Test Blu-ray / Spéciale première, réalisé par Billy Wilder

SPÉCIALE PREMIÈRE (The Front Page) réalisé par Billy Wilder, disponible en DVD et Blu-ray le 16 septembre 2020 chez Rimini Editions.

Acteurs : Jack Lemmon, Walter Matthau, Vincent Gardenia, Susan Sarandon, Allen Garfield, Charles Durning, Austin Pendleton, Carol Burnett…

Scénario : Billy Wilder, I.A.L. Diamond d’après la pièce The Front Page de Ben Hecht & Charles MacArthur

Photographie : Jordan Cronenweth

Durée : 1h44

Date de sortie initiale : 1974

LE FILM

Rédacteur en chef d’un journal, Walter Burns est en colère contre Hildy Johnson, son meilleur journaliste, qui, absent, risque de lui faire manquer l’exécution d’un dangereux assassin. Mais le reporter désire abandonner le journalisme et toute recherche de scoop, et préfère se marier. Walter va tout faire pour qu’Hildy revienne sur sa décision.

Quatre ans après le rejet total de La Vie privée de Sherlock HolmesThe Private Life of Sherlock Holmes et deux ans après l’accueil tiède d’Avanti !, aussi bien de la part de la critique que du public, Billy Wilder, qui a illuminé le cinéma américain pendant près de vingt ans, sent le vent tourner. Pourtant, le cinéaste ne souhaite pas se laisser emporter par cette nouvelle vague qui secoue l’industrie hollywoodienne depuis l’arrivée sur les écrans d’Easy Rider de Peter Fonda à la fin des années 1960. Curieusement, il jette son dévolu sur une commande (rejetée par Joseph L. Mankiewicz), une nouvelle adaptation de la pièce The Front Page de Ben Hecht et Charles MacArthur, écrite près de cinquante ans auparavant et qui avait déjà connu deux adaptations au cinéma. La première, The Front Page réalisée en 1931 par Lewis Milestone, la seconde en 1940 par Howard Hawks, La Dame du vendrediHis Girl Friday, mettant en vedette Cary Grant dans le rôle de Walter et Rosalind Russell. Billy Wilder y a certainement vu une aubaine pour se refaire une santé au box-office, tout en sachant que la mouture d’Howard Hawks, déjà considérée comme un classique, suffisait largement. Néanmoins, le réalisateur se plonge dans son scénario avec l’aide de son acolyte – depuis Certains l’aiment chaud – I.A.L. Diamond, qui avait d’ailleurs écrit Chérie, je me sens rajeunirMonkey Business (1952) du même Howard Hawks. S’il apparaît complètement anachronique quand il fait son apparition au milieu des années 1970, Spéciale première n’a cessé d’être redécouvert. Certes, The Front Page de Billy Wilder n’est pas un chef d’oeuvre et quoi qu’on en dise restera toujours un film mineur dans sa carrière, mais cette comédie trépidante n’est pas un film raté comme il a été trop longtemps considéré. Billy Wilder y retrouvait le tandem Jack Lemmon – Walter Matthau pour la seconde fois huit ans après La Grande combineThe Fortune Cookie et sept ans avant leur ultime collaboration avec Victor la gaffeBuddy Buddy, impensable remake de L’Emmerdeur d’Edouard Molinaro avec lequel le cinéaste allait tirer sa révérence. Dans l’état, Spéciale première, l’antépénultième long-métrage de Billy Wilder, demeure un divertissement de haute volée, magistralement interprété et qui rappelle parfois les anciens typhons comiques de son auteur.

L’action se passe à Chicago, le jeudi 6 juin 1929. Earl Williams est condamné à mort pour avoir tué un policier. Walter Burns, rédacteur en chef d’un journal, envoie Hildy Johnson faire un reportage sur sa pendaison, mais Hildy souhaite quitter le métier et annonce sa démission ainsi que son prochain mariage à Burns qui prend la chose assez mal. À la suite d’un concours de circonstances, Williams parvient à s’évader. Toute la police de Chicago le recherche et on croit l’apercevoir dans toute la ville, alors qu’en fait il n’a pu franchir l’enceinte de la prison. Pendant ce temps, un fonctionnaire fédéral apporte au maire la notification de sursis de Williams, signée par le gouverneur. Le maire la refuse, la considérant comme nulle et non avenue en raison de l’état de fuite de Williams. Ne pensant qu’à sa propre réélection, il donne aussi l’ordre d’abattre le fugitif sans sommation, et soudoie le messager fédéral en lui offrant une soirée dans un bordel chinois.Tandis que Hildy se trouve seul dans la salle de presse, le condamné à mort fait irruption dans la pièce en passant par la fenêtre, se blessant au bras. Cyniquement, Hildy comprend le parti que son journal, duquel il vient pourtant de démissionner, peut tirer de la situation, il ferme la porte à clé et demande à Burns de le rejoindre. Survient alors Mollie Malloy, jeune prostituée au grand cœur amoureuse de Williams qu’elle était la seule à défendre, à qui Hildy ouvre, avant de refermer précipitamment la porte. Ils cachent Williams dans le secrétaire d’un collègue, tandis que la meute des journalistes tambourine à la porte, se demandant pourquoi elle est fermée…

Ce qui frappe dès les premières images de The Front Page, c’est la beauté dingue des images, qui plongent le spectateur dans les entrailles d’un journal à la fin des années 1920, le générique défilant alors quasiment au milieu des rotatives qui s’activent après la mise en page du quotidien, de la création des tampons, jusqu’à l’impression, en passant par le découpage et l’envoi du canard. Dans un second temps, on s’extasie devant le soin apporté à la reconstitution à travers les décors, les costumes, l’ambiance enfumée d’un bureau où des reporters (ou les vautours) attendent patiemment un nouveau scoop, tout en tapant le carton, une bouteille d’alcool traînant inévitablement sur le coin d’une table. Il en sera ainsi tout au long de ces 105 minutes, la photo de Jordan Cronenweth, futur chef opérateur de Légitime Violence (1977) de John Flynn, de Cutter’s Way (1981) d’Ivan Passer et surtout de Blade Runner (1982) de Ridley Scott subjugue du début à la fin. Mais loin de vouloir uniquement en mettre plein la vue, ce qu’il aurait aisément pu se permettre, Billy Wilder règle comme qui dirait des comptes avec une profession qu’il a exercée à Vienne dans les années 1920, période où se situe l’action de Spéciale première, un métier alors en mutation et qui ne bénéficiait pas de la même aura qu’au moment du tournage de son film, où par exemple Bob Woodward et Carl Bernstein, les deux journalistes qui ont enquêté sur le scandale du Watergate, pour le compte du Washington Post étaient quasiment élevés au rang de héros de la nation.

Billy Wilder n’a jamais été nostalgique, même s’il pouvait regretter quand même la mutation des goûts du public qui privilégiait alors la violence sèche et brutale sur le grand écran. The Front Page n’est pas un refuge pour le réalisateur puisqu’il y dresse le portrait d’hommes prêts à tout dans l’exercice de leurs fonctions, à savoir mettre la main sur un communiste condamné à mort (pour avoir tué un flic noir) qui s’est fait la malle. A ce titre, le duo Lemmon-Matthau fait évidemment des étincelles dans leur troisième association (sur neuf) au cinéma, le premier dans le rôle d’un reporter de choc, sur le point de se marier à la magnifique Peggy Grant (Susan Sarandon, déjà à se damner), le second dans celui de l’abominable rédacteur en chef qui n’est pas prêt à laisser s’échapper son meilleur élément.

Loin de se laisser à la facilité, le cinéaste signe un film historique, dans le sens où une période y est recréée, d’une beauté formelle à couper le souffle, légèrement étouffant – l’aspect théâtral du matériel original ne peut être évité – puisque le récit (aux dialogues éblouissants) se focalise essentiellement dans quelques intérieurs déterminés où traîne sûrement une odeur de tabac froid. Billy Wilder se permet un interlude frappadingue avec la séquence du brancard fou (Michael Lehmann s’en souviendra sûrement dans Hudson Hawk, gentleman et cambrioleur) qui renvoie directement au burlesque des années 1930. L’ensemble est constamment imprégné de l’énergie du capitaine Wilder qui contamine son équipe, ses comédiens, ses personnages donc. Tout ce beau monde s’envole dans une bourrasque de rebondissements tragi-comiques, où tout le monde en prend pour son grade (journalistes, politiciens, policiers…), à l’exception des femmes qui semblent épargnées, surtout le personnage de la prostituée Mollie Malloy (Carol Burnett), même si son sort sera terrible.

A sa sortie, Spéciale première reçoit un accueil timide, même s’il rentre dans ses frais. Toutefois, contre toute attente, Billy Wilder livrera un ultime chef d’oeuvre en 1978, loin des studios américains sans foi ni loi et dans lesquels il ne se reconnaissait plus. Ce sera Fedora qui est avec Boulevard du crépuscule, son autre déconstruction du mythe hollywoodien, un conte vertigineux, cruel et sombre, foudroyant, cynique, cruel et mal aimé, qui permettra au metteur en scène de revenir avec un saisissant réquisitoire contre le star system et son mythe de l’éternelle jeunesse. Quelque part, l’expérience de Spéciale première aura sûrement conduit Billy Wilder vers le ton amer, grinçant, désabusé, paranoïaque et fascinant de Fedora, son film-testament.

LE BLU-RAY

Spéciale première rejoint Avanti !, La Grande combine, Embrasse-moi, idiot, Irma la Douce, Un, deux, trois, La Garçonnière, Témoin à charge, La Valse de l’empereur et Le Poison dans la magnifique collection Billy Wilder, disponible chez Rimini Editions. La jaquette est typique de la collection, glissée dans un boîtier classique de couleur noire, lui-même glissé dans un surétui cartonné. Comme pour les autres titres, cette édition contient un livret de 28 pages rédigé par Marc Toullec, très bien illustré et qui revient sur la genèse, le tournage et la sortie de Spéciale première. Le menu principal est très élégant, animé et musical.

C’est devenu le rendez-vous incontournable de la collection Billy Wilder chez Rimini Editions. Mathieu Macheret (Le Monde) et Frédéric Mercier (Transfuge) partagent et échangent sur Spéciale première (34’). Les deux complices rivalisent avec le tandem Lemmon/Matthau en se renvoyant habilement la balle. Une fois de plus, ils réalisent une excellente et pertinente présentation du film de Billy Wilder, qu’ils situent dans sa carrière, tout en abordant les thèmes, la genèse du film, l’adaptation de la pièce de théâtre de Ben Hecht et Charles MacArthur, les partis-pris, les parallèles avec Le Gouffre aux chimères (1951), ainsi que les intentions du réalisateur.

C’était déjà le cas sur les éditions de Police Frontière de Tony Richardson, Un, deux, trois de Billy Wilder, Missouri Breaks d’Arthur Penn et Les Affameurs d’Anthony Mann, Rimini Editions et celui que nous aimons appeler « le spéléologue » Jérôme Wybon, proposent deux trésors à écouter en guise de suppléments. D’un côté l’intervention de Jack Lemmon (49’), de l’autre celle de Walter Matthau (1h01), enregistrées au National Film Theatre à une date inconnue pour le premier et le 21 août 1988 pour le second. Deux immenses moments, deux masterclass indispensables pour tous les admirateurs de ces deux monstres sacrés du cinéma hollywoodien, qui regorgent d’anecdotes de tournage, de souvenirs souvent très drôles et merveilleusement racontés sur leurs carrières respectives, devant un public qu’on imagine conquis d’avance. Un vrai bonheur !

La bande-annonce se clôt sur la bande-annonce.

L’Image et le son

Ce nouveau master restauré HD de Spéciale première brille souvent de mille feux et s’impose comme une grande réussite technique à ajouter au palmarès de l’éditeur. Le cadre large est superbe, le piqué acéré, la stabilité jamais démentie, les contrastes soignés. Les noirs sont profonds, la copie est stable et la définition subjugue, y compris sur les séquences sombres. La colorimétrie retrouve un éclat et une chaleur bienvenus sur les scènes diurnes. Les gros plans sont souvent épatants (les traits creusés de Walter Matthau entre autres), les détails abondent, la propreté est indéniable et la gestion du grain est on ne peut plus solide. C’est beau, c’est carré, c’est élégant.

Les mixages anglais et français DTS-HD Master Audio Mono s’avèrent tous les deux dynamiques et sans souffle parasite. Au jeu des différences, la version française est peut-être moins équilibrée et évidemment moins naturelle, mais reste de très bonne qualité, avec un bon dosage des dialogues, des ambiances et des effets annexes. La piste originale est exemplaire et limpide. Les sous-titres français ne sont pas imposés.

Crédits images : © Rimini Editions / Universal Studios / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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