LE MONOCLE RIT JAUNE réalisé par Georges Lautner, disponible en Édition Digibook Blu-ray + DVD + Livret le 6 mars 2020 chez Coin de mire Cinéma
Acteurs : Paul Meurisse, Marcel Dalio, Olivier Despax, Robert Dalban, Barbara Steele, Edwards Meeks, Rénée Saint-Cyr, Lino Ventura…
Scénario : Albert Kantof, Jacques Robert, Colonel Remy
Photographie : Maurice Fellous
Musique : Michel Magne
Durée : 1h37
Date de sortie initiale : 1964
LE FILM
Le monde entier subit une vague de meurtres de savants atomistes et d’attentats contre des installations nucléaires. Lorsqu’un commando est surpris en plein acte, on charge le commandant Dromard, dit « Le Monocle » de mener l’enquête qui le conduit à Hong-Kong…
Troisième et dernier volet de la trilogie dite du Monocle, Le Monocle rit jaune (1964) est assurément le meilleur volet de la saga. A l’époque du Monocle noir (1961), le réalisateur Georges Lautner n’a que quatre longs métrages à son actif quand il découvre le roman éponyme, écrit par le Colonel Rémy et publié en 1960. Résolument sombre, cette série noire (Prix du Quai des Orfèvres en 1960) évoque même un avortement et un foetus jeté dans les flammes. Peu passionné par le livre, le réalisateur y voit néanmoins l’occasion de dynamiter les codes du polar au cinéma en y intégrant une dose massive de second degré et de fantaisie. Une comédie d’espionnage, ce qui était alors impensable. Rétrospectivement, Le Monocle noir est le film avec lequel le cinéaste des Tontons flingueurs, Les Barbouzes et Ne nous fâchons pas, créé sa marque de fabrique. Toutefois, même si la mise en scène demeure géniale avec ses cadres composés et son N&B élégant, Le Monocle noir souffre aujourd’hui d’une exposition poussive et interminable, d’un rythme en dents de scie, de loooongues scènes de dialogues, d’un intérêt très relatif et d’une intrigue à laquelle on ne comprend absolument rien et qui surtout ne passionne jamais. Tout repose sur la réalisation de Georges Lautner donc, mais aussi sur les dialogues concoctés par Pierre Laroche (également scénariste), l’interprétation explosive du grand Paul Meurisse, qui de son côté avait tout fait pour « saboter » une oeuvre « sérieuse » que lui imposait son contrat.
Le comédien est extraordinaire dans la peau du fameux Monocle. Sa démarche, sa voix, son flegme, la façon de tenir son pistolet font de ce personnage une véritable icône du cinéma français des années 1960. Paul Meurisse se délecte à chaque réplique tout en forçant volontiers le trait, pour notre plus grand plaisir. Le reste du casting prend alors le pas sur ce ton décalé, notamment l’immense Bernard Blier (qui ouvre le film en disant que « tout ceci n’est pas sérieux »), Jacques Marin, Albert Rémy, Pierre Blanchar, Jacques Dufilho, sans oublier les charmantes présences d’Elga Andersen et de Marie Dubois. Grand succès de l’année 1961 au box-office, Le Monocle noir engendrera deux suites, L’Oeil du Monocle (1962) et Le Monocle rit jaune (1964). Nous arrivons au second chapitre. 1962. Les services secrets anglais et soviétiques envoient leurs espions aux trousses d’un Allemand, Hektor Schlumpf, qui veut récupérer une cargaison d’archives classées secret défense et d’or, immergée au large de la Corse depuis 1944. Mais Schlumpf est déjà protégé par les services français, représentés par le commandant Dromard alias Le Monocle, en échange de papiers compromettants pour les nations alliées pendant la guerre.
Contre toutes attentes, Le Monocle noir a connu un franc succès dans les salles en 1961 avec plus de 1,6 millions de spectateurs. Après le sérieux et violent Septième juré, Georges Lautner concocte une nouvelle aventure pour le commandant Dromard avec L’Oeil du Monocle. Paul Meurisse reprend évidemment son rôle et se lâche cette fois véritablement dans le non-sens.
Plus aucune retenue. Le personnage est encore plus cynique et ne cesse de livrer des punchlines encore plus fracassantes que dans le premier opus en tenant son revolver comme un bouquet de fleurs ou en entamant une danse endiablée. En revanche, les points faibles demeurent identiques. Le rythme est lent, poussif, le film est très bavard, l’histoire ne passionne guère.
Excellent artisan, Georges Lautner soigne une fois de plus le cadre, filme magnifiquement la Corse avec une profondeur de champ virtuose et la séquence d’ouverture est un grand moment. Le casting est au beau fixe, Robert Dalban toujours parfait en homme de main, Maurice Biraud pataud à souhait, tandis que certains acteurs de la bande à Lautner font leur apparition comme Henri Cogan et Jean Luisi. Pour l’anecdote, c’est le rire de ce dernier, entendu à maintes reprises dans L’Oeil du Monocle, qui sera repris pour illustrer celui du sorcier perché sur son totem dans Ils sont fous ces sorciers, réalisé par Georges Lautner en 1978.
Pour résumer, L’Oeil du Monocle surpasse le premier opus, en rajoute dans les rebondissements, les trahisons et les poursuites, mais peine aujourd’hui à retenir l’attention en raison d’une intrigue inutilement tarabiscotée et d’un rythme inégal. Mais le charme suranné fonctionne encore.
Nous arrivons enfin au Monocle rit jaune. Avant d’entreprendre ce troisième et dernier opus, Georges Lautner se voit confier un budget important pour Les Tontons flingueurs. Néanmoins, peu confiant et angoissé, le cinéaste, alors en plein montage décide d’enchaîner directement avec deux films très modestes, Des pissenlits par la racine et Le Monocle rit jaune, qui sortiront à cinq mois d’intervalle en 1964. Tourné essentiellement à Hong Kong avec les moyens du bord (le budget étant le plus faible des trois opus), cette troisième et ultime aventure du fameux Dromard est indéniablement la plus drôle de la trilogie. Là où l’intrigue était prétexte dans les deux précédents, surtout le premier, et s’éparpillait, l’histoire est ici plus linéaire et donc les gags plus accrocheurs, car menés sur un vrai fil conducteur du début à la fin sans se perdre inutilement à droite à gauche.
Le commandant Dromard (Paul Meurisse), escorté de son fidèle second le sergent Poussin (Robert Dalban), est envoyé à Hong-Kong pour éclaircir et arrêter une série de meurtres et de sabotages qui se succèdent de façon inquiétante dans le personnel et les installations de la recherche atomique mondiale. A peine débarqué, Dromard perd la seule filière dont il dispose : le suspect qu’il piste est assassiné à sa descente d’avion. Les deux agents secrets sont secondés par le correspondant du S. R., l’ancien légionnaire Elie Meyeritsky (Marcel Dalio), et par Frédéric de Lapérouse (Olivier Despax), attaché au consulat français. Malgré tout, il leur faut collaborer avec Sydney (Edward Meeks), commandant anglais de la police de Hong-Kong. En effet, Dromard a découvert que les attentats sont le fait d’un groupe dissident des T’ai-pings qui veut triompher du péril atomique par la violence, et la prochaine action doit faire sauter en rade de Hong-Kong un porte-avions atomique américain. Désormais, le commandant et ses adjoints sont traqués par la secte.
« Jusqu’à présent, j’ai fait ce qu’il convenait que je fisse. Maintenant, je ferai ce qu’il est nécessaire que je fasse ! ».
Tourné au téléobjectif dans les rues de Hong Kong, Le Monocle rit jaune est une aventure à la « James Bond » qui sent le gros rouge qui tâche, qui reste l’une des grandes références des deux OSS 117 de Serge Hazanavicius. C’est dire la grande réussite de ce troisième épisode qui met les bouchées doubles (pour ne pas dire triples) dans la déconnade chère à Georges Lautner et ses potes, derrière comme devant la caméra. Entre Robert Dalban qui fait du taekwondo, Paul Meurisse qui s’adresse directement à la caméra (« C’est peut-être beaucoup non ? ») quand il dézingue plusieurs sbires d’un seul coup de feu, Marcel Dalio qui entonne « J’irai revoir ma Normandie » (comme au début des Aventures de Rabbi Jacob) avec ses deux complices devant quelques chinois médusés, Le Monocle rit jaune pousse les compteurs, les explose. Le film est en plus de ça très beau à regarder, même si Georges Lautner s’écarte d’une vision carte postale de Hong Kong et se rapproche d’une dimension documentaire en suivant ses personnes paumés au milieu de la foule. Chose amusante, si les cinéphiles se souviennent de l’apparition du Monocle à la fin des Tontons flingueurs, c’est ici Lino Ventura qui fait un caméo de quelques secondes dans Le Monocle rit jaune ! Les autres reconnaîtront la mythique Barbara Steele, co-production oblige, dans le rôle de la belle Valérie. D’ailleurs, Paul Meurisse étant particulièrement condescendant avec sa partenaire en raison de sa notoriété dûe au cinéma d’épouvante (qu’il détestait), Georges Lautner se fâchera définitivement avec le comédien. Le cinéaste y dirige aussi sa mère Renée Saint-Cyr, pour la première fois de sa carrière.
« Plus je vois ces chinois, plus je me dis, mon Dieu, qu’ils sont français ! ».
Droit comme un i, abattant ses adversaires comme des cibles d’un ball-trap, sautant comme un cabri quand il appuie sur la gâchette, Théobald Dromard parviendra à démasquer le maître des assassins, Oscar Hui, un banquier asiatique très considéré, puis à échapper aux tueurs, tout en déjouant bien sûr, grâce à la diplomatie, le dernier stratagème de Hui : se faire passer pour mort et envoyer son pseudo cercueil bourré d’explosifs contre un navire américain. Cette aventure marquera l’officier du Deuxième Bureau des renseignements français, au sens propre comme au figuré, ce qui nous vaut un dernier gag visuel culotté.
Le Monocle rit jaune est un feu d’artifice de second degré qui annonce d’ailleurs celui des Barbouzes. Georges Lautner et Paul Meurisse livrent un film au ton avant-gardiste (qui fera d’ailleurs un meilleur score au box-office que le second épisode), mais avant tout une comédie succulente et explosive, génialement mise en scène et interprétée et dont la sublime partition de Michel Magne, inspirée de Take Five de Dave Brubeck, résonne encore longtemps après.
LE DIGIBOOK
Coin de Mire Cinéma dévoile enfin sa Vague 4. En plus du Monocle rit jaune, celle-ci contiendra également Les Espions (1957) et La Vérité (1960) de Henri-Georges Clouzot, Des pissenlits par la racine (1964) de Georges Lautner, La Chasse à l’homme (1964) d’Edouard Molinaro et Les Jeunes loups (1968) de Marcel Carné. Pour connaître toutes les spécificités de ces éditions depuis le lancement de cette magnifique collection dite de « La Séance », nous vous renvoyons à notre premier article qui lui est consacré https://homepopcorn.fr/test-blu-ray-archimede-le-clochard-realise-par-gilles-grangier/ . Tous les titres de cette collection (édités à 3000 exemplaires) ont été passés en revue dans nos colonnes et comprend désormais 25 titres !
L’édition prend évidemment la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie de Georges Lautner avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction du dossier de presse original et d’articles divers. Le menu principal est fixe et musical.
Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores. Le film démarre une fois que le salut du petit Jean Mineur (Balzac 00.01).
L’édition du Monocle rit jaune contient donc les actualités de la 38e semaine de l’année 1964 (9’). On y découvre un reportage sur la fabrication et le marché de l’acier à travers le monde, un autre consacré aux nouvelles recherches concernant la construction d’un tunnel sous la Manche, sans oublier le record réalisé par un train reliant Paris-Bruxelles en 2h30 ! Enfin, ce document se clôt sur la situation du tourisme à Paris (on y déplore le prix élevé des restaurants), l’explosion du camping en France (très prisé par les étrangers), tandis que l’Hexagone se prépare pour les Jeux Olympiques d’été qui se tiendront au Japon.
Ne manquez pas les formidables réclames de l’année 1964 ! Demandez les chocolats glacés Stromboli ! Robert Hossein s’adresse aux spectateurs pour leur parler de la lutte contre le cancer, la laque Cadonett fixera les cheveux de ces belles dames (Romy Schneider fait une rapide apparition), tandis que Total vous invite à venir faire le plein dans une de ses stations (6’).
Habituellement invité par Elephant Films, Julien Comelli, journaliste en culture pop, apparaît pour la première fois chez Coin de Mire Cinéma, pour nous présenter Le Monocle rit jaune (40’). Le film est longuement replacé dans la carrière de Georges Lautner, avant d’être analysé, tant sur le fond que sur la forme. Julien Comelli, qui avait interviewé le réalisateur à deux reprises en 2005, une fois par téléphone, une autre fois de vive voix, propose d’écouter quelques extraits de cet entretien. Les conditions de tournage y sont abordées, tout comme le casting et d’autres éléments, sans aucun temps mort.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces, dont celle du Monocle rit jaune, narrée par Michel Serrault.
L’Image et le son.
La restauration numérique 4K a été réalisée par les laboratoires de l’Immagine Ritrovata de la Cinémathèque de Bologne à partir du négatif original. Le nouveau master HD du Monocle rit jaune au format 1.66 respecté se révèle extrêmement pointilleux en terme de piqué, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés et de relief. La propreté de la copie est souvent sidérante (quelques poussières et lignes verticales subsistent), la nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans de Georges Lautner, la photo signée par le grand Maurice Fellous (Le Septième juré, Les Tontons flingueurs, Le Pacha) retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le grain d’origine a heureusement été conservé. Les fondus enchaînés sont également fluides et n’occasionnent pas de décrochages. En revanche, certains stock-shots ou les quelques plans filmés au téléobjectif se voient comme le nez au milieu de la figure.
L’éditeur est aux petits soins avec le film de Georges Lautner puisque la piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio 2.0. Si quelques saturations et chuintements demeurent inévitables, l’écoute se révèle fluide, équilibrée, limpide et surtout saisissante. Aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs, les ambiances sont précises, surtout sur les séquences en extérieur. Les dialogues sont clairs, dynamiques. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.