LES ENFANTS TERRIBLES réalisé par Jean-Pierre Melville, disponible en DVD et Blu-ray en édition Édition 70ème anniversaire – Coffret collector limité le 16 juin 2021 chez LCJ Editions & Productions.
Acteurs : Nicole Stéphane, Edouard Dermithe, Renée Cosima, Jacques Bernard, Melvyn Martin, Maria Cyliakus, Jean-Marie Robain, Maurice Revel…
Scénario : Jean Cocteau & Jean-Pierre Melville, d’après le roman de Jean Cocteau
Photographie : Henri Decaë
Musique : Johann Sebastian Bach & Antonio Vivaldi
Durée : 1h46
Date de sortie initiale : 1950
LE FILM
Paul et Elisabeth sont frère et soeur. Entre eux, existe un lien étrange et exclusif, qui peut les amener à refuser la présence des autres. Dans la demeure familiale, ils ont un bien à eux : leur chambre. Celle-ci est un véritable sanctuaire où trône un « trésor » chargé d’une signification également connue d’eux seuls. Élisabeth rencontre Michaël et l’épouse, mais, le jour suivant, il meurt lors d’un accident…
Contrairement à ce que beaucoup de cinéphiles ont encore souvent tendance à penser, Les Enfants terribles n’est pas réalisé par Jean Cocteau (1889-1963), mais par Jean-Pierre Melville (1917-1973), dont il s’agissait de la première œuvre de commande. Il est vrai que ce drame, évidemment adapté du livre éponyme, le plus connu de son auteur, écrit en une semaine durant une période de sevrage d’opiacé, et publié en 1929, est guère représentatif du metteur en scène du Deuxième souffle (1966), du Samouraï (1967), de L’Armée des ombres (1969) ou bien encore du Cercle rouge (1970). Pourtant, ces deux univers et sensibilités disparates, que l’on pensait incompatibles, ont bel et bien débouché sur ce projet commun. Si Jean-Pierre Melville reste bien le réalisateur sur ce film, le scénario et la transposition ont été signés par les deux hommes, tandis que Jean Cocteau prête sa voix inimitable au narrateur des Enfants terribles version cinéma et écrit les dialogues. Soixante-dix ans après sa sortie, on ne peut pas dire que les années ont été douces pour ce psychodrame disons-le pompeux, souvent insupportable, où le surjeu (ou le non-jeu, c’est selon) des deux têtes d’affiche, Edouard Dermit (petit mignon de Cocteau, qui était aussi son fils adoptif, imposé à Melville par l’artiste) et Nicole Stéphane, en tout point irritants, bien trop âgés pour incarner les personnages (ou comment jouer un ado quand on a déjà 25 ans), a raison de notre patience, en passant leur temps à se crier dessus ou à imiter des gamins de 10 ans qui s’engueulent tout le temps. Si l’on peut sauver à la rigueur la superbe photographie d’Henri Decaë (Un château en enfer, Flic ou voyou, La Tulipe Noire), il n’est pas certain que celles et ceux qui avaient déjà pu être réfractaires aux Enfants terribles lors d’une précédente projection lui trouvent de nouvelles qualités. Quant à ceux qui ne l’auraient jamais vu, bonne chance à eux et armez-vous de café noir.
Après la mort de leur mère, Élisabeth et Paul, frère et sœur orphelins livrés à eux-mêmes et liés par une affection exclusive, vivent ensemble dans leur grand appartement parisien. Ils se sont construit un univers chimérique régi par de sibyllins symboles. Leur chambre est un véritable sanctuaire où trône un « trésor » chargé d’une signification également connue d’eux seuls. Élisabeth rencontre Michaël et l’épouse, mais, le jour suivant, il meurt lors d’un accident sans que leur mariage ait été consommé. Elle hérite de la fortune de Michaël, dont un vaste hôtel particulier où Paul vient la rejoindre avec leur fameux trésor. Gérard, un camarade de Paul et son amie Agathe, qui ressemble étrangement à Dargelos (un collégien que Paul idolâtre), viennent bientôt habiter avec eux. Mais lorsqu’Élisabeth comprend que l’amour naît entre son frère et Agathe, telle une divinité grecque, une sorte de Parque, elle tisse une toile machiavélique afin que son frère ne puisse lui échapper.
« D’après l »oeuvre célébrée de Jean Cocteau… »
Amateurs de cinéma, si vous décidez de vous lancer dans la filmographie de Jean-Pierre Melville, ou même celle de Jean Cocteau, ne commencez surtout pas par Les Enfants terribles. Cela risquerait de vous décourager pour la suite et ce serait vraiment dommage. Pourtant, le second long-métrage du cinéaste, sorti un an tout juste après Le Silence de la mer, adaptation de la nouvelle de Vercors, déjà avec Nicole Stéphane, démarre sous les meilleurs auspices, par une magnifique séquence d’exposition, celle de la bataille de boules de neige. Les images sont somptueuses, la profondeur de champ dingue, les mouvements de caméra virtuoses. Puis, tout s’écroule instantanément dès la première réplique. Le phrasé et le jeu lourd comme un parpaing de chaque comédien entraînent immédiatement un rejet. Malgré toute la bonne volonté du monde, jamais le spectateur ne peut s’attacher à un seul personnage. Aucune empathie ne se fait, chaque protagoniste joue avec les nerfs. De ce fait, il est extrêmement difficile d’aller jusqu’au bout de ces Enfants terribles, qu’on a sans cesse envie de baffer, de secouer. Si l’association Melville-Cocteau pouvait vraiment titiller le cinéphile, le résultat fait penser à celle de l’huile et du vinaigre, trop hétérogène et rien ne peut aider ces deux ingrédients à se mélanger pour donner une âme (ou du goût pour le coup) à une œuvre qui reste désespérément fade. Si le poète, peintre, dessinateur, dramaturge et cinéaste a bien tenté d’imposer d’autres éléments, dont son amant, Jean-Pierre Melville ne s’est pas laissé « piétiner » et a su imposer sa vision, même s’il voulait à l’origine placer l’intrigue dans la France des Années Folles (qui selon lui s’imposaient et représentaient la sève du roman), la deuxième et dernière concession à laquelle il a dû se plier pour pouvoir mettre en scène le film. Pendant ce temps, les compositions de Johann Sebastian Bach et Antonio Vivaldi s’affolent et prennent le pas sur les échanges, ne laissant aucune respiration aux protagonistes, ni par ailleurs aux spectateurs. Pour résumer, c’est pénible, redondant, aberrant, interminable, verbeux, gênant, pitoyable, hystérique, indigeste et les deux acteurs principaux sont tellement mauvais (on finit même par se foutre complètement de cette histoire quasi-incestueuse) qu’ils finissent par éclipser leurs partenaires, pourtant bien plus crédibles et justes.
A sa sortie fin mars 1950, Les Enfants terribles déçoit à la fois la critique et le public. 720.000 spectateurs, un score deux fois moins élevé que celui du Silence de la mer, se déplaceront quand même au cinéma. Quant à savoir dans quel état ils en sont sortis, c’est une autre histoire.
LE BLU-RAY
Les Enfants terribles avait tout d’abord été présenté en édition 2 DVD chez Opening en 2004 et ce jusqu’en 2013, année où le film de Jean-Pierre Melville intègre le catalogue de LCJ Editions, en DVD, sans aucun supplément. A l’occasion de son 70ème anniversaire, Les Enfants terribles débarque en Coffret Collector Limité, en DVD et en Blu-ray. Une superbe édition composée d’un livret exclusif de 52 pages rédigé par Marc Toullec (revenant sur la genèse du film, sa production, son tournage et la sortie), richement illustré de photos inédites, de storyboards et concepts d’affiches dessinés par Jean Cocteau. Ce Mediabook, limité à 3000 exemplaires (un flyer indique le numéro de votre exemplaire), est glissé dans un solide fourreau cartonné au visuel franchement somptueux. Le menu principal est animé et musical.
C’est pas la modestie qui étouffait Jean Cocteau se dit-on après avoir visionné, pour ne pas dire supporté le module intitulé Cocteau à la villa Santo Sospir (38’, 1952). Aujourd’hui située avenue Jean-Cocteau à Saint-Jean-Cap-Ferrat, cette habitation, construite au début des années 1930, reste célèbre pour avoir été décorée de fresques par l’artiste. En 1950, ce dernier, invité par la productrice et mécène Francine Weisweiller (que l’on aperçoit ici au détour d’un plan), à qui appartenait la propriété, obtient le feu vert pour dessiner une tête d’Apollon au-dessus de la cheminée du salon. Il s’agissait alors de son premier « tatouage » de la villa Santo Sospir, puisque Jean Cocteau allait s’attaquer à tous les murs de la maison. Le documentaire La Villa Santo Sospir est une visite guidée de la villa, réalisée (en 16mm) par Jean Cocteau lui-même, qui à cette occasion a « voulu faire un film d’amateur », histoire de se mettre au même niveau que le petit peuple, pour lui montrer ses créations qu’il considérait visiblement comme étant splendides. On se lasse très vite de ce montage qui présente paresseusement la grande décoration murale du peintre, comme si ce dernier ne pouvait s’empêcher d’admirer son propre travail en attendant qu’on vienne le féliciter pour ses coups de pinceaux.
Aaaaaaah, planquez-vous, il est de retour !!! HJS, Henry-Jean Servat, le « journaliste » qui s’intéresse à la prostate, à la dialyse ou à la hanche en plastique des vieux mondains ou comédiens oubliés, celui qui m’a envoyé un gentil mail en qualifiant mon pseudonyme de « con-con » a été rappelé par LCJ Editions pour se rendre en Camargue, afin d’y interviewer Carole Weisweiller (35’). Après ses inénarrables interventions sur les éditions des Monstres, du Fanfaron, de Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ! et du Sexe fou, ce brave Henry-Jean a enfilé sa plus belle chemise (avec laquelle on le confond au milieu des flamands roses) et vient faire la carpette devant l’auteure d’ouvrages consacrés à Jean Cocteau (Les Murs de Jean Cocteau, Jean Cocteau : Les Années Francine (1950-1963), Je l’appelais Monsieur Cocteau). Cette dernière, « riche héritière » comme la qualifie HJS en se léchant les babines, revient pendant dix minutes sur l’origine de sa demeure, sur sa passion sur la corrida (là-dessus, HJS se tait, même s’il défend la cause animale depuis quelques temps, mais il ne faut pas froisser ses hôtes et ceux qui vous font bouffer), évoque sa mère Francine Weisweiller…vous pouvez faire avance rapide et reprendre vers 15 minutes, quand Carole Weisweiller commence enfin à parler de Jean Cocteau, qu’elle a rencontré à la fin des années 1940, au moment de la production des Enfants terribles. Cela devient enfin un peu plus intéressant, toutes proportions gardées, étant donné que l’intéressée n’avait même pas dix ans et que ses souvenirs restent flous. On apprend également qu’elle a financé la restauration du film qui nous intéresse aujourd’hui.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce (non restaurée), qui se permet de dévoiler la fin du film. Dommage de ne pas trouver un supplément centré sur Jean-Pierre Melville, ce qui aurait été bien plus passionnant…
L’Image et le son
Les Enfants terribles a été restauré 4K à partir du négatif nitrate image monté et du négatif son français. L’étalonnage a été réalisé en salle sur projecteur 4K Laser et supervisé par Laurent Desbruères (Un jeu d’enfants de Laurent Tuel, Le Crocodile du Botswanga de Lionel Steketee et Fabrice Eboué). Quant aux travaux numériques, ceux-ci ont été confiés à VDM en juin 2020. La restauration du film de Jean-Pierre Melville s’avère on ne peut plus impressionnante. Le nouveau master HD (codec AVC) au format respecté se révèle extrêmement pointilleux en matière de piqué, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés, de stabilité, de clarté et de relief. La propreté de la copie est souvent sidérante, la nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans du cinéaste, la photo signée par le grand Henri Decaë (Bob le flambeur, Ascenseur pour l’échafaud, Les Quatre Cents Coups, Plein soleil, Le Corniaud…) retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé. En un mot, c’est sublime.
C’est un peu plus chancelant en ce qui concerne le son, même si un nettoyage a été effectué. En effet, comme nous l’indiquions dans la critique du film, les personnages passent leur temps à se prendre la tête et à se gueuler dessus. Du coup, on n’évite pas la saturation sur certains échanges et lors d’envolées de Vivaldi. Un léger souffle s’incruste aussi à plusieurs reprises. Enfin, nous en avons déjà parlé, LCJ Editions oublie une fois de plus les sous-titres destinés aux spectateurs sourds et malentendants.