Test Blu-ray / Long Weekend, réalisé par Colin Eggleston

LONG WEEKEND réalisé par Colin Eggleston, disponible en Blu-ray depuis le 20 novembre 2020 chez Le Chat qui fume.

Acteurs : John Hargreaves, Briony Behets, Mike McEwen…

Scénario : Everett De Roche

Photographie : Vincent Monton

Musique : Michael Carlos

Durée : 1h37

Date de sortie initiale : 1978

LE FILM

Un jeune couple de citadins décide de profiter d’un week-end pour s’adonner à du camping sauvage au bord de la mer. Par d’imperceptibles étapes, le décor paradisiaque de plage isolée où ils s’installent se charge de mystères avant de se transformer en un véritable enfer : la Nature paraît soudain prendre une sourde revanche sur la civilisation …

Bien avant l’inénarrable PhénomènesThe Happening (2008) de M. Night Shyamalan, le scénariste Everett De Roche (1946-2014) s’interrogeait trente ans avant sur ce qui se passerait si la nature se retournait contre l’humanité, à travers son premier récit pour le cinéma, Long Weekend. Avant de devenir l’un des scénaristes les plus en vue du cinéma australien, celui qui allait signer d’autres œuvres légendaires du cru comme Harlequin de Simon Wincer, Patrick de Richard Franklin et Razorback de Russell Mulcahy, abordait le genre horrifique avec un thriller tendu et angoissant, qui s’amuse à prendre le spectateur petit à petit par la gorge, jusqu’à un dernier acte complètement inattendu et un final abrupt qui laisse pantois. Derrière la caméra, Colin Eggleston (1941-2002) peut enfin exprimer à l’écran tout son amour pour le cinéma d’Alfred Hitchcock (d’ailleurs, Les Oiseaux ne sont jamais bien loin dans Long Weekend) et de Roman Polanski (Le Couteau dans l’eau entre autres), en dilatant le temps, en créant un stress qui va crescendo en dressant le portrait d’un couple en crise, un homme et une femme qui ne respectent rien autour d’eux et qui n’ont d’ailleurs aucun respect pour l’autre. S’il n’a obtenu aucun succès dans son pays, comme c’était d’ailleurs souvent le cas pour les films de genre tournés en Australie, cela n’a pas été le cas dans le reste du monde et surtout en Europe, au point d’être récompensé par l’Antenne d’or au Festival international du film fantastique d’Avoriaz en 1979 (ex aequo avec L’Invasion des profanateurs de Philip Kaufman), le Prix Spécial du Jury au Festival du film de Paris, puis par le Prix du Meilleur Film, le Prix du jury de la critique internationale pour Colin Eggleston et la Médaille d’argent du meilleur acteur au Festival international du film de Catalogne de Sitges. Tombé peu à peu dans l’oubli, Long Weekend connaît un regain de popularité depuis la fin des années 2000 en raison d’un remake réalisé en 2008 par Jamie Blanks (Urban Legend, Mortelle Saint-Valentin) avec Jim Cazievel et du documentaire Not Quite Hollywood: The Wild, Untold Story of Ozploitation ! (2008) de Mark Hartley qui a redonné au cinéma australien ses lettres de noblesse. Long Weekend en demeure assurément l’un des plus dignes représentants.

Dans la périphérie de Melbourne. Afin de redonner une chance à leur couple en crise, Peter propose à son épouse Marcia, dépressive à la suite d’un avortement, de passer le week-end au bord de la mer, dans un endroit retiré de la civilisation. Elle accepte à contrecœur et tous deux, accompagnés de leur chien, parviennent, non sans difficulté, à destination. Mais l’un comme l’autre sont plus préoccupés à régler leurs comptes qu’à respecter la nature environnante, ne se doutant pas que celle-ci peut se rebeller, voire se montrer impitoyable.

« Pourquoi veux-tu abattre cet arbre ? »

« Pourquoi pas ? »

C’est l’histoire d’un homme et d’une femme qui n’ont aucun égard pour la nature qui les entoure. Marcia écrase un œuf d’aigle et pulvérise un insecticide, Peter pollue sans état d’âme, s’amuse à tirer autour de lui, percute un kangourou sur la route, jette un mégot de cigarette allumé dans un buisson sec, abat un arbre sans aucune raison, et tue un dugong, un mammifère marin qui passait non loin du large. Alors que Dame Nature trinque, le couple formé par Peter et Marcia se déchire progressivement, de façon de plus en plus virulente, la tension se resserre, d’autant plus que Marcia, qui ne s’est pas remise d’un avortement, se refuse encore sexuellement à Peter. Ce dernier, frustré, s’empare de son fusil à lunettes, substitut évident de son pénis et vide son chargeur à travers les somptueux paysages. Vous avez dit décharger ?

En fait, Peter et Marcia tombent sans le savoir dans un guet-apens tendu par la nature et ce dès leur arrivée sur la plage, que les habitants du coin prétendent d’ailleurs ne pas connaître. Arrivent-ils dans un monde parallèle ? Nous ne le saurons jamais, mais le fait est que le couple ne cesse de revenir toujours au même endroit à bord de leur véhicule, comme si une force les ramenait systématiquement à ce point précis. La nature commence à riposter, d’abord avec un aigle et un opossum attaquant Peter, puis par des moyens plus insidieux.

« La nature, c’est pas mon truc ! »

Tous ces éléments apparaissent de façon subtile, le réalisateur et le scénariste faisant confiance aux spectateurs pour comprendre ce qui est en train de se jouer. Le rythme est lent, parfois un peu trop sans doute et l’ennui guette de temps en temps, mais heureusement, un élément arrive toujours au moment où le spectateur serait en droit de décrocher. Colin Eggleston est un malin et parvient donc à maintenir l’intérêt jusqu’à la toute dernière seconde. Dans la dernière partie, le silence s’installe, les dialogues sont réduits à leur maximum, tandis que Marcia s’échappe avec la voiture de son côté et que Peter erre dans les bois tout en perdant pied, tendant l’oreille au moindre bruit suspect (énorme travail sur le son) et prêt à dégainer son harpon. Quand viendra l’aube, après une très longue nuit, qui du couple et de la nature aura pris le dessus ? L’horreur est là, diffuse, distillée comme un poison, goutte à goutte, jouant autant avec la santé mentale des protagonistes qu’avec la douleur physique.

Long Weekend est un thriller d’épouvante environnemental terrifiant, Everett De Roche ayant pensé à « ce qui arriverait si la Terre Mère possédait son propre système auto-immunitaire, surtout si les humains commençaient à se comporter comme des cellules cancéreuses ». Elle n’aurait pas d’autres choix que d’attaquer celui ou ceux qu’elle considérerait comme nuisibles et dangereux à son existence. L’ironie du scénariste provient de l’utilisation de bêtes et d’éléments habituellement calmes, bénins et inoffensifs, pour dévoiler le déséquilibre de l’écosystème. Pour un scénario écrit en dix jours, l’exploit est de taille et Everett De Roche imprimait d’emblée sa marque de fabrique que les spectateurs allaient retrouver de film en film.

Echec cinglant en Australie à sa sortie, Long Weekend connaîtra une belle exploitation dans les cinémas du monde entier. Curieusement, l’oeuvre de Colin Eggleston sera redécouverte, surtout grâce à son message engagé et alarmiste sur les agissements néfastes de l’homme sur la nature. Et c’est bien plus efficace et percutant qu’un discours de Miss France qui fait de l’écologie son cheval de bataille parce qu’elle adore l’équitation. Immense réussite.

LE BLU-RAY

Et voici le quatrième titre de la vague de novembre 2020 du Chat qui fume ! Long Weekend rejoint aussi Next of Kin et Fair Game, deux titres Ozploitation déjà disponible chez Le Chat qui fume et s’installera confortablement dans votre DVD-Bluraythèque. Le disque à la sérigraphie bien pensée, repose dans un Digipack à trois volets, glissé dans un fourreau cartonné, sobre, mais redoutablement efficace. Le menu principal est animé et musical. Edition limitée à 1000 exemplaires.

Complice du Chat qui fume, Eric Peretti était déjà intervenu dans les suppléments des éditions HD du Cirque de la peur, Fair Game, Next of Kin, Halloween II et Halloween III : Le Sang du Sorcier. Le programmateur au Lausanne Underground Film et Music Festival, ainsi qu’aux Hallucinations collectives de Lyon présente ici Long Weekend (11’30) et retrace avec une passion toujours contagieuse les origines et les thèmes, ainsi que sur le casting du film de Colin Eggleston, le scénario d’Everett De Roche avec moult anecdotes de production et de tournage, sans oublier l’accueil et la sortie. Eric Peretti considère ce film comme étant probablement le plus beau de cette vague dite Ozploitation, « même s’il n’est pas le plus démonstratif, et reste avant tout un film aérien et contemplatif ». Eric Peretti évoque aussi brièvement le remake éponyme de 2008 réalisé par Jamie Blanks.

S’ensuit un échange étrange, dans le sens bizarrement fichu, entre Toby Eggleston et Sam Reed (les deux fils de Colin Eggleston) et leur belle-mère, Briony Behets, veuve du réalisateur, qui interprète Marcia dans Long Weekend. Divisé en deux modules séparés (15’+11’), ce supplément visiblement tourné avec les moyens du bord (et pas très beau à regarder, il faut bien l’avouer) permet d’en savoir un peu plus sur Colin Eggleston, à la fois l’homme et l’artiste, les trois intervenants s’exprimant sur son parcours, sur son amour pour le cinéma (en particulier pour Alfred Hitchcock, Roman Polanski, la Nouvelle vague française et surtout Jean-Luc Godard), sur Long Weekend (et les autres films du cinéaste dans la seconde partie), le travail avec le scénariste Everett De Roche et le dernier film qu’il voulait tourner avec Jane Birkin, Anna Karina et Jean-Pierre Léaud ! Bonne initiative de la part de l’éditeur d’avoir sous-titré les propos en jaune, puisque l’image est en N&B.

Le bonus suivant est une compilation d’interviews (enregistrées en 2007-2008 et provenant du documentaire Not Quite Hollywood) de la comédienne Briony Behets, du scénariste Everett De Roche (décédé en 2014) et du directeur de la photographie Vincent Monton. Les questions posées aux divers intervenants semblent être à peu près les mêmes, puisque chacun aborde les mêmes sujets, à savoir les thèmes de Long Weekend, le casting, les partis-pris et les intentions du réalisateur Colin Eggleston (« un metteur en scène qui débordait d’imagination »), ainsi que les conditions de tournage, les critiques reçues à la sortie (très chaleureux en France notamment, glacial en Australie) et son oubli progressif…

L’entretien le plus long de cette édition revient au producteur Richard Brennan (24’), qui aborde ses débuts au cinéma en tant que réalisateur (The Upturned Face et Lend Me Your Stable), sur sa rencontre déterminante avec le cinéaste Bruce Beresford (Miss Daisy et son chauffeur, Un Anglais sous les tropiques), sur la situation du cinéma australien dans les années 1970-80. Puis, Richard Brennan en vient au film qui nous intéresse aujourd’hui, en exposant les conditions de tournage, les partis-pris, le casting et la première projection publique où « les spectateurs australiens n’ont pas aimé le film ». En revanche, le producteur est fier de rappeler que Long Weekend a connu un accueil très chaleureux au Festival de Cannes et est même devenu le plus gros succès commercial du cinéma australien en 1978, ainsi que le plus primé.

L’éditeur propose une courte interview audio du comédien John Hargreaves (décédé à l’âge de 50 ans du Sida en 1996), réalisée en août 1995 et dont les propos sont collés sur diverses images provenant du tournage de Long Weekend (5’). Durant cet entretien, l’acteur parle brièvement de sa collaboration avec Colin Eggleston, mais aussi de son métier en général.

On termine par une table ronde organisée entre divers critiques australiens Sally Christie (Diabolique Magazine), Emma Westwood (Empire, Screen Education…) et Alexandra Heller-Nicholas (ABC Radio’s Nightlife programme), dirigée par Lee Gamblin (24’30). Le débat est essentiellement animé autour du sous-genre horrifique dit « éco-horreur », autrement dit les films d’horreur et les thrillers dans lesquels la nature s’en prend à des individus qui ne l’ont pas respectée. C’est évidemment le cas dans Long Weekend, où les éléments liés au mépris des deux personnages pour les paysages et les animaux qui les entourent, sont disséqués de façon pertinente.

L’interactivité se clôt sur une fin dite alternative (2’), où l’on se demande encore quelle est la différence, et la bande-annonce originale.

L’Image et le son

Si l’on devait mettre une note sur 5, alors nous n’hésiterions pas à mettre un beau 4,5/5 à l’image de Long Weekend étant donné la rareté du film de Colin Eggleston, d’autant plus que nous n’en avions pour ainsi dire plus entendu parler depuis sa sortie au cinéma en France en juillet 1980 et une exploitation en VHS qui dénaturait l’image originale. C’est peu dire que cette édition HD ressuscite cette oeuvre culte et va contribuer à faire de nouveaux aficionados ! Le Chat qui fume livre un master HD (1080p, AVC) qui frôle la perfection. Les partis pris esthétiques du directeur de la photographie Vincent Monton (Déviation mortelle, Snapshot) trouvent en Blu-ray un nouvel écrin et se voient entièrement respectés. Point de réducteur de bruit à l’horizon, le grain est là, parfois très présent sur le ciel, la photo est savamment restituée, lumineuse, la colorimétrie retrouve un éclat inédit (mention spéciale aux teintes bleues) et le piqué est souvent acéré. Le cadre large est heureusement est conservé, la profondeur de champ fort appréciable et seuls quelques plans flous, des points blancs, des rayures verticales une scène très limite avec une impression de pompages (la première apparition de Marcia à la 4è minute) et un générique fourmillant quelque peu sont à noter dans les points faibles. L’encodage AVC demeure solide, la propreté est exceptionnelle et le niveau de détails impressionnant.

Evitez le doublage français qui ne colle pas du tout aux acteurs, y compris la voix du grand Philippe Ogouz (décédé l’année dernière), qui si elle convenait bien à Bobby Ewing, Ponch, George Costanza, Capitaine Flam et Musclor, ne sied guère à John Hargreaves, même si c’est encore pire pour Briony Behets. Toujours est-il que la version originale est bien plus naturelle, riche et équilibrée, contrairement à la piste française qui place les voix souvent trop en avant.

Crédits images : © Le Chat qui fume / Screenbound International Pictures / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

Une réflexion sur « Test Blu-ray / Long Weekend, réalisé par Colin Eggleston »

  1. Bravo et merci pour cette excellente critique artistique et technique. Ce blu-ray déjà devenu difficile à trouver en occasion est un indispensable pour tout amateur du cinéma fantastique novateur. Le film est une perle du cinéma australien dont le récent remake US ne fait pas oublier la force et l’originalité.

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