LA POSSÉDÉE DU LAC / LA FEMME DU LAC (La Donna del lago) réalisé Luigi Bazzoni & Franco Rossellini, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 20 septembre 2022 chez Artus Films.
Acteurs : Peter Baldwin, Virna Lisi, Salvo Randone, Valentina Cortese, Pia Lindström, Pier Giovanni Anchisi, Ennio Balbo, Anna Maria Gherardi, Mario Laurentino…
Scénario : Giulio Questi, Luigi Bazzoni, Franco Rossellini & Ernesto Gastaldi, d’après le roman de Giovanni Comisso
Photographie : Leonida Barboni
Musique : Renzo Rossellini
Durée : 1h22
Date de sortie initiale : 1965
LE FILM
Écrivain en manque d’inspiration, Bernard va passer un séjour dans un hôtel de montagne du nord de l’Italie. Il espère aussi y retrouver Tilde, la femme de chambre dont il est tombé amoureux lors de son précédent séjour. Une fois sur place, il apprend que celle-ci s’est suicidée, et repose dans le cimetière près du lac. Mais les allusions des villageois et surtout la discussion avec un photographe va le porter à croire qu’elle aurait été assassinée.
Ces dernières années, quand on demande à un cinéphile adepte et/ou spécialisé dans le genre de citer quelques-uns de ses gialli préférés, un titre revient fréquemment, Journée noire pour un bélier – Giornata nera per l’ariete, réalisé en 1971 par Luigi Bazzoni (1929-2012), qui en 2016 avait connu une sortie en DVD en France sous les couleurs du Chat qui fume. Un titre qui restait alors totalement inédit depuis sa sortie VHS (rebaptisé Jour maléfique), l’archétype même du giallo dont il reprenait parfaitement les codes : chantage, sexe, héros suspectés, cuir et meurtres sadiques. Avant de signer ce qui restera son opus le plus connu et célébré, le cinéaste livrait en 1965 un formidable premier long-métrage, La Femme du lac – La Donna del lago, chaînon manquant entre le cinéma d’art et essai, certains diront intellectuel, de Michelangelo Antonioni et de Mauro Bolognini, dont Luigi Bazzoni a d’ailleurs été l’assistant sur les sublimes Le Bel Antonio,Ça s’est passé à Rome, Le Mauvais chemin et Quand la chair succombe, et le cinéma populaire. Pour ce coup d’essai et petit coup de maître à part entière, le metteur en scène s’entoure de collaborateurs talentueux. Leonida Barboni à la photographie (chef opérateur de Divorce à l’italienne de Pietro Germi et Une vie difficile de Dino Risi), ainsi que de la mythique Virna Lisi dans un rôle secondaire, mais dont l’aura plane sur l’intégralité du film. N’oublions pas la discrète et néanmoins virtuose partition du maestro Renzo Rossellini (Où est la liberté…?, Europe 51, La Belle et le Corsaire, La Chartreuse de Parme). Tous ces atouts contribuent à la belle réussite de La Possédée du lac, officiellement co-réalisé par Franco Rossellini (futur producteur de Django, Texas Adios, Théorème, Médée, Le Décaméron), même si cela reste à prouver, une œuvre étrange, quasi-unique, à la frontière du fantastique, qui mine de rien prend le train en marche lancé par Mario Bava depuis Six Femmes pour l’assassin – Sei donne per l’assassino, sorti l’année précédente.
Bernard est un écrivain dépressif. Il décide de prendre une pause et part se ressourcer dans un hôtel situé dans une région montagneuse au nord de l’Italie et installé au bord d’un lac. Lors d’un précédent séjour, il avait eu une brève aventure avec Tilde, une femme de chambre, dont il est tombé fou amoureux et qu’il espère retrouver. Sur place, il apprend le décès de Tilde, qui se serait suicidée. C’est du moins le rapport officiel rendu par la police, auquel personne ne semble croire, étant donné que son corps a été retrouvé au fond du lac, la gorge tranchée. Les gérants refusent de répondre à ses questions sur ce sujet et les villageois l’ignorent. Intrigué et chagriné, Bernard se rend au cimetière pour voir la tombe de Tilde. Il continue ses propres investigations, puis fait la rencontre d’une mystérieuse femme.
On pense au Cri de Michelangelo Antonioni, un des premiers chefs d’œuvres de son réalisateur, qui posait les bases de son cinéma à venir. À l’instar du personnage principal de ce film, celui de La Possédée du lac traverse l’Italie du Nord sur les routes dépeuplées et mornes de la région, pour se rendre dans une petite bourgade située au bord de l’eau, vidée de ses touristes durant la morte saison. Mal dans sa peau, en pleine rupture, Bernard a du mal à oublier celle avec qu’il partageait son existence. Dans cette adaptation du roman de Giovanni Comisso publié en 1962, basé lui-même sur un fait divers, Luigi Bazzoni, dépeint ici un homme en totale perdition qui du jour au lendemain, alors que sa compagne l’a quitté, se retrouve sans repères, abandonné et comme orphelin de cette femme. L’un des thèmes de prédilection de Michelangelo Antonioni était celui de la recherche d’une femme, perdue, idéalisée, inaccessible. Mais contrairement à ce que l’on pouvait imaginer, ce souvenir de Bernard ne l’accompagnera pas tout au long de son voyage improvisé, puisque très vite celui d’une autre femme le supplantera, Tilde. Cette dernière est interprétée par la merveilleuse Virna Lisi, au sommet de sa carrière, qui était à l’affiche de pas moins de sept longs-métrages en 1965, dont Ces messieurs dames – Signore e signori (Palme d’or au Festival de Cannes ex æquo avec Un homme et une femme de Claude Lelouch) de Pietro Germi, Aujourd’hui, demain et après-demain d’Eduardo De Filippo et Casanova 70 de Mario Monicelli.
Si Tilde n’apparaîtra qu’en pointillés et uniquement dans l’esprit de Bernard, sa présence est omniprésente. Luigi Bazzoni démarre son film en soulignant l’anéantissement d’un homme qui avance sans réel but, un être fragile, en détresse peut-être. Sa seule perspective dès lors qu’il se sépare de sa compagne (« Je t’aime peut-être, j’aimerais t’aimer, mais je ne peux pas… ») est de fuir la région. On ne connaît pas vraiment Bernard, impeccablement campé par Peter Baldwin (Le Spectre du professeur Hichcock de Riccardo Freda, Les Évadés de la nuit de Roberto Rossellini, Dans la souricière de Norman Panama), mais il semble incapable de se fixer quelque part et peut-être de recommencer sa vie. Comme il le prouvera encore par la suite, Luigi Bazzoni était un directeur d’acteurs hors pair et saura toujours s’entourer d’épatants comédiens, ici Valentina Cortese (Secret People, L’Évadé du bagne, Les Caprices de Marie), Philippe Leroy (Le Trou, Portier de nuit) et l’excellent Salvo Randone (Folie meurtrière, Les Jours comptés, La Dixième victime). La prestation de Peter Baldwin est aussi forte que bouleversante. Si le personnage s’exprime principalement par l’intermédiaire de la voix-off, Bernard n’en demeure pas moins déchirant et le regard de l’acteur hantera longtemps les esprits après la projection.
Tout, des décors extérieurs à la mise en scène est saisissant (il faut voir les plans magnifiques imaginés par le réalisateur), La Possédée du lac est un drame à énigme teinté de thriller psychologique souvent prodigieux sur la forme (sèche, hypnotique avec ses blancs brûlés, une apparence que certains jugeront peut-être austère), sans doute moins sur le fond (même si Bazzoni ne va pas aussi loin qu’Antonioni dans l’abstraction), mais reste captivant durant ses 80 minutes.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
La Possédée du lac débarque chez Artus Films en Combo Blu-ray + DVD. Un objet magnifique, un Digipack à deux volets glissé dans un fourreau cartonné du plus bel effet. Le menu principal est fixe et musical.
Excellente présentation d’Emmanuel le Gagne (31’), qui dans les dix premières minutes réalise tout d’abord un très large tour d’horizon de la carrière de Luigi Bazzoni (« un cinéaste très particulier, à mi-chemin entre le cinéma d’auteur et le cinéma populaire »), en évoquant aussi Franco Rossellini, crédité aussi à la mise en scène, même si son rôle reste indéterminé. Les scénaristes (dont Giulio Questi, qui réalisera aussi La Mort a pondu un œuf et Tire encore si tu peux), le casting, le roman de Giovanni Comisso sont ensuite abordés. Puis, Emmanuel le Gagne passe au peigne fin les partis-pris du film (le souffle du vent quasi-omniprésent, qui participe à l’ambiance presque fantastique, des éléments repris du cinéma de Michelangelo Antonioni), dissèque « l’atmosphère troublante et étrange », les éléments qui peuvent raccorder La Possédée du lac au giallo, « une enquête à la Dario Argento, mais sans meurtre classique, dans un décor insolite, marquée par quelques expérimentations visuelles, dont une séquence avec une lame de rasoir qui étincelle ».
Un module entrecroise les interventions de l’historien du cinéma Fabio Melelli (déjà vu sur les Blu-ray d’Un papillon aux ailes ensanglantées et du Moulin des supplices), du scénariste Giulio Questi (mort en 2014) et du maquilleur et artiste des effets spéciaux Giannetto de Rossi (disparu en 2021). Le premier analyse La Possédée du lac, donne de nombreuses informations sur les réalisateurs et les conditions de tournage (« des moyens limités, mais un film fait avec sérieux »), tandis que les deux autres, qui ont connu le film « de l’intérieur », partagent leurs souvenirs liés à La Donna del lago. Les trois hommes replacent aussi La Possédée du lac dans le contexte du cinéma italien de 1965 (« une industrie en pleine expansion »), parlent de l’adaptation du roman de Giovanni Comisso, lui-même inspiré d’un fait divers, du casting, du rôle de Franco Rossellini (« qui était très peu présent ») et de bien d’autres éléments.
Last but not least, Artus Films nous propose de découvrir le court-métrage En surface (26’), produit par l’IUT de Béziers, coréalisé par Léo Colomina et Gabriel Cocus. Mélanie et son petit frère, sont chargés pour un week-end de s’occuper de leur grand-père qu’ils ne voient pas souvent. Ce dernier est un vieux pêcheur reclus, qui raconte de vieilles légendes fantastiques. Matis est tiraillé entre croire son grand-père et l’incrédulité de sa soeur. Pourtant, dans les eaux profondes, quelque chose rôde. Un film très prometteur, ponctué par quelques références aux Dents de la mer de Steven Spielberg et déjà présenté dans moult festivals, du Brésil aux États-Unis, en passant par l’Ukraine et la Colombie. La photo est entre autres magnifique, les acteurs très bons et les maquillages vraiment réussis. Un bonus « aquatique » soutenu par Artus Films, qui l’a intelligemment intégré à son édition de La Possédée du lac. On recommande.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce (en anglais, « The Possessed »), ainsi que sur un Diaporama d’affiches et de photos d’exploitations.
L’Image et le son
La Possédée du lac est présentée dans un master 2K restauré, dans sa version intégrale. Une copie qui reste marquée par les affres du temps, avec ses décrochages sur les fondus enchaînés, des poussières diverses et variées, des défauts de pellicule, des rayures verticales ainsi que des blancs particulièrement brûlés à certains moments. La copie est relativement stable, les contrastes sont acceptables. Il semble que La Donna del lago ait été sauvée à temps, mais un véritable lifting, plus poussé, ne serait point de trop désormais.
Une seule piste italienne, qui demeure marquée par un souffle chronique, ainsi que par des craquements intempestifs. Mais les dialogues sont clairs, ainsi que la voix-off de Bernard, les effets sont corrects et l’ensemble correct. Les sous-titres français ne sont pas imposés.
Une réflexion sur « Test Blu-ray / La Possédée du lac, réalisé par Luigi Bazzoni & Franco Rossellini »