.

Crédits images : © Studiocanal / Films / Winter Gold Productions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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