SECRET DÉFENSE (Hidden Agenda) réalisé Ken Loach, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 15 mars 2022 chez Rimini Editions.
Acteurs : Frances McDormand, Brian Cox, Brad Dourif, Mai Zetterling, John Benfield, Des McAleer, Jim Norton, Maurice Roëves…
Scénario : Jim Allen
Photographie : Clive Tickner
Musique : Stewart Copeland
Durée : 1h48
Date de sortie initiale : 1990
LE FILM
Paul Sullivan et sa fiancée Ingrid Jessner se rendent à Belfast pour enquêter sur des allégations d’atteinte aux droits de l’homme commises par les forces de sécurité britanniques. Paul est assassiné dans des circonstances mystérieuses et est enregistré en tant que complice de l’IRA. Mais Ingrid et l’enquêteur britannique Paul Kerrigan, mettent en doute les conclusions de l’enquête et viennent à découvrir un complot mettant en cause des personnalités haut placées…
Quand il tourne Hidden Agenda, plus connu en France sous le titre Secret défense, Ken Loach (né en 1936) n’est pas encore le réalisateur acclamé dans les festivals et ses films les plus populaires sont devant lui. Pourtant, en 1990, le cinéaste a déjà plus de cinquante ans et près d’une dizaine de longs-métrages à son actif. Issu de la classe moyenne basse, fils d’ouvrier, Ken Loach se dirige très vite vers le cinéma social, en démarrant sa carrière dans le documentaire et à la télévision, pour laquelle il multiplie les projets dans les années 1960-70. S’il débute au cinéma à la fin des années 1960 avec Pas de larmes pour Joy – Poor Cow (1967), Kes (1969) et surtout Family Life (1971), Ken Loach mettra près de dix ans pour revenir sur le grand écran avec Black Jack. Il tâtonne durant quelques années, jusqu’à Hidden Agenda, qui va rabattre les cartes en devenant le catalyseur des plus grands succès du metteur en scène puisque suivront Land and Freedom, Carla’s Song, My Name Is Joe… Secret défense est un formidable, puissant, anxiogène et percutant drame politique et thriller d’espionnage engagé, qui rend compte de la situation en Irlande du Nord, avec lequel Ken Loach s’est attiré les foudres de la critique et des dirigeants de son pays, dont il fustige ouvertement les décisions et surtout les agissements pour annihiler la résistance irlandaise. Chef d’oeuvre absolu.
Une équipe de la Ligue internationale pour les droits civils arrive à Belfast lors d’une crise entre l’Irlande et la Grande-Bretagne. Son leader américain y est abattu par des policiers alors qu’il était en compagnie d’un militant de l’IRA. Un policier britannique enquête. Le chef de la police locale se méfie de lui. Un complot est progressivement révélé, mettant en cause six hauts personnages de l’État britannique impliqués dans cette affaire, mais aussi dans la déstabilisation du précédent gouvernement travailliste avant l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher.
Qu’elle soit morale ou matérielle, la propriété de l’Irlande, d’ouest en est et du nord au sud, revient de droit au peuple irlandais – James Fintan Lalor, 1897 / L’Irlande du Nord est aussi britannique que ma circonscription électorale – Margaret Thatcher, 1981 (citations opposées en ouverture).
Avant Au nom du père – In the Name of the Father et The Boxer de Jim Sheridan, Ken Loach se penchait sur le conflit nord-irlandais avec Hidden Agenda. Sur un scénario en béton écrit par Jim Allen, le réalisateur concilie à la fois le cinéma d’auteur et le cinéma populaire. Il parvient ainsi à intéresser le spectateur qui ignorerait tout sur ce sujet dense, complexe et épineux, qui pourrait même paraître hermétique pour certains, en exposant posément, clairement, de façon didactique les troubles, les enjeux politiques, les intérêts, les oppositions, les actions et les représailles de ce qui jouait alors en Irlande du Nord. Ken Loach plonge d’emblée son audience au cours d’une enquête menée sur les atteintes aux droits de l’homme. Paul (Brad Dourif, juste après Jeu d’enfant – Child’s Play), membre actif de la Ligue internationale pour les droits civils, est abattu. Le commissaire Peter Kerrigan (Brian Cox, impérial et monstre de charisme, qui faisait son grand retour au cinéma quatre ans après Le Sixième Sens de Michael Mann), découvre, grâce Ingrid, l’amie de Paul, qu’il était sur le point de révéler un complot. Kerrigan va se heurter a la corruption et aux méthodes illégales qui règnent dans la justice anglaise. Ingrid, c’est l’immense Frances McDormand, qui avait encore peu de films à son actif, mais déjà quelle carrière, puisque la comédienne venait d’enchaîner Sang pour sang – Blood Simple et Arizona Junior – Raising Arizona de Joel et Ethan Coen, Mort sur le grill – Crimewave et Darkman de Sam Raimi, sans oublier Mississippi Burning d’Alan Parker. La même année que Miller’s Crossing, l’actrice américaine crève l’écran une fois de plus dans Hidden Agenda, dans lequel son face-à-face avec Brian Cox donne lieu à de grands moments de cinéma.
– Fais ce qu’ils demandent et file !
– On verra…
Récompensé par le Prix spécial du jury au Festival de Cannes, Secret défense, inspiré de faits réels, est non seulement un film passionnant, mais aussi un magnifique objet de cinéma. La photographie de Clive Tickner, qui commettra plus tard celle de Spice World de Bob Spiers (mais on ne lui en veut pas) est splendide et les partis-pris rappellent parfois les œuvres du Caravage, en immergeant, en perdant, en noyant souvent ses personnages dans l’ombre, où les non-dits et les doutes peuvent enfin s’exprimer, où les révélations se font aussi. Il plane un danger constant sur les protagonistes dans Hidden Agenda, chacun étant étroitement surveillé à chaque coin de rue, leurs moindres agissements ou déplacements commentés. Sans scènes d’action ou de poursuites liées au genre (on est ici dans la veine des livres de John le Carré), Ken Loach maintient cette tension du début à la fin (forcément ouverte), et dévoile au grand jour l’implacable, l’hypocrite et la fatale machine politique, prête à broyer l’élément qui pourrait venir l’enrayer.
Si l’on veut protéger le système, il faut parfois recourir à des abus de pouvoir. C’est un passage obligé pour vivre dans une société libre, et ce prix la population est disposée à le payer.
Près de quinze ans avant sa première Palme d’or pour Le Vent se lève – The Wind that Shakes the Barley, le réalisateur, grâce à son bagage documentaire, montre frontalement les faits, en sachant que ceux-ci auront forcément des répercussions dans son pays. Un vrai scandale médiatique allait naître en Grande-Bretagne et entraîner moult remous dans le reste du monde. Ken Loach devenait alors véritablement l’un des cinéastes britanniques les plus influents et les plus importants du septième art.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Contrairement à ce que l’on pensait, Hidden Agenda avait déjà bénéficié d’une sortie en DVD en France, chez MGM / United Artists, en 2004. Le film de Ken Loach avait ensuite connu une ressortie en édition Standard deux ans plus tard, avant de disparaître de la circulation. Mars 2022, Rimini Editions propose ce chef d’oeuvre en Combo Blu-ray + DVD, les deux disques reposant dans un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné, illustré par le visuel repris de l’affiche originale. Le menu principal est animé et musical.
Rimini Edition était déjà allé à la rencontre d’Agnès Blandeau, maître de conférences en anglais à l’Université de Nantes, qui nous avait gratifiés d’une formidable présentation des Mutinés du Téméraire de Lewis Gilbert et bien sûr de Black Jack de Ken Loach. Nous allons donc passer à nouveau un peu plus d’une demi-heure en sa compagnie, durant laquelle Agnès Blandeau nous parlera du film qui nous intéresse aujourd’hui, Hidden Agenda. Celui-ci estintelligemment et longuement replacé dans l’oeuvre de Ken Loach, qui arrivait ici à un tournant dans sa carrière, après quelques années de vaches maigres. Puis, l’invitée de Rimini croise habilement le fond et la forme de Secret défense, évoque aussi et surtout le contexte historique, politique et social de la Grande-Bretagne à la fin des années 1980, marqué par la fin du règne de Margaret Thatcher, alors Première ministre du Royaume-Uni et Chef du Parti conservateur. Le fait divers à l’origine de Hidden Agenda, les partis-pris et les intentions de Ken Loach, la psychologie des personnages, les scènes clés, tout est abordé de façon pointue, mais toujours très intéressante et compréhensible.
L’éditeur a pu mettre la main sur une interview de Ken Loach (3’35) et une de Frances McDormand (3’15), réalisées en janvier 1991 pour le compte de la RTBF. Le réalisateur s’exprime sur la frontière entre la réalité et la fiction (« l’intrigue est fictive, mais le contexte irlandais est réel […] les évènements sociétaux sont réels, mais les personnages fictifs »), les accusations portées sur le film d’être pro-IRA, étant donné que celui-ci dénonce la violence et les tortures ordonnées par le MI5 et les services secrets britanniques, sans montrer celle de l’Armée Républicaine Irlandaise, ainsi que sur le fait que le Royaume-Uni a souvent bafoué les droits de l’homme en Irlande, tout en réalisant une campagne de désinformation au sujet d’actes commis par la résistance irlandaise. De son côté, Frances McDormand explique qu’elle ne savait rien de la situation politique en Irlande avant de découvrir le scénario de Hidden Agenda, « une candeur politique » qui lui a finalement servi pour le rôle. Puis, la comédienne explique comment elle et ses partenaires sont « devenus » les personnages du film, en indiquant qu’elle adore « se transformer au cinéma », même si elle « espère jouer dans des comédies dans les années à venir ».
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Voici donc Hidden Agenda en Blu-ray (au format 1080p), pour la première fois dans nos contrées. Hormis quelques fourmillements visibles sur les arrière-plans, cette édition HD offre au film de Ken Loach un nouvel écrin grâce auquel on le (re)découvre totalement. Les partis pris particuliers du chef opérateur Clive Tickner, qui se caractérisent souvent par des clairs-obscurs, sont bien restitués, limpides, et s’accompagnent d’un piqué aiguisé comme il le faut en offrant des détails impressionnants au niveau du rendu des visages des comédiens. Les contrastes sont denses avec des noirs solides, la texture argentique est palpable, sans oublier la grande propreté du master.
Les mixages français et anglais DTS-HD Master Audio 2.0 créent un espace d’écoute suffisamment plaisant en faisant la part belle aux dialogues du film, avec une limpidité plus éloquente en version originale. Les sous-titres français ne sont pas imposés.