LE COUTEAU DE GLACE (Il Coltello di ghiaccio) réalisé par Umberto Lenzi, disponible en combo Blu-ray/DVD chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Carroll Baker, Alan Scott, Evelyn Stewart, Eduardo Fajardo, Silvia Monelli, George Rigaud, Franco Fantasia, Dada Gallotti, Lorenzo Robledo, Mario Pardo…
Scénario : Umberto Lenzi, Luis G. de Blain
Photographie : José F. Aguayo
Musique : Marcello Giombini
Durée : 1h31
Année de sortie : 1972
LE FILM
Adolescente, Martha Caldwell a réchappé d’une catastrophe ferroviaire dans laquelle elle a vu mourir ses parents, traumatisme qui l’a rendue muette. Quinze ans ont passé quand Martha, qui vit désormais avec son oncle Ralph, féru d’occultisme, dans une propriété située à Montseny, dans les Pyrénées espagnoles, reçoit la visite de sa cousine Jenny Ascot, célèbre chanteuse résidant en Angleterre. Cette dernière est mortellement poignardée durant la nuit. La police mène son enquête, tandis que d’autres meurtres surviennent. Les soupçons se portent vers une secte sataniste, à moins qu’il ne s’agisse d’un tueur en série isolé. Dans un cas comme dans l’autre, Martha pourrait bien être la prochaine victime…
Umberto Lenzi (1931-2017) est l’exemple typique du réalisateur qui a su suivre la mode, les goûts et les préférences des spectateurs, en passant successivement du film de pirates (Mary la rousse, femme pirate, Les Pirates de la Malaisie) au péplum (Maciste contre Zorro, Hercule contre les mercenaires) dans les années 1960, puis du giallo (Le Tueur à l’orchidée, Spasmo) au poliziottesco (Brigade spéciale, La Rançon de la peur, Le Cynique, l’Infâme et le Violent) dans les années 1970, pour terminer sa carrière dans le genre épouvante (La Secte des cannibales, L’Avion de l’apocalypse). Un cinéaste prolifique, diplômé du Centro Sperimentale di Cinematografia, avec plus de 60 films à son actif réalisés en 35 ans de carrière. Le Couteau de glace – Il Coltello di ghiaccio (1972) apparaît tout juste au milieu de sa carrière. Pour la quatrième et dernière fois, Umberto Lenzi retrouve la comédienne Carroll Baker, qu’il avait déjà dirigé dans Une folle envie d’aimer – Orgasmo (1969), Si douces, si perverses – Così dolce… così perversa (1969), avec Jean-Louis Trintignant et Paranoia (1970), trois gialli au succès international. Pour cette ultime collaboration, l’ex-star hollywoodienne vue chez George Stevens (Géant), Elia Kazan (Baby Doll), William Wyler (Les Grands espaces), Edward Dmytryk (Les Ambitieux), John Ford (Les Cheyennes) signe une remarquable prestation, tandis qu’Umberto Lenzi assure comme d’habitude derrière la caméra. En dehors d’un final quelque peu abracadabrant, Le Couteau de glace est non seulement un excellent fleuron du genre, mais traverse aussi les années sans prendre trop de rides. Le divertissement est toujours au rendez-vous.
Martha Caldwell (Carroll Baker) a assisté à la mort brutale de ses parents sur une voie ferrée. Traumatisée, elle est depuis muette et fragile. Désormais adulte, elle essaye de surmonter son traumatisme elle vit en Espagne avec son oncle Ralph (George Rigaud), un passionné de démonologie et de sciences occultes. À l’occasion de l’anniversaire d’une jeune nièce, Christina, Martha revoit sa cousine Jenny (Evelyn Stewart), une chanteuse célèbre de passage en Espagne. Pourtant, alors qu’elles se dirigent vers le manoir de Ralph, Jenny aperçoit deux yeux la scrutant au travers de la vitre de leur voiture. Son chauffeur Marcos, un homme sinistre et placide, la rassure en lui expliquant qu’elle a dû voir un reflet. Alors que la soirée d’anniversaire se déroule normalement, Martha découvre Jenny morte, tuée à coups de couteau. Rapidement, l’inspecteur Duran et son adjoint arrivent pour mener l’enquête. Tous les convives sont interrogés et vite suspectés du meurtre. Hormis Martha, son oncle et la jeune fille, qui pourrait bien être coupable d’une telle abomination ? Parmi les gens présents : le major et sa femme, la bonne Rosalie, le chauffeur, mais également le prêtre du village, Annie Britton, une amie de la famille ainsi que le docteur Laurent (Alan Scott, vu dans Lola de Jacques Demy et Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda) responsable de Martha.
La peur est un couteau de glace qui vous déchire au plus profond de votre conscience. Edgar Allan Poe.
Enfin non, il s’agit d’une citation inventée pour se donner un standing d’entrée de jeu, pour faire entrer les spectateurs directement dans le film. Car Le Couteau de glace n’est pas vraiment un giallo. S’il y a bien l’apparition d’un tueur mystérieux tenant une arme blanche, nous ne verrons aucun meurtre à l’écran et seulement quelques gouttes de sang. Jamais gore, à peine violent, aucune scène de sexe à l’horizon, Il Coltello di ghiaccio est plutôt un whodunit à la Agatha Christie où l’on se demande constamment qui a pu faire le coup. Si l’on excepte la conclusion, aussi expédiée qu’invraisemblable, Le Couteau de glace joue habilement avec les nerfs des spectateurs durant ses 90 minutes. Sans aucun temps mort, le récit enchaîne les séquences tendues, souvent mises en scène de façon virtuose par un cinéaste inspiré et loin du simple faiseur comme certains critiques de l’époque le laissaient entendre, avec un vrai sens du cadre et de la direction d’acteurs. A ce titre, Carroll Baker, quasiment de toutes les scènes, est formidable dans le rôle de la femme-enfant aux abois, menacée par on ne sait qui et pour on ne sait quoi par un tueur qui semble lui en vouloir ainsi qu’à son entourage. Le suspense est bien mené, tous les protagonistes sont autant de suspects potentiels, chacun semblant avoir quelque chose à se reprocher.
Ceux qui attendent des assassinats à la pelle avec l’hémoglobine ruisselant sur quelques lames bien effilées risquent d’être déçus, mais Umberto Lenzi en était bien conscient. La réussite de son film tient à l’atmosphère trouble et inquiétante qui s’installe au détour d’un reflet énigmatique, d’un brouillard qui se lève (et qui se dissipe) en quelques secondes, de quelques pas entendus au coin d’une ruelle. Le réalisateur va au bout de ses partis pris en avortant les séquences sanglantes, en évinçant la violence et l’érotisme habituels du genre et ne montrant que les conséquences des actes criminels.
Entre Deux mains, la nuit – The Spiral Staircase (1945) de Robert Siodmak et Pas de printemps pour Marnie (1964) d’Alfred Hitchcock, Il Coltello di ghiaccio compile les scènes cultes comme des perles sur un collier et marque les esprits par ses multiples idées visuelles. Umberto Lenzi s’amuse à paumer les spectateurs, avec un médaillon satanique d’un côté, un maniaque sexuel et toxicomane en liberté de l’autre (qui répond au nom de Manson…), une ambiance quasi-fantastique (superbe photographie de José F. Aguayo) qui se ressent pour mieux emporter l’audience dans un labyrinthe de fausses pistes absolument jubilatoires.
LE COMBO
Le Couteau de glace était encore inédit en France en DVD et Blu-ray. D’ailleurs, l’édition HD est une première dans le monde. Ce combo Blu-ray+DVD accueille également un CD constitué de musiques de gialli divers et variés comme Lo strangolatore di Vienna (1971) de Guido Zurli, Killer Nun (1979) de Giulio Berruti, Ton Vice est une chambre close dont moi seul ai la clé de Sergio Martino (1972), À la recherche du plaisir – Alla ricerca del piacere (1972) de Silvio Amadio, Les Rendez-vous de Satan – Perché quelle strane gocce di sangue sul corpo di Jennifer ? (1972) de Giuliano Carnimeo, L’Étrange Vice de madame Wardh – Lo strano vizio della Signora Wardh (1971) de Sergio Martino. Un vrai plaisir à écouter, surtout en écrivant cette chronique. Cet objet, limité à 1000 exemplaires, prend la forme d’un sublime Digipack à trois volets, très élégant, glissé dans un fourreau cartonné au visuel forcément très attractif. Le menu principal est animé et musical.
Nous en avons déjà parlé, sur Homepopcorn.fr nous sommes fans de monsieur Jean-François Rauger. C’est avec un immense plaisir que nous le retrouvons ici pour une présentation du Couteau de glace (25’35). Le directeur de la programmation à la Cinémathèque Française replace le film qui nous intéresse dans la carrière d’Umberto Lenzi. Puis, Jean-François Rauger aborde tous les aspects de cette production étonnante du réalisateur, qui s’éloignait des codes habituels du giallo, en parlant du scénario, du casting (gros plan sur Carroll Baker), des influences, des thèmes du film, des partis pris et des intentions du cinéaste. Une analyse complète et pertinente durant laquelle l’invité du Chat qui fume critique aussi le final qui ne tient pas debout (« ce n’est pas la motivation psychologique des personnages qui importe »), mais ne peut dissimuler son attachement pour ce réalisateur « opportuniste qu’était Umberto Lenzi, un mercenaire du cinéma dont les films sont ponctués d’éclairs de génie ».
Nous poursuivons les suppléments avec un entretien d’Umberto Lenzi, décédé en octobre 2017 (21’35). Le cinéaste indique que Le Couteau de glace avait été pensé dans le but de s’éloigner des codes traditionnels du giallo, afin de ne pas se répéter, surtout après trois gialli interprétés par la même comédienne Carroll Baker. Ensuite, le réalisateur aborde le film qui nous intéresse en revenant sur les conditions de tournage en Espagne, sur le casting et l’interprétation des comédiens (Lenzi ne tarit pas d’éloges sur son actrice principale), sur les thèmes, sur ses inspirations (renverser la structure de Deux mains, la nuit de Robert Siodmak), sur les partis pris avec un film sans violence, sans effusion de sang, sans scène de sexe. On apprend également que le cinéaste envisageait de faire un film sur Charles Manson et le drame qui a coûté la vie à Sharon Tate, ou que la citation d’Edgar Allan poe en introduction est une invention de sa part. Enfin, Umberto Lenzi évoque le succès du Couteau de glace.
Nous retrouvons Umberto Lenzi dans le bonus suivant pour un entretien qui propose un retour sur l’ensemble de sa longue et éclectique carrière (55’30). Un supplément uniquement disponible sur le Blu-ray. Le réalisateur revient pêle-mêle sur son premier grand souvenir au cinéma (Jack l’Eventreur – 1944 de John Brahm), sur ses études et son parcours, ses rencontres déterminantes, ses débuts derrière la caméra, ses premières œuvres, ses réalisateurs préférés (Samuel Fuller, Raoul Walsh, Otto Preminger, Robert Siodmak, Elia Kazan, Jules Dassin, Edward Dmytryk, Eric von Stroheim, Josef von Sternberg), l’évolution du cinéma, le rôle de la musique dans les films et les compositeurs avec lesquels il a pu collaborer. Enjoué, forcément égocentrique par moments, mais foncièrement sympathique et regorgeant d’anecdotes de tournage ou sur les acteurs qu’il a côtoyés ou fait tourner (Tomás Milián bourré d’alcool, de tranquillisants et de cocaïne), Umberto Lenzi était visiblement très heureux de bénéficier enfin de la reconnaissance de la critique qui lui avait échappé jusqu’à présent. Un regain de popularité dont il a pu bénéficier de son vivant, avant de s’éteindre quelques semaines après avoir donné cette formidable et souvent passionnante interview.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Jusqu’alors inédit en DVD et Blu-ray en France, Le Couteau de glace déboule en version restaurée et Haute-Définition chez Le Chat qui fume. Dès le générique d’ouverture, l’image au format respecté 2.35 affiche une propreté remarquable (une ou deux rayures, mais rien de rédhibitoire) et une stabilité jamais prise en défaut, la clarté est de mise, les couleurs sont pimpantes, le grain cinéma bien géré (y compris lorsqu’il se fait plus épais sur les scènes de brouillard), les contrastes riches, le piqué agréable, les détails d’une richesse insoupçonnée. La définition flatte les mirettes, la compression demeure discrète. C’est superbe ! Le Blu-ray est au format 1080p.
Pas de piste française et les sous-titres semblent avoir été collés sur la version anglaise. Les deux versions DTS HD Master Audio 2.0 proposées se valent, d’autant plus que le casting est composé de comédiens américains, italiens et espagnols et qu’on imagine bien tout ce beau monde s’exprimer soit en anglais, soit dans leur langue maternelle. Comme il s’agit d’un (faux) giallo, privilégiez si vous le souhaiter la langue italienne, surtout que cette version s’avère la plus dynamique, même si un léger chuintement ou bruit de fond se fait entendre tout du long. Point de cela sur la piste anglaise, même si les dialogues s’avèrent plus couverts.