Test DVD / Juliette ou la clé des songes, réalisé par Marcel Carné

JULIETTE OU LA CLÉ DES SONGES réalisé par Marcel Carné, disponible en DVD le 28 septembre 2020 chez Doriane Films.

Acteurs : Gérard Philipe, Suzanne Cloutier, Jean-Roger Caussimon, René Génin, Roland Lesaffre, Gabrielle Fontan, Arthur Devère, Louise Fouquet, Yves Robert…

Scénario : Jacques Viot & Marcel Carné, d’après la pièce de Georges Neveux

Photographie : Henri Alekan

Musique : Joseph Kosma

Durée : 1h29

Date de sortie initiale : 1951

LE FILM

Michel a volé par amour pour Juliette. Du fond de sa cellule, il songe à la jeune fille. Transporté par ses rêves, le voici dans un étrange village dont les habitants semblent avoir perdu la mémoire. Juliette, elle, est retenue captive par un mystérieux châtelain, fort jaloux, qu’elle doit bientôt épouser. Michel essaie de la reconquérir et croise des personnages singuliers – des villageois, des musiciens… Il retrouve Juliette et lui fait une promesse. Mais qu’en sera-t-il à son réveil ?

Rétrospectivement, il semblerait que Marcel Carné (1906-1996) compte beaucoup de « films maudits » à son palmarès comme La Fleur de l’âge, qui ne sera d’ailleurs jamais achevé, Les Portes de la nuit, la dernière collaboration Carné – Prévert ou bien encore celui qui nous intéresse aujourd’hui, Juliette ou la clé des songes (1951). Pour les cinéphiles du monde entier, le cinéma de Marcel Carné se résume aux films cosignés avec Jacques Prévert, de Jenny (1936) aux Portes de la nuit (1946), en passant bien évidemment par Drôle de drame (1937), Le Quai des brumes (1938), Le Jour se lève (1939), Les Visiteurs du soir (1942) et Les Enfants du paradis (1945). Par la suite, l’oeuvre du réalisateur est comme qui dirait passée plus inaperçue, malgré d’incontestables réussites, Thérèse Raquin (1953), Les Tricheurs (1958), Trois chambres à Manhattan (1965), Les Jeunes Loups (1968) et Les Assassins de l’ordre (1971). Souvent oublié dans la filmographie du metteur en scène, Juliette ou la clé des songes est pourtant un sublime conte, une histoire d’amour tragi-comique où le fantastique s’immisce par l’intermédiaire du rêve. Si on le compare aux Visiteurs du soir, auquel on peut aisément le rattacher, ce dixième long métrage de Marcel Carné a beaucoup mieux vieilli, sans doute parce qu’il s’agit d’un film contemporain alors que le premier était abordé sous l’angle médiéval. Loin de l’interprétation théâtrale, figée, voire franchement douteuse (ça c’est pour Alain Cuny) des Visiteurs du vendredi (on ne parle pas des fabuleux Arletty et Jules Berry), Juliette ou la clé des songes foudroie par sa beauté plastique, par son romanesque, par la beauté de ses dialogues et celle du couple vedette, Gérard Philipe et Suzanne Cloutier.

Curieusement, l’histoire rappelle celle des Belles de nuit de René Clair, interprété aussi par Gérard Philipe, dans lequel le comédien incarne un compositeur sans le sou, qui préfère fuir ses soucis en allant dormir, pour se mettre immédiatement à rêver d’un monde meilleur, en errant à travers les siècles passés dans son monde imaginaire. Dans ses songes, il est entouré de belles femmes, qu’il connaît dans la vie réelle, surtout sa jolie voisine. À mesure que le temps passe, Claude en arrive à se soustraire de plus en plus à la réalité au point qu’il ne peut plus y faire face et souhaite même se procurer des somnifères afin de pouvoir dormir plus longtemps. Si le dénouement des deux films sera complètement opposé, on peut remarquer de grandes similitudes entre ces deux oeuvres. Toujours est-il que Juliette ou la clé des songes reste bel et bien un film de Marcel Carné, dont la griffe aussi inimitable que magnifique est omniprésente et transporte les spectateurs dans un monde unique, propre à son auteur.

Trois hommes se trouvent dans une cellule. L’un d’eux, Michel, dort. Il rêve qu’il arrive dans un village dont il demande le nom à une vieille femme. Celle-ci ne répond pas : c’est le pays de l’Oubli où tous les habitants sont amnésiques. Il cherche Juliette, celle qu’il aime dans la réalité. Au cours de ses pérégrinations, il croise divers personnages, dont un bossu et un accordéoniste qui retrouve ses souvenirs en jouant des airs. Enfin Michel rencontre Juliette. Ils s’échangent des promesses d’amour et se séparent après s’être donnés rendez-vous dans la forêt. Après avoir été rossé par un policier qui lui demande ce qu’il a fait avec Juliette, Michel est présenté au châtelain. Ce châtelain croit avoir un passé commun avec Juliette qu’il veut épouser. Michel se rend ensuite dans la forêt où il rencontre plusieurs personnes : un marchand de souvenirs, le père La Jeunesse, un légionnaire qui demande son passé à un chiromancien.

Romantique, onirique, Juliette ou la clé des songes réussit à toucher le spectateur là où le cinéaste échouait avec Les Visiteurs du vendredi. Ici, pas de longueurs, pas de mise en scène figée et surtout pas de dialogues pompeux. Marcel Carné happe le spectateur dès la « sortie » de prison de Michel et son arrivée immédiate sur un petit chemin ensoleillé qui le mène vers un petit village, sans doute de Provence. Son nom ? Personne ne le sait, ou plutôt personne ne s’en souvient, car les passants qui croisent la route de Michel lui indiquent qu’il se trouve au pays des hommes sans mémoire, à tel point que les habitants du village ne savent même pas quel jour on est. Mais Michel est bien décidé à retrouver Juliette, celle qu’il aime, à laquelle il pensait juste avant d’atterrir dans cette petite bourgade et qui l’empêchait de trouver le sommeil. Seulement voilà, il semble être le seul à se souvenir de Juliette, même si certains pensent pouvoir l’aider en lui disant qu’il s’agit du nom d’un bateau, du nom inscrit sur une tombe ou une amie d’enfance…Et si Juliette était elle-même atteinte de cette étrange malédiction ? Si elle avait oublié Michel ? Enfin malédiction, pas pour certains qui préfèrent que les choses se passent ainsi, pour ne pas se souvenir des épisodes tristes de leur vie…Mais d’autres ont de sombres desseins, à l’instar de ce riche châtelain, condamné à mort dans plusieurs pays, qui entend parler de Juliette, la retrouve et lui fait croire qu’elle lui est destinée depuis toujours. Michel parviendra-t-il à retrouver l’élue de son coeur et à lui rappeler leur amour ?

Marcel Carné n’a jamais cessé de croire au merveilleux et de défendre ce film mal aimé tout au long de sa carrière. En adaptant la pièce de Georges Neveux, qu’il avait déjà pensé transposer au cinéma quelque temps auparavant avec Jean Cocteau, le cinéaste trouve un terreau idéal pour y planter ses fantasmes et obsessions, tout en repoussant toujours plus loin ses recherches formelles. Le rêve et la réalité s’entrecroisent, se confrontent et s’imbriquent, le rêve devient la plus belle des échappatoires, puisque la vraie vie, peu conforme à nos désirs, n’apporte que des déceptions. Les dialogues signés Georges Neveux sont superbes, la photo du légendaire Henri Alekan (La Bataille du rail, La Belle et la Bête, Topkapi, Les Ailes du désir, Vacances romaines) subjugue du début à la fin et magnifie les impressionnants décors du mythique Alexandre Trauner, tandis que la composition de Joseph Kosma étourdit les sens. Quant aux comédiens, Gérard Philipe (juste avant Fanfan la Tulipe), la belle canadienne Suzanne Cloutier, le suintant (et génial) Jean-Roger Caussimon, sans oublier Yves Robert (l’accordéoniste), qui faisait ses débuts devant la caméra, et les autres sont tous exceptionnels. Enfin, Juliette ou la clé des songes prouve une fois de plus que le cinéma de Marcel Carné n’avait pas besoin de la plume de Jacques Prévert pour exister, pour faire battre le coeur des spectateurs et surtout pour être qualifié de poétique.

Accueilli de manière glaciale lors de sa présentation au Festival de Cannes et à sa sortie dans les salles, aussi bien par la critique que par les spectateurs, Juliette ou la clé des songes est aujourd’hui considéré à sa juste valeur, autrement dit un trésor caché dans l’immense carrière de Marcel Carné, qui ne cesse d’être réhabilité et c’est tant mieux.

LE DVD

Juliette ou la clé des songes a autrefois existé en DVD chez Aventi Distribution, dans une édition quasiment introuvable et qui se revend à prix d’or. Le film de Marcel Carné est de retour dans les bacs sous les couleurs de Doriane Films. Le DVD repose dans un Digipack à deux volets, qui comprend aussi un très bon livret illustré de 28 pages, écrit par Philippe Morisson, spécialiste de l’oeuvre de Marcel Carné, intitulé L’Histoire de Juliette ou la clé des songes, qui aborde la genèse, la production, la sortie houleuse et l’accueil critique du film. Le menu principal est fixe et musical.

Aucun bonus sur cette édition.

L’Image et le son

Pas d’édition HD pour Juliette ou la clé des songes. Le film est présenté dans un nouveau master restauré au format respecté 1.37 (4/3). Si la copie présente encore quelques légers défauts (des fourmillements notamment), revoir l’oeuvre de Marcel Carné dans ces conditions techniques était pour ainsi dire inespéré. Le N&B est dense, les noirs concis (un peu trop peut-être sur les scènes sombres), les blancs lumineux, le piqué est souvent vif, la gestion du grain fort correcte et la propreté éloquente. On oublie donc rapidement les menus accrocs qui subsistent, puisque nous n’avions probablement jamais vu Juliette ou la clé des songes ainsi, pimpant et élégant.

Le mixage français Mono 2.0 s’en tire avec tous les honneurs, même s’il faut bien l’avouer, les dialogues restent aléatoires, tantôt trop détachés, tantôt couverts, parfois au cours d’une même séquence. L’écoute demeure propre malgré un très léger souffle, tandis que la musique de Joseph Kosma est plus fluctuante et criarde, avec quelques choeurs qui frôlent la saturation. Pas de sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, mais des sous-titres anglais…

Crédits images : © Doriane Films / 1951 Films Sacha Gordine / 2020 Impex Films / Raymond Voinquel / RMN Grand Palais Gestion Droit d’auteur / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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