TOUT PRÈS DE SATAN (Ten Seconds To Hell) réalisé par Robert Aldrich, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 19 septembre 2023 chez Rimini Editions.
Acteurs : Jack Palance, Jeff Chandler, Martine Carol, Robert Cornthwaite, Dave Willock, Wesley Addy, Jim Goodwin, Virginia Baker…
Scénario : Robert Aldrich & Teddi Sherman, d’après le roman de Lawrence P. Bachmann
Photographie : Ernest Laszlo
Musique : Kenneth V. Jones
Durée : 1h30
Année de sortie : 1959
LE FILM
Berlin, fin de la Seconde Guerre mondiale. Six anciens soldats allemands s’engagent dans une périlleuse mission de déminage. Au milieu des ruines, le danger est permanent et tous n’en sortiront pas vivants.
Dans l’histoire du cinéma, parmi les débuts les plus fulgurants d’un réalisateur figurent incontestablement ceux de Robert Aldrich (1918-1983). L’ancien assistant de Robert Stevenson, Edward Dmytryk, Charles Chaplin, Joseph Losey et autres passe derrière la caméra à la télévision, puis signe son premier long-métrage en 1953, Big Leaguer, avec Edward G. Robinson. Suivront très vite Alerte à Singapour – World for Ransom, Bronco Apache, Vera Cruz, En quatrième vitesse – Kiss Me Deadly…qui deviendront des références dans leurs genres respectifs. En 1955, le cinéaste dirige pour la première fois Jack Palance dans Le Grand Couteau – The Big Knife, qui demeure avec Boulevard du Crépuscule une charge explosive contre Hollywood. S’il n’arrive pas à la hauteur du chef d’oeuvre de Billy Wilder et n’échappe pas à la théâtralité, le film de Robert Aldrich ne manque pas de virulence envers l’industrie hollywoodienne, mais se montre trop bavard, s’étire en longueur et finit même par ennuyer parfois le spectateur jusqu’à redynamiser son intérêt par des séquences d’une ahurissante cruauté verbale, soutenue par la photo tranchante d’Ernest Laszlo avec qui Aldrich collabora à sept reprises dans sa carrière. Le Grand couteau est passé à la postérité grâce à la performance et au physique de Jack Palance, habituel salaud trouvant ici un rôle inattendu de victime à fleur de peau tout en violence rentrée, un géant d’1m93 pliant sous le poids d’un chantage malsain, un comédien devenu lâche et dépendant face au système qui le broie littéralement. Malgré des critiques positives, le film sans concession et radical de Robert Aldrich est un échec commercial, mais sera récompensé par le Lion d’Or au Festival de Venise en 1955 et les deux hommes enchaînent immédiatement avec Attaque – Attack, monument du film de guerre où le réalisateur prolonge une fois de plus ses thématiques personnelles. S’étant brouillé avec la Columbia, soupçonné d’être sympathisant communiste, Aldrich décide de s’exiler en Europe à la fin des années 1950. C’est là qu’il retrouve pour la troisième et dernière fois Jack Palance pour Tout près de Satan – Ten Seconds to Hell, co-production américano-britannique, partagée entre Seven Arts Productions et la célèbre Hammer Film Productions. Robert Aldrich revient au film de guerre en allant directement filmer dans le froid et les ruines de Berlin, un combat psychologique entre deux hommes revenus du front, qui ont tout perdu, mais qui affrontent différemment la situation. Si le final cut échappera au cinéaste, qui aurait voulu une œuvre plus étendue et encore plus recherchée sur le plan philosophique (ce qui exaspérait d’ailleurs Jack Palance), Tout près de Satan est une œuvre sèche et intense, qui prend aux tripes du début à la fin et qui vaut aussi et avant tout pour la confrontation de ses sublimes acteurs.
Berlin, 1945. Six soldats allemands démobilisés s’engagent dans un périlleux service de déminage. Un accord est conclu entre eux : chacun versera la moitié de sa paye dans une caisse commune qui, au bout de six mois, sera partagée entre les survivants. Amis de longue date, Koertner et Wirtz s’opposent sur le plan du caractère : le premier est un idéaliste plein de compassion, le second un égocentrique et un cynique. Leur rivalité s’accroît du fait qu’ils sont l’un et l’autre attirés par leur séduisante logeuse, une veuve de guerre française prénommée Margot. Petit à petit, le groupe s’amenuise : Globke est tué alors qu’il tentait de désamorcer une bombe anglaise à double percussion; Tillig périt à son tour ; puis, c’est le tour de Sulke, qui laisse une veuve et un enfant, Koertner et Loeffler sont prêts à faire cadeau de leurs parts à la jeune veuve, mais Wirtz refuse. Écoeurée par son comportement, Margot se rapproche de Koertner et le supplie d’abandonner ce travail trop dangereux.
Dans Le Grand couteau, le contrat signé et liant l’acteur à son producteur omnipotent est un véritable pacte passé avec le diable. La charge pamphlétaire de Robert Aldrich ne s’appliquait pas uniquement au cinéma mais dans l’universalité où la liberté de l’homme à disposer de son libre-arbitre ou de son droit de retrait est bafouée sur l’autel du profit par des dirigeants sans scrupules. Ce sont ces sujets que le cinéaste décortiquera à travers ses films, le rapport entre dominé et dominant, le renoncement aux idéaux. Tout près de Satan se place dans cette continuité et Robert Aldrich, qui était fasciné par Jack Palance, bien que leurs rapports étaient on ne peut plus difficiles, filme le visage singulier de son acteur, pour faire ressortir la fragilité de son personnage. Ses diverses confrontations avec le grand Jeff Chandler (cinq ans après leur premier duel dans Le Signe du païen de Douglas Sirk et deux ans avant sa disparition prématurée) et la frenchie Martine Carol (bouleversante) sont parmi les plus belles filmées par Aldrich, tandis que la séquence finale s’imprime sans mal dans les mémoires cinéphiles.
Dans Tout près de Satan, ils ne sont pas 12 salopards, mais une demi-douzaine d’anciens soldats (ils étaient dix au départ), de retour à Berlin après la fin de la Seconde Guerre mondiale, devenus malgré-eux une équipe de déminage. Conscients de la dangerosité de leur fonction, ils capitalisent afin que les survivants soient à l’abri du besoin. Sage décision, car les décès se succèdent et il ne reste bientôt plus que deux membres : Karl Wirtz et Eric Koertner. Entre eux, une tension exacerbée par la disparition de leurs camarades et par leur rivalité amoureuse pour Margot Hofer va crescendo. Tout près de Satan se concentre sur une poignée d’hommes lancés dans une mission-suicide, dont ils ne parviennent pas à s’extraire, tout simplement parce qu’ils ne le désirent pas vraiment et surtout car leur existence ne se résume plus qu’à ça désormais. Le but est de réussir à tromper la mort, qui n’a pas voulu d’eux sur le front, mais qui plane et peut frapper à chaque instant. Alors, quand ils signent un contrat (avec le diable, encore) de six mois au terme duquel chacun versera la moitié de sa paye dans une caisse commune au profit des survivants du groupe, le jeu devient tentant.
Tout près de Satan est adapté d’un roman de Lawrence P. Bachman, mais il s’agit d’un des projets les plus personnels de Robert Aldrich, qui une fois n’est pas coutume signe lui-même le scénario, ici avec Teddi Sherman (Le Bagarreur du Tennessee d’Allan Dwan, Tornade sur la ville de Jack Arnold). Mais devant se plier aux exigences de son producteur Michael Carreras, le montage finit par lui échapper et plus d’une demi-heure du film passe à la trappe, probablement à jamais. Ten Seconds to Hell est pourtant une œuvre 100 % aldrichienne, magnifiquement mise en scène, photographiée par le fidèle Ernest Laszlo (leur cinquième association ici) qui capture la noirceur des ruines de Berlin, renvoyant à la psyché des personnages principaux, qui attendent cloîtrés qu’on fasse appel à leurs services (un peu comme les Ghostbusters, « on a un clieeeent ! »), avant de se rendre sur place, peut-être pour la dernière fois.
S’il n’est pas aussi percutant qu’Attaque, Ten Seconds to Hell est nettement plus convaincant que Le Grand couteau. Certes, Tout près de Satan n’est pas exempt de séquences aux répliques conséquentes, mais cela est compensé par les scènes de déminage qui se déroulent dans un silence absolu et saisissant (annonçant The Hurt Locker de Kathryn Bigelow), seulement marquées par le grincement du câble lors du désamorçage. Du grand art.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Quel plaisir de voir un film de Robert Aldrich débarquer en DVD et Blu-ray dans nos contrées ! Cela faisait longtemps qu’on espérait (re)découvrir celui-ci et Tout près de Satan bénéficie d’un nouveau traitement de faveur de la part de Rimini Éditions. Les deux disques sont disposés dans un Digipack à deux volets, élégamment illustré par une photo tirée du film et d’un visuel original. Le menu principal est animé et musical.
Le premier supplément de cette édition est un entretien avec Frank Lafond, historien du cinéma et essayiste (23’), dont on avait déjà pu apprécier le travail sur la somptueuse édition de Phase IV éditée par Carlotta Films et celle de Baïonnette au canon (chez Sidonis Calysta). L’auteur de Dictionnaire du cinéma fantastique et de science-fiction et de Samuel Fuller – Jusqu’à l’épuisement replace tout d’abord Tout près de Satan dans la filmographie de Robert Aldrich. Puis, il évoque l’adaptation du roman de Lawrence P. Bachmann (publié en 1955), la psychologie des personnages principaux (Jack Palance trouvait son personnage trop bavard et l’ensemble trop philosophique), les conditions de tournage, les rapports difficiles entre le réalisateur et la Hammer (co-productrice du film), les prises de vue à Berlin…
Devenu récurrent dans les bonus des éditions Rimini/Bubbelcom, Jacques Demange, critique cinéma à la revue Positif, donne également son point de vue sur Tout près de Satan (16’). « Un film moins intéressant par son scénario que par son sujet » indique-t-il d’emblée, avant de mettre en relief les ingrédients typiques du cinéma de Robert Aldrich, à savoir « un groupe d’hommes réunis de force », comme dans Les 12 Salopards, car chez Aldrich « on se réunit, car on n’a pas le choix ». Ensuite, Jacques Demange développe l’idée de la transcendance et de l’élévation chez le réalisateur, parle du tournage à Berlin, des rapports entre Jack Palance et Robert Aldrich (« un excellent acteur, mais impossible à gérer sur le plateau »), du fait que le montage ait été retiré au cinéaste par la Hammer (qui souhaitait un film plus court et concis que ce que désirait son auteur), du rapport entre la psychologie des personnages et les paysages en ruines qui les entourent. Dans la dernière partie de son intervention, Jacques Demange dissèque un peu plus la mise en scène (l’utilisation de la contre-plongée notamment) et la passion d’Aldrich pour la mise en valeur des visages des comédiens, sans oublier l’usage du silence à plusieurs reprises dans le film.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Rimini Éditions reprend visiblement le même master HD édité aux États-Unis par Kino Lorber en 2015. Une copie forcément un peu dépassée par les avancées plus contemporaines de restauration, mais qui ne démérite pas pour autant. Ce Blu-ray au format 1080p, présente le film de Robert Aldrich dans son format original 1.66, avec des détails appréciables et fins, surtout sur les très nombreux gros plans chers au réalisateur, capturant ainsi les regards intenses des personnages, ainsi que la tension caractérisée par un léger filet de sueur. La texture argentique est présente, parfois grumeleuse ou plus appuyée sur les fondus enchaînés (quelques légers décrochages), la photographie N&B d’Ernest Laszlo (Le Sillage de la violence, El Perdido, Jugement à Nuremberg, Bronco Apache, Houdini le grand magicien) est aussi lumineuse que bien tranchée dans ses contrastes. Quelques poussières et tâches, mais rien d’important, tandis que les stockshots utilisés en début de film sont forcément plus abîmés.
Les deux pistes originale et française sont proposées en en DTS-HD Master Audio Dual Mono. Passons rapidement sur la version française au doublage old-school très réussi, qui se concentre essentiellement sur le report des voix parfois au détriment de certains effets annexes. L’écoute demeure propre et nette. Elle n’est pas en revanche aussi fluide et homogène que la version originale, avec un report des dialogues ardent et naturel. Dans les deux cas, aucun souffle n’est à déplorer, y compris sur les nombreux silences.
Crédits images : © MGM / Hammer Films Productions / Rimini Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr