Test Blu-ray / Black Jack, réalisé par Ken Loach

BLACK JACK réalisé par Ken Loach, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 20 avril 2021 chez Rimini Editions.

Acteurs : Stephen Hirst, Louise Cooper, Jean Franval, Phil Askham, Pat Wallis, John Young, William Moore, Doreen Mantle…

Scénario : Ken Loach, d’après le roman de Leon Garfield

Photographie : Chris Menges

Musique : Bob Pegg

Durée : 1h45

Année de sortie : 1979

LE FILM

Angleterre, 1750. Tolly, un jeune orphelin, fait la connaissance de Black Jack, un bandit de grand chemin qui vient d’échapper à la pendaison. Le brigand enlève Belle, une fillette que ses parents veulent mettre à l’asile, et charge Tolly de la surveiller. Les enfants parviennent à s’échapper et rejoignent une troupe de forains parcourant les routes de la région.

A la fin des années 1970, Kenneth Charles Loach alias Ken Loach (né en 1936) n’est pas vraiment en odeur de sainteté dans son pays et ce en raison de la polémique déclenchée par son quatrième long-métrage, Family Life, qui abordait frontalement les conditions d’internement psychiatriques d’une femme, qui s’enfonçait progressivement dans la schizophrénie et que les médecins soignaient uniquement à l’aide d’électrochocs, la lobotomisant petit à petit. Si Pas de larmes pour Joy – Poor Cow (1967) montrait les conditions misérables de vie dans un sinistre quartier des faubourgs de Londres, et Kes (1969) celles des villes minières et l’horizon bouché du Nord de l’Angleterre, les deux films avaient déjà fait grincer les dents (gâtées) de l’empire britannique. Le cinéaste devait enfoncer le clou en 1971 avec d’un côté Family Life, et de l’autre son documentaire The Save the Children Films, qui fustigeait ouvertement les ONG alors qu’on lui avait au contraire demandé de mettre en valeur les actions humanitaires d’une association. Ces deux films finissent par ostraciser quelque peu Ken Loach du cinéma. Il accepte donc quelques travaux à la télévision et réalise quelques épisodes de séries télévisées diverses (Play for Today), tout en préservant son esprit critique, comme à travers le show dramatico-historique Days of Hope, dont le producteur Tony Garnett, était aussi celui de Kes, Family Life, The Save the Children Fund Film. Ce dernier acquiert les droits du roman Black Jack, écrit par Leon Garfield, spécialiste des livres historiques pour la jeunesse, publié en 1968, dans lequel un jeune apprenti se retrouve, par accident et forcé par sa conscience, à accompagner un criminel meurtrier. Tony Garnett y voit l’opportunité pour Ken Loach de se refaire une santé au cinéma et de continuer l’exploration sociale de son pays, sous couvert d’un film d’aventures destinée aux adolescents. Le réalisateur en prend les manettes et malgré un budget très restreint, ainsi qu’un temps de tournage réduit à six semaines, livre un film souvent remarquable. Au-delà de sa belle reconstitution historique, Black Jack prolonge les œuvres précédentes de Ken Loach, puisque le metteur en scène se focalise sur les marginaux, les laissés-pour-compte, les exclus, les nantis qui préfèrent écarter, rejeter et oublier celles et ceux qui « font tâche » dans leur société bien réglée et bien propre sur elle. Loin d’être un simple « film pour enfants », Black Jack est une très belle découverte.

Situé au 18e siècle, Black Jack raconte l’histoire d’un jeune apprenti drapier, Tolly, qui arrache des mains de brigands un voleur et délivre par inadvertance une jolie jeune fille, Belle, de l’incarcération dans une maison d’aliénés où ses parents, sous l’influence néfaste du docteur et du prêtre de la localité, l’ont envoyée. Tolly se retrouve non seulement à lutter contre les parents de Belle, mais également contre Black Jack qui est prêt à les trahir. Belle et Tolly rejoignent des vagabonds et la jeune fille commence à s’ouvrir au monde, grâce à l’affection que le Docteur et Mme Carmody témoignent envers elle. Mais la tragédie va la frapper à nouveau et la séparer de ceux qu’elle aime.

L’action de Black Jack démarre d’emblée, sans générique (qui intervient un peu plus tard), avec une condamnation à mort, une vieille veuve qui demande au bourreau les corps non réclamés des jours de pendaison, pour les revendre ensuite aux chirurgiens. Ken Loach n’est pas là pour montrer que l’Angleterre a ressemblé autrefois au pays des Bisounours. Si effectivement le récit se déroule à travers les yeux d’un jeune protagoniste, Bartholomew alias Tolly, formidablement interprété par Stephen Hirst, un gamin du « cru » du Yorkshire dont il s’agit de la seule prestation au cinéma, Black Jack n’a rien du film infantilisant. Ken Loach filme la vérité, la crudité, les décisions implacables de la belle société qui décide – pour mieux oublier – de se débarrasser de ce qui pourrait gêner leur petit monde sous cloche, même s’il s’agit de quelqu’un de leur propre famille, comme c’est le cas de Belle (Louise Cooper). Victime très jeune d’une forte fièvre, la petite fille a vu sa mémoire être altérée par la maladie. La considérant handicapée mentale, ses parents l’ont alors privé de contacts humains et font le nécessaire pour la balayer de chez eux, le jour où leur fille aînée trouve un bon parti. Le destin de Belle croisera celui de Tolly, qui saura l’aimer et dont l’affection la libérera lentement mais sûrement de son mutisme.

A ses côtés, Tolly doit se coltiner Black Jack, bandit français qui réchappe comme par miracle à la potence et s’évade en compagnie du garçon alors présent lors de sa « résurrection ». Si le contact et le dialogue sont très difficiles au début entre Black Jack et Tolly, le premier changera aux contacts du second, jusqu’à la rédemption. Black Jack est interprété dans le film par l’impressionnant Jean Franval, comédien français vu dans Le Cercle rouge (1970) de Jean-Pierre Melville et L’Emmerdeur (1973) d’Édouard Molinaro. Son hésitation dans la langue de Shakespeare rend particulièrement réaliste et attachant ce personnage, qu’il vaut mieux d’ailleurs avoir comme comparse que comme ennemi.

Black Jack s’avère une histoire d’amour entre deux enfants, mais aussi un drame historique et d’aventure, forcément social, puisque Ken Loach s’accapare l’histoire originale, qu’il transpose – il signe lui-même l’adaptation du roman de Leon Garfield, en écartant son côté fantastique – de Londres au Yorkshire, tout en dressant un parallèle entre l’Angleterre du XVIIIe et celle du XXe siècle, avec leurs mêmes implacables mécanismes qui régissent les rapports de races et de domination. Le cinéaste n’a donc pas renoncé à son discours engagé en pointant une fois de plus la misère au Royaume-Uni, en montrant aussi que, si les enfants ne sont pas épargnés, ceux-ci peuvent aussi avoir recours aux pires infamies, à l’instar du personnage de Hatch. S’il n’a évidemment pas la force militante de ses premiers films, ni celle de ceux à venir qui feront sa renommée et de lui l’un des réalisateurs les plus primés de l’histoire du Festival de Cannes, Black Jack s’inscrit comme un chaînon manquant entre une oeuvre de Charles Dickens et La Nuit des forains d’Ingmar Bergman, où les « insignifiants », ici des enfants orphelins ou rejetés s’associent à des malfaiteurs ou des camelots qui trouvent la force de s’en sortir comme ils le peuvent, en étant soudés.

Récompensé par le Prix FIPRESCI au Festival de Cannes en 1979, Black Jack est probablement l’une des œuvres les plus singulières et méconnues de Ken Loach, qui se place pourtant rétrospectivement de façon naturelle dans la filmographie de son auteur, que certains n’ont ensuite pas hésité à comparer à Barry Lyndon de Stanley Kubrick – même si le premier montre la crasse et la fange contrairement au second – sorti quatre ans auparavant. Raison de plus pour se ruer sur ce film jusqu’alors quasi-inédit dans nos contrées.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

Inédit en DVD et en Blu-ray en France, Black Jack apparaît dans nos bacs (et chez Métaluna Store https://metalunastore.fr/products/black-jack?_pos=1&_sid=f28facd96&_ss=r) dans un superbe combo réalisé par Rimini Editions, sous la forme d’un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné au visuel attractif. Le menu principal est animé et musical.

Déjà apparue dans les suppléments du formidable Les Mutinés du Téméraire, Agnès Blandeau, maître de conférences en anglais à l’Université de Nantes, a une fois de plus été invitée par Rimini Editions pour nous parler du film qui nous intéresse aujourd’hui (21’). Black Jack est donc intelligemment et longuement replacé dans l’oeuvre de Ken Loach. Puis, Agnès Blandeau aborde l’adaptation du roman de Leon Garfield, croise habilement le fond et la forme de Black Jack, le travail du réalisateur avec les acteurs non professionnels (desquels il tirait une spontanéité et une authenticité qu’il recherchait), la psychologie des personnages (le cheminement moral et physique de Black Jack, Belle et Tolly), les liens avec les autres films de Ken Loach (notamment Family Life), les conditions de tournage, la reconstitution historique et bien d’autres éléments toujours aussi passionnants.

Rimini a pu mettre la main sur une émission belge intitulée Le Monde du Cinéma, où Ken Loach et Jean Franval étaient invités (séparément) à venir parler de Black Jack le 16 mars 1980. Le réalisateur insiste sur le fait qu’il désirait inscrire cette histoire dans un monde réaliste, avec des personnages crédibles, malgré le fait qu’elle soit tirée d’un roman teinté de fantastique. Les partis-pris esthétiques, le travail avec les acteurs, ainsi que les points communs (et les différences) avec Family Life sont aussi évoqués. De son côté, Jean Franval revient sur sa rencontre avec le cinéaste, pour lequel il avait passé un essai sans trop y croire (il ne parlait pas un mot d’anglais), jusqu’à ce que Ken Loach, impressionné par sa prestation, décide de lui confier le rôle-titre de Black Jack.

L’Image et le son

Black Jack semble revenir de loin. C’est ce qu’on se dit en découvrant ce master HD pour lequel il vous faudra certainement être indulgent. Les détails sont assez pauvres et le piqué peu mordant, la photographie de l’immense chef opérateur Chris Menges (Mission de Roland Joffé, The Boxer de Jim Sheridan, The Pledge de Sean Penn, The Reader de Stephen Daldry) fait la part belle aux teintes marrons, vertes, pour ne pas dire ternes et pâles, auxquelles s’ajoute une clarté que l’on pourrait qualifier de « luminescente », ou diffuse. Ce côté grumeleux est sans doute volontaire afin de renforcer l’aspect brut et violent de l’environnement dans lequel évoluent les personnages, mais ils semblent parfois très appuyés. Divers tremblements sont constatés (à la 13e minute, ainsi qu’à la 50e), ainsi que des effets de pompages sur certains aplats. Des raccords de montage et des tâches subsistent. Il se dégage tout de même un charme « organique » de cette image, à laquelle l’oeil s’habitue rapidement.

Les versions anglaise et française sont présentées en DTS-HD Master Audio Mono 2.0. Étrangement, la seconde s’en sort un peu mieux que la piste originale, du moins en ce qui concerne le rendu des voix, où le comédien Jean Franval semble se doubler lui-même…en prenant l’accent allemand ! En revanche, les ambiances naturelles disparaissent à plusieurs reprises. Dans les deux cas, on compte quelques craquements, un léger souffle, ainsi qu’une saturation au cours de divers échanges.

Crédits images : © Rimini Editions / National Film Trustee / Sonuma – RTBF / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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