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MONSIEUR réalisé par Jean-Paul Le Chanois, disponible en DVD & Blu-ray le 4 février 2025 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Jean Gabin, Liselotte Pulver, Mireille Darc, Henri Crémieux, Berthe Grandval, Jean-Paul Moulinot, Jean-Pierre Darras, Peter Vogel…
Scénario : Claude Sautet, Anya Corwin-Böckmann, Georges Darrier & Pascal Jardin, d’après la pièce de Claude Gevel
Photographie : Louis Page
Musique : Georges Van Parys
Durée : 1h34
Date de sortie initiale : 1964
LE FILM
Veuf inconsolable, un riche banquier s’apprête se jeter dans la Seine mais une femme l’en empêche, c’est son ancienne femme de chambre, Suzanne, tombée dans la galanterie. Elle lui révèle que l’épouse pleurée le trompait éhontément. Le banquier laisse croire à son suicide et décide de disparaître. Changeant d’identité, il se fait embaucher comme maître d’hôtel chez un riche industriel, M. Bernadac où Suzanne, passant pour sa fille, sera la femme de chambre.
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Sorti entre deux films de Gilles Grangier, Maigret voit rouge et L’âge ingrat, Monsieur est la troisième collaboration entre Jean Gabin et le réalisateur Jean-Paul Le Chanois, qui avait offert au comédien ce qui restera l’un des plus grands succès de sa carrière, Les Misérables, d’après Victor Hugo. Soyons honnêtes, cette comédie est à juste titre très souvent oubliée, car foncièrement anecdotique pour la star du cinéma français, qui prend tout de même un évident plaisir à donner à la réplique à une ribambelle de merveilleux comédiens, dont Philippe Noiret. Mais Jean-Paul Le Chanois peine à aller au-delà d’un simple vaudeville et Monsieur marque un net recul d’inspiration pour le metteur en scène du Cas du docteur Laurent (1957). Il n’y a pas de tabou à déclarer que Monsieur est un opus tout ce qu’il y a de mineur dans la filmographie conséquente du « Vieux », qui avait lui aussi le droit à une récréation. S’il s’est souvent retrouvé dans la peau d’un bourgeois bien installé ou dans celle d’un prolo, Jean Gabin endosse ici les deux costumes et s’avère impérial, comme à son habitude.
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Tout juste veuf, le banquier René Duchêne décide de mettre fin à ses jours. Il quitte la maison, laissant derrière lui une lettre annonçant ses intentions. Lorsqu’il s’apprête à se jeter dans la Seine, une femme qui l’a reconnu l’en empêche. Il s’agit de son ancienne femme de chambre, Suzanne, tombée dans la « galanterie ». Elle lui révèle que l’épouse pleurée le trompait de façon éhontée. Le banquier décide de « rester mort et de refaire sa vie », c’est-à-dire de laisser croire à son suicide et de disparaître, en changeant d’identité. Il veut d’abord « racheter » Suzanne. Contacté par les malfrats dont dépend la jeune femme, il les persuade sans peine qu’il est un gangster en cavale venu d’Angleterre. il leur propose donc une affaire : la moitié du butin d’un gros coup. Il a en fait planifié le cambriolage d’un coffre… dans sa propre maison. Ceci n’est pas chose si facile, la maison étant aussi habitée par ses beaux-parents qui ne le portent pas dans leur cœur. Mais l’opération réussit, et elle lui permet de se constituer un capital sans avoir besoin de « ressusciter ». Surtout, il peut ainsi bloquer les manœuvres de sa belle-mère, dont l’intention avouée est de faire main basse sur l’héritage. Il se fait ensuite embaucher chez un riche industriel, M. Bernadac, comme maître d’hôtel, en compagnie de Suzanne, qui passe pour sa fille et qu’il fait engager comme femme de chambre. « Monsieur » se révèle un valet de grand style, ce qui n’est pas facile. En effet, d’une part, le ménage est haut en couleur : l’industriel débonnaire a épousé une hôtesse de l’air qui le trompe avec un écrivain, tandis que les deux enfants vivent leur crise d’adolescence. De plus, la grand-mère Bernadac, soupçonneuse et acariâtre, cherche à tout prix à prendre en faute ses employés. D’autre part, il doit jouer habilement son rôle pour ne pas éveiller de doutes sur son identité. L’affaire se corse particulièrement le soir où le vice-président de la banque de Duchêne est l’hôte des Bernadac.
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« Je reste mort, mais je refais ma vie ! »
Sans surprise, Monsieur est l’adaptation d’une pièce de théâtre signée Claude Gével, dont l’une des œuvres phares avait déjà été transposée au cinéma en 1952 par Gilles Grangier, L’Amour, Madame, avec François Périer et Arletty. Ce qui sera alors l’avant-dernier long-métrage de Jean-Paul Le Chanois (le dernier étant Le Jardinier d’Argenteuil, avec également Jean Gabin) connaîtra un succès relatif (1,8 million d’entrées) en 1964, année où explose littéralement Louis de Funès (Le Gendarme de Saint-Tropez, Fantômas et Faites sauter la banque sont respectivement premier, quatrième et vingtième du box-office), où Bebel triomphe avec L’Homme de Rio, Cent mille dollars au soleil, Week-end à Zuydcoote, Échappement libre et La Chasse à l’homme…Jean Gabin se refera une belle santé pour Noël avec la sortie de L’âge ingrat donc (2,9 millions de spectateurs). Mais pour l’heure, Monsieur invite comme qui dirait le public à se rendre au théâtre dans les salles de cinéma.
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Contrairement à ce que pensait François Truffaut, qui avait écrit un article assassin sur Gabin, qui « se mettait à la place des réalisateurs, exigeait d’être filmé en gros plan et qui se mêlait de tout », ce à quoi Lino Ventura avait déclaré « C’est ignoble, c’est faux, c’est d’une bêtise crasse », le comédien fait briller ses partenaires et ne tire jamais la couverture, bien au contraire. De Philippe Noiret (qui avait commencé sa carrière dix ans plus tôt comme figurant dans Agence matrimoniale de Le Chanois) à Gaby Morlay (ici dans son dernier film, elle décédera quelques semaines après la sortie sur les écrans), en passant par Liselotte Pulver (La Religieuse, Un, deux, trois, Le Temps d’aimer et le temps de mourir), sans oublier Mireille Darc (qui cumulait alors les rôles de fille de joie ingénue au début de sa carrière), et toute une ribambelle de seconds voire de troisièmes couteaux, ils sont tous excellents dans Monsieur. Certes, la mise en scène demeure fonctionnelle, dans le sens où Jean-Paul le Chanois se contente de filmer les nombreuses portes qui s’ouvrent et qui claquent, comme s’il avait posé sa caméra devant une scène où ses personnages gesticulent et parlent fort.
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Le scénario patine aussi de nombreuses fois et à ce titre, Monsieur est clairement scindé en deux parties, celle où Duchêne « s’acoquine » avec une bande de voleurs et celle où il se fait ensuite passer pour un maître d’hôtel. Deux actes qui n’ont presque aucun rapport et qui font penser à deux moyens-métrages juxtaposés, comme si les auteurs (dont Claude Sautet) ne savaient plus quoi faire à mi-parcours et enchaînaient avec une autre histoire en emmenant leur protagoniste ailleurs.
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C’est donc avec une impression d’avoir le cul entre deux chaises que l’on regarde gentiment Monsieur, qui ne révolutionne rien, qui n’a aucune prétention de le faire, mais qui se contente d’offrir à Jean Gabin un rôle taillé sur mesure et qu’il embrasse avec une évidente et contagieuse délectation, tandis que le chef opérateur Louis Page (Mélodie en sous-sol, Le Baron de l’écluse, Le Président et bien d’autres) l’éclaire comme toujours avec élégance. Rien que pour ça et son charme désuet, Monsieur mérite sans doute d’être (re)vu, mais restera délébile.
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LE BLU-RAY
Ce sont des rendez-vous que nous ne manquons jamais depuis l’apparition de l’éditeur Coin de Mire Cinéma en octobre 2018. La nouvelle vague apparaît dans les bacs le 4 février et propose cette fois en Haute-Définition : Cerf volant du bout du monde (1958) de Roger Pigaut, Le Diable par la queue (1969) de Philippe de Broca, La Loi c’est la loi (1958) de Christian-Jaque, Monsieur (1964) de Jean-Paul Le Chanois et Le Tonnerre de Dieu (1965) de Denys de La Patellière. Comme nous l’avions mentionné, l’éditeur a été obligé de revoir sa copie en raison des coûts de production. Si les splendides Digibooks ont laissé place aux Blu-rays traditionnels, le contenu et la ligne éditoriale restent identiques et la Séance subsiste ! En ce qui concerne Monsieur, le film de Jean-Paul Le Chanois avait déjà connu plusieurs vies en DVD, tout d’abord en 2001 chez Studiocanal, puis trois ans plus tard chez le même éditeur et dans la collection « Acteurs et actrices de légende – Jean Gabin », avant d’être réédité dans la même anthologie sept ans plus tard. Monsieur refait son apparition dans toutes les bonnes crémeries, en DVD et Blu-ray. Le disque repose dans un boîtier Blu-ray classique de couleur noire, lui-même glissé dans un surétui cartonné. Le menu principal est fixe et musical.
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Installez-vous confortablement, la Séance va commencer. On assiste tout d’abord aux actualités de cette 17è semaine de l’année 1964 (16’). Un programme chargé qui compile ainsi la première de la mini-série historique Le Chevalier de Maison-Rouge, réalisée par Claude Barma d’après le roman homonyme d’Alexandre Dumas, une intervention du Premier ministre Georges Pompidou, le 11è congrès de la presse, une exposition sur le surréalisme, des nouvelles de de Gaulle après avoir été hospitalisé (la foule s’accumule devant l’hôpital Cochin pour prendre des nouvelles de la prostate du général), la modernisation des méthodes des pompiers de Paris, la démonstration d’un réacteur individuel de poche (le même que Sean Connery au début d’Opération Tonnerre), un gros plan sur la présence de la France en Afrique (la parole est donnée aux gens de la rue via un micro-trottoir), sans oublier la visite à Paris du groupe Les Surfs.
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Rien de tel que quelques friandises avant de démarrer le film ! Après les caramels Kréma, les esquimaux Gervais (au Grand Marnier!) et les bonbons Pschitt, vous prendrez bien un petit Martini, avant d’aller vous laver les cheveux avec le shampooing Polycolor (qui lave en couleur!), puis vous dégusterez un plat de pâtes Lustucru, avant de prendre le volant de votre Fiat 850 (10’).
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Enfin, last but not least, Coin de Mire Cinéma a mis la main sur une interview de Jean-Paul Le Chanois, réalisée sur le tournage de Monsieur (6’30). L’occasion de découvrir des images de tournage et des répétitions, où une doublure de Jean Gabin participe au réglage des lumières pour une scène se déroulant en voiture, filmée en transparence. Le réalisateur exprime toute son affection et son immense respect pour l’acteur, qui débarque enfin sur le plateau où on le découvre à l’oeuvre. Quelques propos de Mireille Darc complètent aussi ce module, la comédienne parlant entre autres de son illustre partenaire, toujours prêt à lui donner des conseils.
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L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces, dont celle de Monsieur, sur la musique de Faites sauter la banque.
L’Image et le son
Restauration HD pour Monsieur. Master au format respecté 2.35 et compression AVC. Voilà un lifting inattendu et bienvenu pour le film de Jean-Paul Le Chanois. Le Blu-ray en met souvent plein les yeux et la définition laisse pantois. La restauration numérique 2K se révèle étincelante, les contrastes sont d’une densité impressionnante, les noirs profonds, les blancs lumineux et le grain original heureusement préservé. Une ou deux séquences peut-être moins définies, mais cela demeure anecdotique car le piqué est aussi tranchant qu’inédit, la stabilité de mise et les détails étonnent par leur précision.
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La piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. L’écoute se révèle fluide, équilibrée, limpide. Aucun craquement intempestif ne vient perturber l’oreille des spectateurs, les ambiances sont précises, les dialogues clairs, dynamiques, sans souffle. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles.
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Crédits images : © Coin de Mire Cinéma / Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr