DEUX SUR LA BALANÇOIRE (Two for the Seesaw) réalisé par Robert Wise, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 17 janvier 2023 chez Rimini Editions.
Acteurs : Robert Mitchum, Shirley MacLaine, Edmon Ryan, Elisabeth Fraser, Eddie Firestone, Billy Gray…
Scénario : Isobel Lennart, d’après la pièce de William Gibson
Photographie : Ted D. McCord
Musique : André Previn
Durée : 1h54
Date de sortie initiale : 1962
LE FILM
L’avocat Jerry Ryan a quitté le Nebraska lorsque que sa femme a demandé le divorce. Déprimé, il erre sans but dans New York, jusqu’au moment où il rencontre Gittel Mosca, une danseuse qui gagne péniblement sa vie à Greenwich Village. Ils vont essayer de faire un bout de route ensemble.
Résumer la carrière prolifique et éclectique de Robert Wise (1914-2005) serait un pari difficile voire impossible à relever. Ainsi, pour situer Deux sur la balançoire – Two for the Seesaw, nous dirons que le réalisateur avait déjà derrière lui La Malédiction des hommes-chats, Le Récupérateur de cadavres, Né pour tuer, Nous avons gagné ce soir, Le Jour où la Terre s’arrêta, Je veux vivre !, Le Coup de l’escalier, qu’il venait de coréaliser West Side Story (10 Oscars), qu’il s’apprêtait à emballer La Maison du diable – The Haunting, La Mélodie du bonheur – The Sound of Music (5 Oscars) et La Canonnière du Yang-Tsé – The Sand Pebbles…c’est dire l’importance de cet immense artisan, qui à l’instar de Richard Fleischer ou Mark Robson n’a eu de cesse de passer d’un genre à l’autre avec autant de culot que de réussite, en mettant tout son savoir-faire au service d’un studio et d’un scénario. À l’origine de Deux sur la balançoire il y a une pièce de théâtre de William Gibson, triomphe de Broadway de l’année 1958 (750 représentations), interprétée par Henry Fonda et Anne Bancroft (Tony Award de la meilleure actrice) et montée par Arthur Penn. Quatre ans après sa création sur scène, Two for the Seesaw devient donc un long-métrage sous la bannière de la United Artists et porté par deux autres stars, Robert Mitchum et Shirley MacLaine, en remplacement de Paul Newman et Elizabeth Taylor, initialement envisagés. Si le scénario signé Isobel Lennart (Escale à Hollywood de George Sidney, Ville haute, ville basse de Mervyn LeRoy) ne peut calfeutrer la nature de Deux sur la balançoire, Robert Wise se surpasse en jouant sur le cadre, les contre-plongées, les décors et aère le récit en montrant les rues de New York, magnifiquement photographiées par Ted D. McCord, chef opérateur du Trésor de la Sierra Madre et d’À l’est d’Éden, dont le travail sera auréolé d’une nomination aux Oscars en 1963. Si le fond n’est pas inintéressant, Two for the Seesaw vaut plus pour la mise en scène de Robert Wise et bien sûr pour le jeu du chat et de la souris entre les deux monstres sacrés du cinéma, qui rivalisent de charme et dont l’alchimie est évidente.
Parce qu’il ne pouvait plus supporter sa femme, Jerry se retrouve seul dans New York. Il rencontre Gittel, une ancienne danseuse devenue prostituée. Leurs deux solitudes s’accordent très vite, et tout semble aller bien entre eux, malgré les incessants coups de téléphone que Jerry ne peut s’empêcher d’échanger avec sa femme. Gittel, de plus en plus inquiète, se laisse aller à douter de l’amour de Jerry. Un soir, elle finit par céder à un ancien amant.
La solitude est en train de me rendre fou. J’ai appelé pour contacter quelqu’un du sexe faible, qui soit faible.
C’est l’histoire d’une passion dévastatrice entre un avocat et une jeune bohème, mais où les personnages demeurent dignes et ne se hurlent jamais dessus. Ces deux-là n’auraient pour ainsi dire jamais dû se rencontrer, mais la solitude les réunit un certain temps, même s’ils savent d’emblée qu’ils ne pourront aller bien loin tous les deux. Profondément marqué par la demande de divorce de sa femme, Jerry paraît être le fantôme de lui-même, traîne dans les musées de la Grosse Pomme, va au cinéma, enchaîne les verres dans un bar du coin. « Aujourd’hui, j’ai décidé de vivre il y a environ dix minutes » s’exclame-t-il quand il rencontre par hasard la belle Gittel « Mosca », une petite danseuse qui vit chichement et qui se laisse embarquer dans cette relation, même si elle n’est pas dupe quant à la tournure que celle-ci prendra. En réalité, leur confrontation les mettra face à eux-mêmes et leur permettra d’aller enfin de l’avant, mais pas forcément, ou plutôt sûrement pas ensemble.
Rares sont les scènes où Jerry et Gittel apparaissent au même niveau, impression renforcée par la mise en scène de Robert Wise, que ça soit par l’utilisation d’un faux split-screen montrant les deux individus dans leur appartement respectif en un seul plan (les deux décors étaient construits sur le même plateau, séparés à l’écran par une scission construite de toutes pièces), ou par de nombreux champs-contrechamps où les regards ne sont pas alignés, mais toujours (ou presque) en plongée et contre-plongée. S’il y a bien une tension sexuelle réelle entre les deux individus, un troisième élément s’incruste immédiatement dans cette relation, représentée par la future ex-femme de Jerry, qui n’apparaîtra jamais à l’écran, mais qui reste toutefois omniprésente par téléphone. Jerry ne peut donc pas s’investir dans cette relation avec Gittel, qui – philosophe – semble s’être toujours préparée à la rupture, mais qui ne manque pourtant pas l’occasion de profiter de l’instant présent et de ce que Jerry lui apporte malgré tout en affection, en chaleur, en considération.
Comment peux-tu accepter d’être le torchon sur lequel on s’essuie ?
Certains pourront reprocher au film d’être très (trop ?) bavard ou redondants, ce qu’il est indéniablement. Mais bien sûr cela reflète la nature théâtrale de Deux sur la balançoire, tout en reflétant l’indécision et la peur des personnages alors seuls, qui voient leur propre reflet dans le visage de celui/celle qu’elle/il a en face d’elle/lui, la parole et les répétitions noyant alors la réalité de la situation et l’inéluctabilité de leur relation. Ancien monteur (chez William Dieterle, Orson Welles), Robert Wise sculpte son film et s’empare d’une matière brute, se l’approprie et la restitue à travers un langage qui lui est propre et personnel. En dirigeant les deux stars, impériales, magnétiques, le réalisateur leur offre un de leurs rôles les plus bouleversants, pudiques, mélancoliques et intimistes.
Ce que je veux donner, tu n’en veux pas. Ce que je veux, tu ne peux pas.
Coincé entre deux monuments, Deux sur la balançoire a été quelque peu éclipsé ou demeure oublié quand on évoque la filmographie conséquente de Robert Wise. Certes, ce film n’a pas leur flamboyance, mais il n’en reste pas moins aussi impressionnant de rigueur, d’émotions et bien sûr de virtuosité.
LE COMBO
En fouinant un peu, on découvre que Deux sur la balançoire avait déjà bénéficié d’une sortie en DVD chez nous, en 2005 chez MGM / United Artists. Depuis, ce titre avait complètement disparu de la circulation, jusqu’à sa résurrection chez Rimini Editions. L’éditeur qui fête ses dix ans en 2023 présente le film de Robert Wise en Combo Blu-ray + DVD. Les deux disques reposent dans un boîtier classique de couleur bleue, glissé dans un surétui cartonné, reprenant (comme la jaquette) l’un des visuels d’exploitation originale de Two for the Seesaw. Le menu principal est animé et musical.
Le grand boss de Rimini Editions est allé à la rencontre d’Olivier Maillard, président de l’association Ciné Meaux Club (29’). Cette présentation intitulée L’Art de la mise en scène selon Robert Wise se divise en plusieurs points. Olivier Maillard revient tour à tour sur la place de Deux sur la balançoire dans la carrière du réalisateur, sur ses précédents succès et sur son nouveau statut de producteur depuis Je veux vivre !, avant d’en venir plus précisément au film qui nous intéresse aujourd’hui. La pièce de théâtre de William Gibson, l’adaptation, le casting, les partis-pris, les décors, la photographie, la musique, le cadrage, la grammaire cinématographique de Robert Wise, la réception critique et d’autres éléments sont aussi abordés dans ce bonus made in Rimini, autrement dit toujours passionnant et blindé d’informations.
L’Image et le son
La texture argentique est présente et bien gérée, du début jusqu’à la fin du film. Le cadre large est excellemment détaillé, le piqué étonnant, les contrastes denses, les blancs lumineux. Certains points blancs, rayures verticales, raccords de montage et autres poussières demeurent, mais restent discrets. La stabilité est également de mise, bref, c’est un très beau Blu-ray (au format 1080p).
Les mixages anglais et français DTS-HD Master Audio Mono s’avèrent tous les deux suffisament dynamiques. Au jeu des différences, la version française est peut-être moins équilibrée et évidemment moins naturelle, mais reste de très bonne qualité, avec un bon dosage des dialogues, des ambiances et des effets annexes. La piste originale est quasi-exemplaire (on constate diverses craquements) et souvent limpide. Les sous-titres français ne sont pas imposés.
Le film est très beaux, à l’image de la magnifique pièce de William Gibson qui est un chef-d’oeuvre du genre.
Les deux acteurs sont effectivement très convaincants, Shirley MacLaine est dans son élément, alternant entre douceur, fragilité et la fantaisie qui la caractérise.
Robert Mitchum montre une facette de son talent rarement exploitée, celle d’un personnage tendre et en proie aux doutes et à la compassion, un rôle aux antipodes de ses rôles plus habituels de héros, de méchant ou de dur à cuir.
La mise en scène de Robert Wise est très belle et très ingénieuse, elle rend hommage à la pièce.
En ce qui concerne la restauration du film, je ne serais pas aussi élogieux que vous.
Au vu de ce qui se fait aujourd’hui en matière de restauration, je m’attendais à mieux au niveau du nettoyage de l’image.
Beaucoup de points, de rayures demeurent dans ce blu-ray et auraient facilement pu être nettoyé avec les outils actuels. Cela a un coût, bien évidemment.
Quant au son, les craquements dont vous parlez sont très nombreux. Là aussi, une restauration plus poussée aurait pu être réalisée.
On reste sur une impression d’un travail de restauration réalisé à moitié, c’est très étrange une telle restauration inachevée.