Test DVD / Qui donc a vu ma belle ?, réalisé par Douglas Sirk

QUI DONC A VU MA BELLE ? (Has Anybody Seen My Gal ?) réalisé par Douglas Sirk, disponible le 28 janvier 2020 en DVD chez Elephant Films.

Acteurs : Piper Laurie, Rock Hudson, Charles Coburn, Gigi Perreau, Lynn Bari, William Reynolds, Larry Gates, Skip Homeier, Paul Harvey, Paul McVey, Gloria Holden, Frank Ferguson, Forrest Lewis…

Scénario : Joseph Hoffman d’après une histoire originale d’Eleanor H. Porter

Photographie : Clifford Stine

Musique : Herman Stein

Durée : 1h25

Année de sortie : 1952

LE FILM

Fin des années 1920. Âgé, Samuel Fulton se trouve sans héritier pour sa fortune colossale. Il décide de laisser tout ce qu’il possède aux enfants d’Harriet, son premier amour, qui avait refusé sa demande en mariage quand il était jeune, le jugeant trop pauvre. Mais celui-ci souhaite d’abord tester Harriet et sa famille : il se fait alors passer pour un artiste excentrique et s’installe chez eux…

En 1952, Douglas Sirk ne se repose pas sur ses lauriers et sa nouvelle comédie Qui donc a vu ma belle ?, toujours pour le compte des studios Universal, sort sur les écrans américains moins d’un mois après No Room for the Groom. Mettant en scène une nouvelle fois la pimpante Piper Laurie, il signe sa première collaboration avec le comédien Rock Hudson. Le générique change du tout au tout, le cinéaste allemand est désormais passé à la couleur, plus exactement au Technicolor (sublime photo de Clifford Stine), avec virtuosité. Le ton y est plus dramatique et acerbe que pour No room for the groom, même si le côté conte de fées de la première partie n’en donne pas l’air. Le cinéaste allemand ne l’a jamais nié, la comédie lui a servi de tremplin pour développer la face cachée de l’American Dream, pour critiquer les valeurs familiales de la bourgeoisie américaine et l’ambition.

Samuel G. Fulton (immense Charles Coburn, qui allait enchaîner avec Chérie, je me sens rajeunir) avait, dans sa jeunesse, proposé le mariage à une jeune fille prénommée Harriet. Mais celle-ci avait refusé. Quarante ans plus tard, et après être devenu milliardaire, il pense à ce qu’il serait devenu si cette dernière avait accepté et décide de léguer la totalité de sa richesse à la famille d’Harriet pour la remercier de son refus. Le vieil homme part pour Hilverton afin d’observer la famille Blaisdell. Howard est le fils de la femme que Fulton était sur le point d’épouser. Il tient une mercerie-pharmacie-bar où son employé, Dan Stebbins (Rock Hudson), est l’heureux soupirant de sa fille Millicent. Fulton rédige une fausse annonce dans le journal et se fait accepter comme locataire dans la maison des Blaisdell grâce au soutien de la petite Millicent ravie d’avoir pour compagnon celui qui se fait passer pour un artiste peintre. Il projette de leur léguer sa fortune mais, il veut préalablement les mettre à l’épreuve, en leur transmettant par le biais d’un notaire et de façon anonyme 100 000 dollars. Le résultat s’avère alors déplorable : Mme Blaisdell déménage dans une luxueuse demeure et rompt les fiançailles de sa fille Millicent qu’elle veut marier à un homme plus fortuné. Quant au père, il multiplie les placements d’argent malencontreux.

Qui donc a vu ma belle ? prend la forme d’une fable, mais où les couleurs diverses et variées, ainsi que le fond enneigé et le grand-père à la bonhommie immédiate, ne servent à Douglas Sirk que pour marquer le contraste avec les conventions sociales souvent cruelles. Le spectateur rit devant Qui donc a vu ma belle ?, tout en étant pris par les splendides images et le rythme effréné des situations. Petit à petit, le film prend une autre tournure, plus grave et dramatique lorsque Douglas Sirk s’oriente vers la critique sociale avec autant de finesse que de talent. L’acteur Charles Coburn est quasiment de tous les plans et incarne à lui seul toute cette ambivalence et les thématiques développées dans les prochains mélodrames du réalisateur. Rock Hudson explose également à l’écran. C’est un vrai coup de foudre artistique entre le comédien et Douglas Sirk, qui se retrouveront ensuite sur Taza, fils de CochiseTaza, son of Cochise (1954), Le Secret magnifiqueMagnificent Obsession (1954), Capitaine MystèreCaptain Lightfoot (1955), Tout ce que le ciel permetAll That Heaven Allows (1955), Écrit sur du ventWritten on the Wind (1956), Les Ailes de l’espéranceBattle Hymn (1957), La Ronde de l’aubeThe Tarnished Angels’ (1958). Une des plus grandes collaborations de l’histoire du cinéma. Enfin, pour la petite anecdote, Qui donc a vu ma belle ? marque l’une des premières apparitions à l’écran d’une légende vivante, James Dean, dans le rôle d’un amateur de crèmes glacées.

Dans la comédie comme dans le mélodrame, les thèmes récurrents et les constructions dramatiques de Douglas Sirk restent très proches, voire souvent identiques. La plupart de ses films mettent en scène des gens simples, issus de la classe moyenne, pris dans une période spécifique de l’histoire américaine. Le genre de la comédie a servi de tremplin à Douglas Sirk pour se concentrer sur les thématiques qu’il souhaitait alors développer un peu plus dans le genre mélodramatique. Qui donc a vu ma belle ? est comme qui dirait un nouveau départ pour le cinéaste et on ne saurait trouver plus belle envolée.

LE DVD

Après une première édition en DVD chez Carlotta Films en 2008, Qui donc a vu ma belle ? revient dans les bacs sous les couleurs d’Elephant Films, toujours en édition standard. La collection Douglas Sirk s’agrandit chez l’éditeur, puisque Qui donc a vu ma belle ? rejoint Le Mirage de la vie, La Ronde de l’aube, Le Temps d’aimer et le temps de mourir, Les Ailes de l’espérance, Les Amants de Salzbourg, Ecrit sur du vent, Capitaine Mystère, Demain est un autre jour, Tout ce que le ciel permet, Le Secret magnifique, Le Signe du Païen, All I Desire, Le Joyeux Charlatan, No Room for the Groom et Tempête sur la colline. Le visuel est donc typique de cette collection. Jaquette réversible avec affiche originale. Cette édition comprend également un livret intitulé Deux ou trois choses que je sais de Douglas Sirk, réalisé par Louis Skorecki (12 pages). Le menu principal est fixe et musical.

En plus d’un lot de bandes-annonces, d’une galerie de photographies et des credits du DVD, nous trouvons un portrait de Douglas Sirk réalisé par Jean-Pierre Dionnet (9’), dont il s’agit de l’un des réalisateurs fétiches. Le producteur, scénariste, journaliste, éditeur de bande dessinée et animateur de télévision lui consacre ce petit module, dans lequel il parcourt rapidement les grandes phases de sa carrière, ses thèmes et comédiens récurrents, les drames qui ont marqué sa vie, son regain de popularité dans les années 1970 grâce à la critique française et quelques réalisateurs (Fassbinder, Almodóvar) alors que le cinéaste, devenu aveugle, était à la retraite en Allemagne.

La grande nouveauté sur cette édition provient de l’excellente intervention Denis Rossano, auteur du roman Un père sans enfant (Allary Editions), lauréats du prix Révélation 2019 de la Société des Gens de Lettres. L’invité d’Elephant Films propose un brillant exposé de plus d’une heure durant lequel il met en parallèle les œuvres les plus célèbres de Douglas Sirk (dont il retrace également le parcours), avec la tragique disparition de son fils Klaus Detlef Sierck (à 19 ans, sur le front de l’Est), que le réalisateur avait eu avec sa première femme, une actrice ratée devenue une nazie fanatique. Douglas Sirk était alors metteur en scène de théâtre dans les années 20 et réalisateur apprécié de Goebbels dans les années 30. Avant de fuir l’Allemagne et de conquérir Hollywood, Douglas Sirk divorce en 1928. Son ex-femme lui interdit de voir son fils de quatre ans dont elle fera un enfant star du cinéma sous le Troisième Reich. Le père ne reverra jamais son fils, sauf à l’écran. S’il s’est très rarement exprimé sur ce sujet, l’esprit de son fils plane très souvent dans les films de Douglas Sirk. Denis Rossano, alors étudiant en cinéma, avait rencontré Douglas Sirk dans les années 1980 et avait décidé de mener son enquête sur ce qui était arrivé au fils du cinéaste. Cet entretien, illustré par quelques extraits de films, vous donnera non seulement envie de vous replonger dans l’une des œuvres les plus fantastiques du cinéma, mais aussi celle de dévorer ce superbe roman. sont bien illustrés par des extraits d’autres films du réalisateur, des affiches et photos et des citations de Sirk.

L’Image et le son

Premier film en Technicolor pour Douglas Sirk, Qui donc a vu ma belle ? est servi dans un écrin de toute beauté par Elephant qui lui offre une nouvelle jeunesse. Signalons tout d’abord la persistance de quelques poussières ainsi qu’un grain cinéma qui a certes été adouci mais qui demeure visible lors des enchaînements de séquences. A l’instar de Tout ce que le ciel permet (entre autres), cette comédie de mœurs de Douglas Sirk propose un véritable festival de couleurs dont le ton est donné dès le générique d’ouverture et c’est un véritable festival pour les yeux. Un superbe Technicolor avec une large gamme de verts et de bleus parfaitement saturés. Le tout est lumineux et les contrastes harmonieux.

Pas de véritables anicroches à déclarer si ce n’est un très léger souffle récurrent. Cette piste anglaise unique ne manque ni d’ampleur ni de dynamisme et les dialogues sont vifs.

Crédits images : © Elephant Films / Universal Studios / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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