Test Blu-ray / Le Coeur battant, réalisé par Jacques Doniol-Valcroze

LE COEUR BATTANT réalisé par Jacques Doniol-Valcroze, disponible en Blu-ray le 14 décembre 2023 chez Le Chat qui fume.

Acteurs : Françoise Brion, Jean-Louis Trintignant, Pénélope Portrait, Marc Eyraud, Suvath Phoeun, Borany Kassano, Raymond Gérôme…

Scénario : Jacques Doniol-Valcroze

Photographie : Christian Matras

Musique : Michel Legrand

Durée : 1h24

Date de sortie initiale : 1960

LE FILM

Un jeune peintre, François, aime Dominique qui lui préfère Juan, diplomate chilien avec lequel elle a eu une liaison l’année précédente. Elle doit retrouver ce dernier sur une île de la Méditerranée ; elle demande à François de l’accompagner, lequel va s’efforcer de la séduire en attendant l’arrivée de Juan.

On connaît le dénommé Jacques Doniol-Valcroze (1920-1989) comme étant le père fondateur (et le premier rédacteur en chef) de la mythique revue Les Cahiers du cinéma, aux côtés d’André Bazin, Joseph-Marie Lo Duca et Léonide Keigel. Une référence, une légende pourrait-on dire, qui reste célèbre pour ses combats, son élégance, sa passion contagieuse pour le septième art (il était avant tout journaliste et critique), mais aussi pour ses qualités humaines qui ont toujours fait l’unanimité et qui ont laissé des traces indélébiles chez celles et ceux qui l’ont côtoyé. On connaît moins son travail comme metteur en scène, étant passé lui-même derrière la caméra assez tardivement, vers l’âge de 40 ans. Après trois courts-métrages, L’Oeil du maître (1957), Les Surmenés (1958) avec Jean-Claude Brialy et Jean-Pierre Cassel et Bonjour, Monsieur La Bruyère (1958) avec Michel Bouquet, Jacques Doniol-Valcroze passe le cap du grand format avec L’Eau à la bouche, succès critique et commercial, qui demeure essentiellement connu pour la chanson éponyme de Serge Gainsbourg. Il enchaîne très vite avec Le Coeur battant, qu’il écrit seul et pour lequel il dirige pour la seconde fois son épouse Françoise Brion. Cette comédie dramatico-romantique surfe bien entendu sur le phénomène de la Nouvelle vague, à laquelle il a contribué indirectement pourrait-on dire puisque ses poulains des Cahiers du cinéma comme François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol et consorts s’étaient déjà lancés dans la réalisation, mais s’en écarte et s’avère moins expérimental sur la forme. Néanmoins, cet aspect classique n’entame en rien le plaisir que procure Le Coeur battant, où les personnages solidement campés par Françoise Brion et Jean-Louis Trintignant, marchent tels des funambules entre légèreté et gravité.

Depuis un an, Dominique vit comme dans un rêve avec le souvenir de Juan, un diplomate chilien rencontré en vacances et qu’elle croit être le grand amour de sa vie. Cette aventure passionnée a été favorisée par son ami François, qui avait accepté alors de jouer un rôle d’amant de paille pour ne pas éveiller les soupçons de la femme de Juan. Lorsque François apprend que Juan souhaite rencontrer à nouveau Dominique dans cette île ensoleillée qui fut le cadre de leur amour, il refuse son aide de l’an passé mais, devant l’insistance de Dominique, il cède, bien décidé cette fois-cl à jouer sa propre chance. Par un télégramme furtif, il retarde l’arrivée de Juan ; Dominique et lui devront patienter quelques jours à l’hôtel. Cette période d’attente où il se voit obligé de partager la chambre de Dominique n’est pas sans inconvénients, mais présente aussi quelques avantages pour cette conquête qu’il entreprend le coeur battant. Son ingéniosité pleine de fantaisie devra vaincre le scepticisme de Dominique, laquelle ne prend pas très au sérieux ce jeune peintre abstrait dont la dernière oeuvre exposée dans la galerie où elle travaille, un « coeur battant » obscur, n’a pas encore trouvé preneur.

On a souvent tendance à oublier à quel point les débuts de Jean-Louis Trintignant ont été fulgurants au cinéma. Après sa première apparition sur grand écran dans le formidable Si tous les gars du monde de Christian-Jaque, tout va s’accélérer pour le comédien, puisque déboule également la même année le légendaire Et Dieu…créa la femme de Roger Vadim, suivi du somptueux Été violent de Valerio Zurlini. À l’affiche de plusieurs films par an, on le voit à nouveau chez Vadim dans Les Liaisons dangereuses 1960, ais aussi chez Abel Gance (Austerlitz) et Georges Franju (Pleins Feux sur l’assassin), le comédien se laisse facilement convaincre par Jacques Doniol-Valcroze, par son univers, son humour et son immense sensibilité et tient le haut de l’affiche du Coeur battant. Alors qu’il s’apprête à tourner Il Sorpasso Le Fanfaron, de l’autre côté des Alpes sous la direction de Dino Risi, le jeune trentenaire forme avec Françoise Brion un couple à se damner, qui joue au chat et à la souris dans le paradisiaque décor de la Presqu’île de Giens, cadre unique et solitaire, planté entre le ciel et l’eau, où celui qui est épris entreprend de séduire celle qui est éprise d’un autre.

Le Coeur battant c’est un triangle amoureux où un sommet est manquant, mais interfère tout de même dans la relation des deux autres. Cette nouvelle attente permettra à François et Dominique d’apprendre encore plus à se connaître, à s’apprivoiser, à laisser tomber petit à petit le jeu des apparences, l’ironie et le scepticisme. Alors que chacun se détend, Dominique avouera au fond ne chercher qu’un bon mari, avec lequel elle voudrait quatre enfants, des filles si possible. Mais comme « on ne choisit pas », Dominique s’est entichée de Juan, même si elle avoue « qu’un petit français aurait fait l’affaire ». Ce à quoi François s’empresse de lui répondre qu’il est justement un petit français. Comment faire comme si de rien n’était alors que Dominique et François dorment dans le même lit, s’amusent innocemment, nagent ensemble, jouent constamment avec le feu…alors que Juan est supposé débarquer dans l’île incessamment sous peu ?

Si Dominique ne paraît pas insensible au charme de François, elle ne semble pas non plus vouloir renoncer à Juan, dont on ne verra jamais le visage, mais qui apparaît de temps en temps comme un mirage, un fantasme inaccessible, impression renforcée par les envolées lyriques de la musique de Michel Legrand. Et le coeur battant du spectateur pour ce fabuleux tandem, jusqu’à la dernière scène romanesque qui laisse une belle empreinte longtemps encore après le visionnage.

LE DIGIBOOK

Le Chat qui fume exhume Le Coeur battant, second long-métrage de Jacques Doniol-Valcroze, dont il s’agit du deuxième film à bénéficier d’une édition HD en France après La Maison des Bories (disponible aux Éditions Montparnasse), tandis que Venise en hiver, Les Fiancées de l’Empire, Le Tourbillon des jours, Le Viol, La Dénonciation et L’Eau à la bouche restent proposées en DVD. À cette occasion, l’éditeur a concocté un superbe Digibook, aussi élégant que le film, comprenant des photos d’exploitation réunies en un livret, aux côtés d’une galette bleue solidement harnachée. Le menu principal est animé et musical. Édition limitée à 1000 exemplaires.

En dehors de la bande-annonce originale, Le Chat qui fume a pu mettre la main sur un documentaire passionnant intitulé Jacques Doniol-Valcroze, les cahiers d’un cinéaste. Durant quasiment une heure, Nicole Doniol-Valcroze Berckmans, dernière épouse et veuve du réalisateur, mais aussi acteur (à ses heures), journaliste et critique, fondateur des Cahiers du cinéma, de la Quinzaine des réalisateurs, évoque sa vie, son parcours, sa carrière, ses combats et sa disparition, à 69 ans en raison d’une rupture d’anévrisme, survenue après la projection du film Une saison de feuilles de Serge Leroy, alors qu’il officiait comme président du jury du Festival international de programmes audiovisuels documentaires. Ce film, forcément passionnant, réalisé en 2009, croise les propos de ses proches, de ses amis, de ses collaborateurs, citons en vrac Françoise Brion, Costa Gavras, Marie Dubois, Jean-Luc Godard, Jean-Charles Tacchella, Serge Toubiana, Jean-Louis Trintignant, qui ne tarissent pas d’éloges à son encontre et qui évoquent avec émotion sa générosité, sa douceur, sa gentillesse, son intelligence, son humour dévastateur…Beaucoup d’archives personnelles, d’images d’archives, d’extraits de films et téléfilms viennent illustrer ce très beau et sensible portrait.

Ah si, on oubliait…il existe un bonus caché…quelques images de tournage ont été dissimulées (captures à l’appui). On vous laisse les dénicher !

L’Image et le son

Le Coeur battant, anciennement proposé en DVD par LCJ Éditions en 2008, a été entièrement restauré en 4K. Exit les scories, les points noirs et blancs, les tâches, les griffures et les fourmillements qui étaient peut-être présents auparavant ! Faites place à ce superbe lifting de haut niveau. La copie est très lumineuse, les noirs denses, la gestion des contrastes agréable, le grain heureusement préservé et le piqué joliment acéré. Les conditions sont entièrement remplies pour découvrir ce bijou du début des années 1960. Blu-ray au format 1080p.

Le mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0 instaure un réel confort acoustique. Les dialogues sont ici délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise, les effets riches et les silences denses, sans aucun souffle. La composition de Michel Legrand berce agréablement les tympans. En revanche, dommage de ne pas proposer de sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants.

Crédits images : © Le Chat qui fume / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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