POLICE réalisé par Anne Fontaine, disponible en DVD et Blu-ray + DVD le 6 janvier 2021 chez Studiocanal.
Acteurs : Omar Sy, Virginie Efira, Grégory Gadebois, Payman Maadi, Elisa Lasowski, Anne-Pascale Clairembourg, Thierry Levaret, Emmanuel Barrouyer…
Scénario : Anne Fontaine & Claire Barre, d’après le roman d’Hugo Boris
Photographie : Yves Angelo
Durée : 1h38
Date de sortie initiale : 2020
LE FILM
Virginie, Erik et Aristide, trois flics parisiens, se voient obligés d’accepter une mission inhabituelle : reconduire un étranger à la frontière. Sur le chemin de l’aéroport, Virginie comprend que leur prisonnier risque la mort s’il rentre dans son pays. Face à cet insoutenable cas de conscience, elle cherche à convaincre ses collègues de le laisser s’échapper.
Sorti quelques semaines après le soutien médiatique et polémique d’Omar Sy envers la famille Traoré, Police d’Anne Fontaine a peut-être subi les représailles de l’ensemble des spectateurs qui ont accueilli froidement, voire de manière franchement glaciale, le dix-septième long-métrage de la cinéaste qui n’aura même pas franchi la barre des 200.000 entrées. Nous ne reviendrons pas sur « l’engagement » du comédien, cela le regarde, mais disons que son discours sur son désir « d’avoir une police digne d’une vraie démocratie » a peut-être porté préjudice au film qui nous intéresse aujourd’hui. Dommage, car Police, titre sobre, évidemment déjà emprunté par Maurice Pialat en 1985, est l’une des plus belles réussites de la réalisatrice, qui démarre comme une plongée dans le quotidien de trois policiers, qui se croisent, qui s’affrontent, qui se parlent, s’entendent, « cohabitent » et s’épaulent comme ils le peuvent, avant de muer en véritable huis-clos dans une voiture de fonction, avec laquelle ils se voient confier la tâche d’escorter un prisonnier tadjik jusqu’à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, où il prendra place dans un avion qui le renverra dans son pays. Tendu, Police est un drame psychologique prenant du début à la fin, formidablement interprété par son trio vedette, Omar Sy, Virginie Efira et Grégory Gadebois (son absence de l’affiche est d’ailleurs absolument scandaleuse), aux dialogues percutants et qui n’a pas peur de recourir aux silences qui en disent long sur les pensées tumultueuses des protagonistes. Séance de rattrapage obligatoire pour Police !
Virginie, Aristide et Erik sont trois policiers du XXe arrondissement de Paris. Leur vie professionnelle les confronte à des réalités difficiles, violence conjugale, mères infanticides, et leur vie personnelle est également compliquée. Virginie, mariée et mère d’un enfant en bas âge, est enceinte de son collègue Aristide et a décidé d’avorter. Erik, au bord du divorce, lutte contre sa dépendance à l’alcool et son tabagisme et se fait insulter par sa femme qui lui reproche de ne pas lui avoir donné d’enfant. Aristide cache son stress et ses angoisses sous un extérieur faussement jovial, mais chaque soir, il se déshabille sur le palier de sa porte et compte jusqu’à 60, « comme ça je ne fais pas entrer toute cette merde chez moi », admet-il un jour à Erik. Un soir, Virginie, Aristide et Erik se voient confier une mission inhabituelle pour eux, le transfert à l’aéroport d’un demandeur d’asile tadjik dont la requête a été refusée, et qui ne parle ni français ni anglais. Dans le centre d’hébergement où ils vont le chercher, une femme interpelle Virginie en lui disant que ce demandeur d’asile risque sa vie s’il est renvoyé au Tadjikistan, et qu’une requête pendante devant la Cour européenne des Droits de l’Homme pourrait remettre en cause la décision de renvoi. Mais Virginie dit ne pas être au courant et que ce n’est pas son problème. Dans la voiture, Virginie ne résiste pas à la tentation d’ouvrir le dossier du requérant d’asile, dans lequel il est notamment question de tortures répétées, et se convainc alors qu’il est en danger de mort en cas d’expulsion. Elle déverrouille les menottes du Tadjik et essaie de l’inciter à profiter d’un des nombreux arrêts au feu rouge pour s’enfuir. Ses deux collègues comprennent vite la situation. Aristide, qui est au volant, commence alors par accélérer et brûler systématiquement les feux rouges pour contrecarrer la manœuvre de Virginie, avant de rejoindre son camp et de commencer, lui aussi, à provoquer des occasions d’évasion.
D’accord, sur le papier le récit a peut-être de quoi rebuter. Certains risquent même de ne pas aller au bout du résumé en se disant « encore un film français qui pense se donner bonne conscience en abordant un sujet politico-social d’actualité, tout en étant englué dans les poncifs, sans oublier les malheurs de ses personnages principaux qui doivent alors les mettre de côté quand ils se retrouvent sur le terrain etc… ». On a pu y penser nous-mêmes, mais Police déjoue les attentes, car il s’agit à la fois d’un film engagé certes, mais aussi et surtout de poignants portraits dressés d’hommes et de femmes usés jusqu’à la moelle, vieillis avant l’heure, aux visages marqués par les nuits blanches et la pression au quotidien. La réalisatrice de Nettoyage à sec (1997), d’Augustin, roi du kung-fu (1999), de Comment j’ai tué mon père (2001), d’Entre ses mains (2005), de La Fille de Monaco (2008), de Coco avant Chanel (2009), de Gemma Bovery (2014), des Innocentes (2016), de Marvin ou la Belle Éducation (2017) et dernièrement de Blanche comme neige (2019), démontre une fois de plus son inspiration pour mettre en avant ses comédiens et en particulier son actrice principale, ici Virginie Efira. Dix ans après lui avoir confié l’un de ses premiers rôles au cinéma dans la comédie Mon pire cauchemar, la cinéaste retrouve donc la comédienne pour lui offrir un rôle diamétralement opposé, dont elle s’acquitte de façon sensationnelle. On s’en était rendu compte depuis quelques films, les étapes successives ont été Caprice (2015) d’Emmanuel Mouret, Victoria (2016) de Justine Triet, Pris de court (2017) d’Emmanuelle Cuau et Un amour impossible (2018) de Catherine Corsini, Virginie Efira a pris du galon, une maturité de comédienne, les traits qui se sont sensiblement creusés lui ont donné encore plus de charisme et son aisance dans le registre dramatique n’a eu de cesse de s’affiner. Elle est ici géniale, merveilleusement photographiée par Yves Angelo (Baxter, Nocturne Indien, Tous les matins du monde, Germinal), qui parvient à la fois à la sublimer, tout en rendant compte de l’extrême fragilité de Virginie due entre autres à la fatigue qui la ronge. Le regard embué, perdu, noyé de la comédienne est assurément l’un des plus marquants de l’année 2020 au cinéma. Elle rejoint ainsi ses consœurs Gemma Arterton, Lou de Laâge, Louise Bourgoin, Isabelle Carré, Emmanuelle Béart et d’autres qu’Anne Fontaine a toujours su mettre en valeur devant sa caméra.
Ses partenaires n’ont rien à lui envier. A l’instar de Benoît Poelvoorde qu’elle avait transcendé au cinéma dans Entre ses mains et dans Coco avant Chanel, la réalisatrice offre à Omar Sy l’un, si ce n’est son meilleur rôle au cinéma. Loin du mec drôle qui a toujours une vanne pendue aux lèvres ou s’esclaffant à chaque réplique, il campe ici un flic en apparence proche de cette définition, mais qui s’avère aussi exténué que Virginie et qui dissimule son mal-être. Cette nuit étrange passée en compagnie de Virginie et Erik, ainsi que du réfugié devant être escorté (l’intense Peyman Maadi, vu dans À propos d’Elly et Une séparation d’Asghar Farhadi) va donner l’occasion à Aristide de se livrer comme il ne l’a jamais fait, comme si ces quelques heures passées dans cette voiture lui accordaient un moment suspendu, où toutes les illusions s’écroulent, pour qu’il puisse enfin dévoiler son vrai visage, ses peurs, ses craintes, sa douleur et tout simplement ses sentiments, puisqu’il apprend que Virginie est enceinte de lui et qu’elle avortera au petit matin.
Nous le disions plus haut, l’affiche du film se concentre uniquement sur Virginie Efira et Omar Sy. Une honte, car même s’il est évident que les deux comédiens sont plus « bankables », l’oubli de Grégory Gadebois à leurs côtés est inadmissible. D’une part parce l’ancien pensionnaire de la Comédie-Française, lauréat du César du meilleur espoir masculin en 2012 pour son interprétation dans Angèle et Tony, est devenu l’une des plus fortes présences du cinéma français depuis dix ans (Marvin ou la Belle Éducation, Normandie nue, J’accuse, Pupille, Coup de chaud), d’autre part parce qu’il possède non seulement autant de présence à l’écran que ses camarades, mais s’avère aussi tout aussi important dans l’histoire. Grégory Gadebois, c’est un colosse aux pieds d’argile comme Gérard Depardieu et Lino Ventura, qui crève l’écran à chaque apparition et qui marque l’esprit des spectateurs dans tous les films.
Adapté du roman éponyme de l’écrivain Hugo Boris (Grasset, 2016), Police convie le spectateur à passer la nuit avec ces trois flics de tous les jours (sans pour autant rechercher de réalisme, puisque même la photo stylisée s’éloigne de tout naturalisme), qui devant faire face à une situation extraordinaire, pour laquelle ils n’ont d’ailleurs pas eu de formation, se retrouvent face à eux-mêmes (les lettres inversées du titre POLICE en début de générique indiquent une plongée intérieure, à découvrir l’envers du décor) et à leurs compagnons, tous étant logés à la même enseigne, hommes, femmes, blancs, noirs. Et c’est saisissant.
LE BLU-RAY
Police débarque en DVD et Blu-ray chez Studiocanal dans une édition minimaliste.
Menu principal fixe et muet, aucun supplément, pas même la bande-annonce.
Une sortie « technique » étonnante…
L’Image et le son
Quelques petites pertes de la définition et un piqué manquant parfois de mordant nous empêchent de dire qu’il s’agit d’un master HD irréprochable. Néanmoins, le cadre large 2.35 demeure fort plaisant et n’a de cesse de flatter les yeux avec un léger grain donnant une vraie texture à la nuit omniprésente. Les contrastes sont denses et les partis pris esthétiques du chef opérateur Yves Angelo (Un cœur en hiver, Stupeur et tremblements) trouvent en Blu-ray un très bel écrin, notamment au niveau des sources de lumière diverses.
Le mixage DTS-HD Master Audio 5.1 offre un bon confort acoustique, même si les ambiances naturelles sont un peu discrètes. Néanmoins, les dialogues sont solidement plantés sur la centrale. Une piste Audiodescription ainsi que les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.
Une réflexion sur « Test Blu-ray / Police, réalisé par Anne Fontaine »