Test Blu-ray / Vers sa destinée, réalisé par John Ford

VERS SA DESTINÉE (Young Mr. Lincoln) réalisé par John Ford, disponible en DVD et Blu-ray le 28 janvier 2020 chez BQHL Editions

Acteurs : Henry Fonda, Alice Brady, Marjorie Weaver, Arleen Whelan, Eddie Collins, Pauline Moore…

Scénario : Lamar Trotti

Photographie : Bert Glennon, Arthur C. Miller

Musique : Alfred Newman

Durée : 1h40

Date de sortie initiale : 1939

LE FILM

Sa fiancée décédée, le jeune Abraham Lincoln jure sur sa tombe faire carrière selon ce qu’elle attendait de lui. Devenu avocat, il s’installe à Springfield. A l’occasion de la fête nationale, il prend la défense des frères Clay que tout accuse du meurtre du shérif adjoint. Un procès a priori perdu d’avance tant les charges sont accablantes. Refusant que la mère des accusés envoie l’un de ses fils à potence pour sauver l’autre, Lincoln déjoue les pronostics, tirant profit de chaque détail afin d’arracher ses clients à la corde qui lui est promise…

Quel trésor ! Quelle merveille ! Pourtant, Vers sa destinéeYoung Mr. Lincoln demeure méconnu dans l’oeuvre impressionnante et prolifique de l’immense John Ford (1894-1973). Réalisé en 1939, soit entre La Chevauchée fantastiqueStagecoach et Sur la piste des Mohawks, trois films mis en scène la même année, Vers sa destinée permet au cinéaste de revenir à un personnage qu’il avait déjà abordé en 1924 dans Le Cheval de ferThe Iron Horse, mais aussi et surtout en 1936 dans Je n’ai pas tué LincolnThe Prisoner of Shark Island. Drame historique et étonnamment toujours teinté d’humour, Vers sa destinée foudroie non seulement par sujet passionnant, qui évite l’hagiographie gratuite et facile, pour l’extraordinaire interprétation de Henry Fonda, âgé de 34 ans et encore au début de sa carrière (il n’avait que cinq années de cinéma derrière lui), qui collabore pour la première fois avec John Ford, après avoir été propulsé sur le grand écran par Victor Fleming, Henry King, Henry Hathaway, Raoul Walsh, Fritz Lang, William Wyler et William Dieterle. Le réalisateur et le comédien rendent à Abraham Lincoln sa dimension humaine, montrent un jeune homme un peu gauche, dégingandé, réservé, mais bouillonnant, humaniste, sensible, épris de justice et d’égalité, à travers un récit méconnu qui inscrit Vers sa destinée dans le genre du thriller judiciaire, le tout étant évidemment véridique. Un chef d’oeuvre absolu.

New Salem Illinois 1832. À la mort d’Ann Rutledge, la femme qu’il aimait, Abraham Lincoln jure sur la tombe de sa bien-aimée d’apprendre le droit. À Springfield, Lincoln, qui vient d’ouvrir un cabinet juridique, rencontre Stephen Douglas qui ne partage pas ses idées politiques mais lui fait faire la connaissance de Mary Todd. Au cours de la célébration de la fête nationale, un drame se produit. Matt et Adam Clay se battent avec le voyou « Scrub » White. Ce dernier est retrouvé mort et les deux frères Clay sont accusés de ce meurtre. Cass, l’unique témoin à charge, tente de faire lyncher par la foule les deux frères. Mrs. Clay, la mère des accusés, demande l’aide d’Abraham Lincoln. Celui-ci parvient à disperser la foule et il devient leur avocat. Le procès commence dans une atmosphère houleuse, chacun, y compris le juge, étant persuadé de la culpabilité des frères Clay. Lincoln se révèle un juriste hors pair.

John Ford ne cesse de jouer avec les ruptures de tons. A la fois film historique respectueux des faits, parfois à la limite du documentaire quand il reconstitue la grande parade de la fête nationale d’une petite bourgade de l’Illinois, un drame judiciaire où un jeune avocat sans expérience décide de défendre deux frères accusés de meurtre malgré la vindicte populaire, le tout teinté de second degré quand Abraham Lincoln use d’un humour ironique et sarcastique lors du procès, Vers sa destinée happe le spectateur dès les premières séquences. Le personnage, quelque peu paumé ne sait pas trop quoi faire de sa vie, se voit pousser et encourager par une jeune femme, Ann Rutledge, dont il est vraisemblablement épris, à faire carrière dans le droit. S’ensuit une impressionnante ellipse où Abraham Lincoln se recueille sur la tombe enneigée de la personne en question, où il lui déclare solennellement qu’il tiendra sa promesse et deviendra avocat. Le réalisateur prend ensuite son temps pour dépeindre l’environnement, la population, les us et coutumes, pour planter le décor où se tiendra l’action principale de Vers sa destinée, autrement dit un meurtre brutal qui détonne avec l’innocence et la légèreté de la longue fête qui a précédé et réuni toute la ville.

Le procès représente le dernier tiers du long métrage. John Ford évite le côté théâtral, piège dans lequel de nombreux réalisateurs sont tombés, en multipliant les angles de prises de vues, en montrant le côté anticonformiste d’Abraham Lincoln, vautré dans un fauteuil tel un cowboy, ou bien assis sur les marches de l’estrade où le jury écoute les différents témoins. Cet avocat de la défense, qui avait réussi à contenir la population qui se préparait déjà à pendre les deux accusés, au point que le nœud coulant était déjà tressé, lance ensuite quelques vannes bien placées (la meilleure étant celle du « Jack Cass »), qui font alors le bonheur de l’assistance et même du juge, qui entre deux bonnes siestes et deux bouffées de sa pipe, ne peut s’empêcher de rire aux éclats aux bons mots de l’avocat. Après une séquence éprouvante où l’avocat de la partie adverse s’en prend éhontément à la fragile mère éplorée des deux accusés, John Ford rappelle que l’enjeu est de taille et surtout dramatique, car les deux frères peuvent se voir passer la corde autour du cou. L’humour redescend et Abraham Lincoln, après s’être reposé en jouant de la guimbarde, entreprend de prouver que ses clients ne sont aucunement responsables du meurtre dont on le accuse, malgré la présence d’un témoin qui indique le contraire. Quasiment de tous les plans, Henry Fonda, fascinant, subjugue et incarne Abraham Lincoln avec une immense élégance, sans jamais forcer le trait, avec une retenue qui montre à la fois la sensibilité du personnage, mais aussi la passion qui l’anime.

Vers sa destinéeYoung Mr. Lincoln n’est pas un film « ouvertement » politique, même si les valeurs de celui qui deviendra le seizième Président des Etats-Unis imprègnent et parcourent le film. Le final, où le personnage, se redresse (le corps longiligne de Fonda-Lincoln est un des grands motifs du long-métrage) une fois arrivé en haut d’une colline, puis entreprend de la descendre à pied, sous un ciel chargé (qui annonce comme qui dirait la prochaine guerre civile), le montre se diriger vers son avenir, sa destinée hors du commun, sa légende. Et c’est absolument somptueux.

LE BLU-RAY

Tout d’abord édité en DVD chez Opening en 2005, puis par Filmedia en 2010, Vers sa destinée est ensuite arrivé dans l’escarcelle de BQHL Editions en 2018. Le film de John Ford débarque en Haute-Définition chez le même éditeur en janvier 2020, qui à cette occasion reprend le même visuel. La jaquette est glissée dans un boîtier classique de couleur bleue, glissé dans un surétui cartonné. Le menu principal est animé et musical.

BQHL reprend les mêmes suppléments déjà disponibles sur l’édition DVD Opening à savoir :

Un entretien avec Jean Collet (38’), mené par Noël Simsolo. L’écrivain français, théoricien du cinéma et professeur des universités, également auteur de John Ford, la violence et la loi (coll. « Le Bien commun », Éditions Michalon, 2003) analyse à la fois le fond et la forme de Vers sa destinée, dissèque « un film qui ne traite pas du pouvoir, ni de la politique, mais de l’autorité », passe en revue les rapports entre la politique et la morale traités par John Ford. Quelques séquences sont aussi analysées et mettent en relief les thèmes du film, la tricherie, le jeu et le mensonge. On pourra d’ailleurs regretter que cette présentation soit souvent entrecoupée par de longs extraits.

Le second supplément fera fuir les allergiques à l’analyse pseudo-intellectuelle puisqu’il s’agit d’une « Leçon de cinéma » de Jean Douchet, dont le texte est lu par une voix quelque peu monocorde et plaquée sur des images du film. 17 minutes durant lesquelles on nous parle, comme d’habitude, de verticalité, d’horizontalité, de cercle et de tout un tas de choses, mais pas de ressenti, d’émotions et de plaisir. Nous n’avons jamais adhéré à ce genre d’analyse qui oublie avant tout que le cinéma est un spectacle. Choisissez votre camp !

En plus de ces suppléments, n’oublions pas le livret de 16 pages réalisé par Marc Toullec, très complet et bien illustré, qui revient sur la genèse, le tournage et la postérité de Vers sa destinée.

L’Image et le son

Un master HD ( au format 1080p) aléatoire. On passe de contrastes denses, aux noirs sombres et aux blancs éclatants, à un N&B perfectible avec une palette de gris peu nuancée, parfois au cours d’une même séquence. La propreté est également acceptable, souvent, mais d’autres scènes peuvent voir l’apparition de poussières diverses et de rayures verticales agaçantes. Le piqué et la texture du grain argentique ont également des hauts et des bas, la copie est parfois ferme et peut décrocher soudainement. Notons également des plans flous. Au final, une définition honnête, contenant pas mal de défaits et déséquilibres. On est loin de la restauration 4K disponible chez Criterion !

L’unique piste anglaise, Dolby Digital Mono 2.0., fait ce qu’elle peut et s’en sort plutôt bien avec une dynamique certaine. Quelques craquements, une partition musicale qui perce les tympans à plusieurs reprises et certains échanges chuintants. Les sous-titres de couleur jaune ne sont pas verrouillés.

Crédits images : © 20th Century Fox / BQHL Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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