Test Blu-ray / Le Bar du téléphone, réalisé par Claude Barrois

LE BAR DU TÉLÉPHONE réalisé par Claude Barrois, disponible en Blu-ray depuis décembre 2022 chez Le Chat qui fume.

Acteurs : Daniel Duval, François Périer, Raymond Pellegrin, Julien Guiomar, Georges Wilson, Valentine Monnier, Christophe Lambert, Richard Anconina…

Scénario : Claude Néron

Photographie : Bernard Lutic

Musique : Vladimir Cosma

Durée : 1h33

Date de sortie initiale : 1980

LE FILM

Marseille – À la suite d’un contentieux, Tony Véronèse, criminel notoire, fait sauter en guise de représailles les boîtes de nuit et hôtels de passe détenus par les frères Pérez. Ces attentats spectaculaires conduisent le commissaire Joinville à pactiser avec deux personnalités respectées dans le Milieu. Mais, alors que le policier espère un accord tacite entre les deux clans, les règlements de compte se poursuivent dans un bain de sang.

Si l’on excepte Le Voyage d’Amélie, qu’il a écrit, mis en scène et interprété en 1974, Daniel Duval accède pour la première fois en haut de l’affiche avec Le Bar du téléphone de Claude Barrois en 1980, après le triomphe de La Dérobade, qui vaudra à Miou-Miou le César de la meilleure actrice. Inspiré (de loin) par la tuerie dite du Bar du Téléphone (dix personnes sauvagement assassinées), survenue à Marseille en octobre 1978, ce film de très grande classe se situe sur le fil tendu entre un genre qui s’éteint, ou plutôt en pleine mutation, et le néo-polar, dans lequel deux générations s’affrontent pour prendre la place. Les codes changent, le respect mutuel représenté par les vieux de la vieille interprétés par Daniel Duval, François Périer, Julien Guiomar, Raymond Pellegrin (une tronche, une voix aussi bien sûr, qui fût celle légendaire de Fantômas) et Georges Wilson disparaît au profit des chiens fous incarnés ici entre autres par Christophe Lambert et Richard Anconina, qui ne jurent que par la violence gratuite, le sang, les armes automatiques et l’humiliation. Le personnage principal, Tony Véronèse, au mi-temps de sa vie, sait qu’il est temps de raccrocher, mais ne compte pas non plus céder à l’impatience de ceux qui voudraient devenir calife à la place du calife, ni se laisser marcher sur les pieds par ses aînés qui font tout pour ne pas lui régler la somme qu’ils lui doivent. Daniel Duval trône – avec une force tranquille et une sensibilité à fleur de peau – magistralement sur cette distribution quatre étoiles, crève l’écran en truand ambitieux qui déclenche une guerre des gangs parce qu’un deal n’a pas été respecté, événement qui va créer une faille dans laquelle vont s’engouffrer les jeunes loups affamés qui n’ont plus aucun code d’honneur, ni retenue. Avec son affiche qui rend un évident hommage au mythique Cercle rouge de Jean-Pierre Melville, y compris dans son ultime séquence, Le Bar du téléphone, qui aura attiré un peu plus de 400.000 spectateurs dans les salles à sa sortie, alors que L’Empire Contre-attaque d’Irvin Kershner et La Banquière de Francis Girod faisaient le plein, demeure un thriller élégant, qui a de la gueule, intelligent et passionnant, que l’on a de cesse de redécouvrir à chaque visionnage.

A 35 ans, Toni Véronèse est un gangster cruel et rigoriste. Pour un combat de boxe truqué, il met à l’amende (5 millions de francs) un manager protégé par les puissants frères Pérez. Devant leur refus, Véronèse s’attaque aux biens des Pérez dont il fait sauter boites de nuit et hôtels de passes. Désarmé, le commissaire Claude Joinville fait appel à Antoine Bini, un gangster- juge de paix, pour faire cesser cette guerre. Bini condamne les Pérez à payer et ceux-ci s’inclinent devant le « jugement ». Mais, au moment de recevoir l’argent, Véronèse abat deux motards de la police et l’un des frères Pérez. Résolus à se venger, les Pérez engagent un tueur pour exécuter Toni Véronèse mais c’est ce dernier, alerté par Maria, sa maîtresse qui abat le tueur. Bini décide alors d’intervenir énergiquement pour éliminer le gangster devenu trop encombrant et il engage à son tour Paul Franchi, dit Bébé, et sa bande de jeunes voyous. Ceux-ci attirent le gang de Véronèse dans un piège et tirent à vue. Véronèse échappe miraculeusement au massacre et médite sa vengeance.

Sur un scénario en béton armé où l’on reconnaît la griffe du talentueux Claude Néron (Mado, César et Rosalie, Vincent, François, Paul et les autres…, Max et les ferrailleurs), Claude Barrois, ancien monteur de Claude Lelouch dans les années 1960 (Un homme et une femme, Un homme qui me plaît) puis de Philippe Labro (Sans mobile apparent, L’Héritier) signe un film qui depuis plus de quarante ans bénéficie d’un bouche-à-oreille toujours positif de la part des cinéphiles. Ceux-là ont très vite érigé Le Bar du téléphone au rang d’oeuvre précieuse, qui aura par la suite connu une seconde vie lorsque Christophe(r) Lambert deviendra une star internationale, à tel point que les jaquettes VHS italiennes ne seront centrées uniquement que sur le comédien d’Highlander (avec un visuel totalement inapproprié), sous le titre Criminali Nella Notte. S’il n’a qu’un rôle secondaire dans Le Bar du téléphone, notre Cricri s’en tire à merveille dans son premier vrai rôle au cinéma, deux ans avant Légitime violence de Serge Leroy et donc quatre années avant son explosion dans Greystoke, la légende de TarzanGreystoke: The Legend of Tarzan, Lord of the Apes de Hugh Hudson. Foncièrement inquiétant, particulièrement dans la scène où lui et sa bande s’en prennent à un restaurateur et à son épouse, il parvient à insuffler une émotion inattendue à son personnage dans la dernière partie, en devenant le nouveau « représentant » de son espèce, pas forcément comme il l’avait imaginé et surtout de façon tragique. Il est assurément la révélation du Bar du téléphone.

Même chose, dans une moindre mesure pour son partenaire Richard Anconina, qui commençait aussi sa carrière, quatre ans avant d’obtenir le César du meilleur espoir et celui du meilleur acteur dans un second rôle pour Tchao Pantin de Claude Berri. On l’a rarement vu, pour ainsi dire jamais aussi frappadingue à l’écran dans le rôle de l’incontrôlable Boum-Boum, qui sera le responsable du bain de sang qui frappera le dit Bar du téléphone. On ne sait pas si Élie Chouraqui aura découvert le film de Claude Barrois au cinéma, toujours est-il qu’il reformera le duo Lambert/Anconina pour Paroles et Musiques, qui connaîtra un immense succès dans les salles en 1984. Non, nous parlerons pas d’Hercule et Sherlock.

Si Daniel Duval est parfait comme on le disait plus haut, nous ne dirons jamais assez à quel point Julien Guiomar était un monstre absolu du cinéma français, du style de ceux autour desquels on se tait quand ils s’expriment ou entrent dans une pièce. Le tandem qu’il forme avec l’imposant Georges Wilson est un des gros points forts du Bar du téléphone, comme l’est d’ailleurs la composition de François Périer, dont le personnage est imprégné de ses précédents rôles chez Alain Corneau, Jean-Pierre Melville, Costa-Gavras, Yves Boisset et consorts. Un commissaire qui doit se rendre à l’évidence, qu’il a fait son temps, comme pour ses adversaires.

Une vraie mélancolie parcourt les veines du Bar du téléphone, impression renforcée par la superbe photographie signée Bernard Lutic (Le Roi de Paris de Dominique Maillet, L’Honneur d’un capitaine de Pierre Schoendoerffer, Un jeu brutal de Jean-Claude Brisseau), qui accentue le contraste entre un monde en train de disparaître et celui plus cru et impitoyable en train de naître. À ce titre, la magnifique partition, pourtant méconnue, de Vladimir Cosma donne de vrais frissons et annonce étrangement le thème des Retrouvailles des Ripoux pourtant composée plus tard par Francis Lai. La musique douce, pour ne pas dire romanesque s’oppose violemment aux actes criminels qui régissent la vie des truands, mais se branche parfaitement à la nature du personnage de Tony Véronèse, qualifié de « romantique » (« ce qui le rend dangereux », « un seigneur dans son genre ») par ses désormais ennemis, qui apparaît aussi comme un cowboy anachronique lancé dans une vendetta personnelle. Le plan ultime où la voiture conduite à fond la caisse dans le brouillard par le personnage de Christophe Lambert, débarrassé de ses prédécesseurs, peut être vu alors comme une métaphore d’un genre qui sait d’où il vient et ce qui l’a nourri, mais qui ignore la direction à prendre ou même s’il se retrouvera dans une voie sans issue. Seul l’avenir, s’il y en a un, le dira.

Le Bar du téléphone est un film peu diffusé, que l’on peut découvrir tard dans sa vie de cinéphile, comme l’auteur de ces mots qui n’a pu mettre les yeux dessus que depuis un an, et qui pourtant marque, percute, foudroie sur place. C’est dire si le film de Claude Barrois est un indispensable dans le chemin personnel de l’amateur de septième art.

LE BLU-RAY

Jusqu’à présent difficile à trouver d’occasion et à prix décent, le DVD TF1 Studio, puis celui de Colored Films, du Bar du téléphone était devenu un petit Graal à débusquer dans les bacs des revendeurs. Puis, miracle, Le Chat qui fume est venu ressusciter l’oeuvre de Claude Barrois en le proposant ni plus ni moins en Haute-Définition ! Le disque est solidement ancré dans un Digipack luxueux à trois volets, glissé dans un fourreau cartonné liseré bleu et au visuel percutant. Le menu principal est animé et musical. Version intégrale. Édition limitée à 1000 exemplaires.

Le premier bonus de cette édition donne la parole à Fabienne Vette (29’). La comédienne et dernière compagne de Daniel Duval, que nous avions déjà écoutée dans les suppléments de L’Amour trop fort, replace Le Bar du téléphone dans la carrière de celui qui a partagé sa vie et explique comme celui-ci s’est retrouvé pour la première fois en haut de l’affiche. L’invitée du Chat qui fume revient aussi sur la nature et la psychologie du personnage de Tony Véronèse, qui partage beaucoup de points communs avec Daniel Duval, « qui aimait beaucoup ce film, grâce auquel il a trouvé une liberté d’acteur et pour lequel il a pu apporter beaucoup de choses personnelles ». Les thèmes du film (le croisement de plusieurs générations de criminels) et l’interprétation (« organique ») de Daviel Duval sont aussi au coeur de cet entretien très touchant.

Le Chat qui fume a pu mettre la main sur quelques images d’archives. La première (3’) est issue d’un journal TV où Daniel Duval vient faire la promotion du Bar du téléphone et répond aux questions du style « Il paraît que vous êtes un tendre, alors pourquoi ces rôles de durs ? », tout en expliquant ce qui l’a intéressé à la lecture du scénario, comment il en est venu au cinéma et surtout qu’il attaquera bientôt le tournage de son prochain film comme réalisateur, L’Amour trop fort.

La seconde archive est très précieuse, puisqu’on y découvre Julien Guiomar et François Périer sur le tournage du Bar du téléphone, ainsi que dans les coulisses (2’).

La dernière (1’35) est un reportage diffusé lors de la sortie du film, qui revient sur les menaces reçues par différents exploitants de cinéma marseillais qui projetaient Le Bar du téléphone. Des menaces d’incendie ou de destructions par explosifs, vraisemblablement proférées par des amis et proches des victimes de l’attentat du Bar du téléphone survenu à Marseille le 3 octobre 1978 dans un bar du quartier du Canet (14e arrondissement de Marseille).

L’Image et le son

Le Bar du téléphone a bénéficié d’une entière restauration. La copie s’avère immaculée, propre comme un sou neuf, d’une stabilité exemplaire. La photographie du grand Bernard Lutic (Le Peuple migrateur, Le Colonel Chabert, Diên Biên Phú), est respectée avec ses clairs-obscurs, ses séquences très sombres, sans oublier quelques scènes en extérieur parfois nimbées d’un brouillard. Les noirs sont denses sans être bouchés, les couleurs froides superbes et le piqué acéré. Du grand art qui offre au film de Claude Barrois un écrin inattendu et qui participera incontestablement à sa redécouverte.

Hormis des échanges étonnamment plus étouffés (comme à 1h18 quand Guiomar et Wilson arrivent aux écuries), la piste DTS-HD Master Audio 2.0 s’en sort bien, avec un bon équilibre entre les dialogues, les effets annexes et la splendide partition de Vladimir Cosma, qui passe en boucle pendant la rédaction de cet article. En revanche, nous noterons l’absence de sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants…

Crédits images : © Le Chat qui fume / ATC 3000 – TF1 Studio / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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