PIÈGE À MINUIT (Midnight Lace) réalisé par David Miller, disponible le 12 septembre 2023 en DVD et Combo Blu-ray + DVD chez Elephant Films.
Acteurs : Doris Day, Rex Harrison, John Gavin, Myrna Loy, Roddy McDowall, Herbert Marshall, Natasha Parry, Hermione Baddeley…
Scénario : Ivan Goff & Ben Roberts, d’après une pièce de théâtre de Janet Green
Photographie : Russell Metty
Musique : Frank Skinner
Durée : 1h48
Année de sortie : 1960
LE FILM
Kit, une jeune héritière américaine, est mariée à Anthony Preston, important banquier britannique. Son existence s’avère monotone et solitaire, son mari étant très peu présent. Un soir brumeux, alors qu’elle rentre chez elle, elle entend une voix qui la menace de mort. Malgré les craintes de sa femme, Anthony ne prend pas les menaces trop au sérieux. Mais le lendemain, Kit échappe de peu au pire au pied de son immeuble…
Quand elle tourne Piège à minuit – Midnight Lace au début des années 1960, Doris Day est au firmament de sa carrière de comédienne (la mieux payée à Hollywood) et de chanteuse. Avec quasiment un album par an depuis 1956 et un film sortant tous les six mois, tout va pour le mieux et le succès est chaque fois au rendez-vous. Alors qu’elle vient d’être nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice pour Confidences sur l’oreiller – Pillow Talk de Michael Gordon, premier opus d’une « trilogie » dans laquelle elle donne la réplique à Rock Hudson avec Un pyjama pour deux – Lover Come back de Delbert Mann et Ne m’envoyez pas de fleurs – Send Me No Flowers de Norman Jewison, elle porte sur ses épaules un thriller psychologique aujourd’hui quelque peu oublié, mais qui a connu un vif engouement auprès de la critique et du public (y compris en France), intitulé Piège à minuit. Celui-ci est mis en scène par un réalisateur dont le nom ne dira pas grand-chose aux spectateurs, David Miller (1909-1992), mais dont certains films sont pourtant restés dans les mémoires à l’instar du magnifique et crépusculaire Seuls sont les indomptés – Lonely Are the Brave (1962), dans lequel le monstre Kirk Douglas trouve probablement l’un de ses plus grands rôles (c’est dire…), l’excellent Le Masque arraché – Sudden Fear (1952) avec Joan Crawford et Jack Palance, La Pèche au trésor – Love Happy (1949) emporté par le cyclone formé par les Marx Brothers et Marilyn Monroe, ainsi que Les Tigres volants – Flying Tigers (1942), premier film de guerre interprété par John Wayne. S’il met un peu de temps à se mettre en route, Midnight Lace pourra largement contenter les amateurs de thrillers rétros, dont la singularité est de présenter une galerie de personnages, tous susceptibles d’être le ou les coupables d’un meurtre qui n’a pas encore été commis. Si le(s) responsable(s) des menaces téléphoniques se devine(nt) assez facilement, l’investissement total de Doris Day, qui allait tomber malade durant le tournage en faisant une grave crise de nerfs, sa beauté et son élégance emportent rapidement l’adhésion, d’autant plus qu’elle est ici soutenue par un casting quatre étoiles. Alors, pourquoi se priver ?
Kit, une jeune et riche héritière américaine, est l’épouse d’un puissant banquier britannique. Bien que comblée, elle déplore les absences répétées de son époux, souvent retenu par ses obligations. Un soir, alors qu’elle rentre chez elle, Kit entend une voix dans le brouillard qui profère à son égard des menaces de mort. Aux yeux de Tony, son mari, il ne s’agit que d’une plaisanterie de mauvais goût. Le lendemain, Kit échappe de peu à un attentat. Peu après, un inconnu lui téléphone. Il est clair que la menace est sérieuse. Tony et Kit font appel à Scotland Yard. Malgré l’intervention de la police, la jeune femme cède à la panique…
Le scénario d’Ivan Goff et Ben Roberts (Meurtre sans faire-part, L’Homme aux mille visages, Commando sur Saint-Nazaire, L’Enfer est à lui) est adapté d’une pièce de théâtre, Matilda Shouted Fire de Janet Green, dont l’histoire a été remaniée pour le cinéma, en y ajoutant divers rebondissements à l’instar de la séquence très réussie de l’ascenseur. D’entrée de jeu, David Miller parvient à instaurer une ambiance typique londonienne, ses taxis, son pavé mouillé, en plongeant ses personnages dans une purée de pois, à travers laquelle seuls les non-voyants peuvent se diriger. L’ouverture où Kit se perd dans le fog et entend une voix nasillarde, monocorde et aiguë, comme celle d’une marionnette, lui indiquer qu’elle va passer de vie à trépas dans peu de temps, est prenante et installe une atmosphère aussi tendue qu’inquiétante.
Après ce premier coup d’éclat, le cinéaste prend le temps de placer tous ses pions sur l’échiquier, un mari souvent absent car pris dans ses affaires financières (Rex Harrison, qui signait son vrai retour au cinéma après une décennie plutôt discrète), un jeune architecte qui paraît s’enamourer de la belle Kit (John Gavin, qui avait le vent en poupe après Le Temps d’aimer et le Temps de mourir et Mirage de la vie de Douglas Sirk, Psychose d’Alfred Hitchcock et qui venait de tourner Spartacus de Stanley Kubrick), le fils dépensier de sa domestique, qui vient soutirer de l’argent à sa mère (Roddy McDowall, suintant à souhait), et bien d’autres campés par le fleuron des comédiens britanniques, y compris le mythique Anthony Dawson. L’histoire avance à petit pas et la tension se resserre à mesure que les coups de téléphone se multiplient (on ne compte plus les fois où celui-ci se met à sonner et fait autant sursauter les personnages et les spectateurs) et que la raison de Kit semble vaciller, d’autant plus que personne ne semble la croire.
Mais l’autre atout de Piège à minuit est sa splendide photographie que l’on doit à l’un des plus grands chefs opérateurs de cette époque, Russell Metty, dont la filmographie reste marquée par ses collaborations avec Howard Hawks, Edward Dmytryk, Allan Dwan, John Huston, Raoul Walsh pour ne citer qu’eux, sans oublier bien sûr Douglas Sirk avec lequel il allait s’associer sur une dizaine de longs-métrages. Un éclairage baroque, réalisé en Eastmancolor, qui reflète le malaise ressenti par Kit et qui l’enveloppe petit à petit d’une aura verdâtre, comme si le mal et la peur la gangrenaient quand l’échéance de son assassinat annoncé au téléphone se rapproche inéluctablement. Bon point également pour la musique du maestro Frank Skinner, lui aussi lié au cinéma de Douglas Sirk, pour lequel il allait composer les thèmes des Amants de Salzbourg, Mirage de la vie, Écrit sur du vent…
L’ombre d’Alfred Hitchcock plane sur Piège à minuit, ne serait-ce qu’au niveau de la distribution (John Williams en inspecteur, comme dans Dial M for Murder), de la promotion (qui reprenait le concept imaginé pour Psychose, « ne manquez pas le début et ne racontez pas la fin »), mais aussi de l’intrigue qui rappelle celle du Crime était presque parfait. Certes David Miller est loin d’égaliser le maître du suspense, mais il n’en reste pas moins un technicien très habile et talentueux et son Midnight Lace demeure un divertissement solide, bourré de charme et suffisamment prenant du début à la fin.
LE BLU-RAY
Inédit dans les bacs en France, Piège à minuit arrive chez Elephant Films dans la collection Cinéma Master Class – La Collection des Maîtres, en DVD et Combo Blu-ray + DVD. Visuel efficace et menu principal fixe et musical.
Le premier bonus est une présentation du film par Eddy Moine (11’). L’intervenant récurrent chez Elephant Films nous donne de nombreuses indications sur la mise en route de Piège à minuit (produit par Martin Melcher, époux de Doris Day), l’adaptation de la pièce de théâtre de Janet Green, la carrière de David Miller, le casting, les lieux de tournage, les points communs avec le cinéma d’Alfred Hitchcock et le succès international de Midnight Lace, y compris en France (plus d’un million d’entrées). Un module simple, concis, très bien bossé, impeccable donc.
L’éditeur a aussi mis la main sur une introduction de Piège à minuit par l’éminent Robert Osborne (2’20). L’historien du cinéma revenait entre autres sur le malaise de Doris Day survenu sur le plateau, la comédienne s’étant réellement évanouie au cours d’une scène d’hystérie, ce qui allait interrompre momentanément le tournage.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
Le master HD au format 1080p de Piège à minuit s’en sort particulièrement bien et fait honneur au support. La restauration n’est probablement pas récente, mais n’en reste pas moins flatteuse, la propreté de l’image laisse parfois à désirer avec des petits points persistants, des poussières diverses et des rayures (surtout dans la première partie), même si cela ne dérange nullement. Grâce à cette élévation HD, les couleurs retrouvent un nouvel éclat (divers flous persistent en raison d’un alignement perturbé des gammes chromatiques), les contrastes sont renforcés et le piqué est agréable. Le codec AVC consolide l’ensemble, le grain original est respecté (souvent très appuyé il est vrai), le relief palpable sur les décors. La stabilité est fort plaisante, certes quelques séquences sont peut-être moins définies, les fondus enchaînés décrochent et certains noirs sont sensiblement poreux, mais les détails sont impressionnants. Notons que Piège à minuit est proposé au format 1.37, ainsi qu’en 2.00. Vous pourrez constater ci-dessous un exemple de la différence entre les deux cadres.
L’éditeur met à disposition deux pistes sonores en mono 2.0. Si le doublage français d’époque est réussi, le petit manque d’ampleur et de clarté au niveau des dialogues se fait ressentir. Tout le mérite revient à la piste originale, dynamique et vivante tout du long, sans souffle, qui permet d’apprécier un excellent mixage des échanges avec la musique.
Crédits images : © Elephant Films / Universal Pictures / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr