Test Blu-ray / Light Sleeper, réalisé par Paul Schrader

LIGHT SLEEPER réalisé par Paul Schrader, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 29 mars 2023 chez Studiocanal.

Acteurs : Willem Dafoe, Susan Sarandon, Dana Delany, David Clennon, Mary Beth Hurt, Victor Garber, Jane Adams, Paul Jabara…

Scénario : Paul Schrader

Photographie : Edward Lachman

Musique : Michael Been

Durée : 1h43

Date de sortie initiale : 1992

LE FILM

New York, la nuit. John LeTour, la quarantaine, livre de la cocaïne aux jeunes branchés et aux noctambules. Ann, sa patronne, aimerait se reconvertir dans l’industrie des cosmétiques, plus valorisante socialement, et plus légale surtout. John, quant à lui, a décroché de la drogue depuis un moment et aimerait se lancer dans une autre activité. Un soir, il revoit Marianne, son ex-fiancée, ex-droguée elle aussi…

Au début des années 1990, quand on évoque Paul Schrader (né en 1946), le cinéphile pense immédiatement à son travail de scénariste, Yakuza de Sydney Pollack, Taxi Driver, Raging Bull et La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese, Obession de Brian De Palma, Légitime violenceRolling Thunder de John Flynn, Mosquito Coast de Peter Weir…Cela se complique quand on souhaite aborder les films qu’il a mis en scène. Blue Collar (1978), son premier long-métrage, American Gigolo (1980) et à la rigueur son remake de La Féline (1982) viennent à l’esprit. Après l’escapade européenne d’Étrange Séduction The Comfort of Strangers, tourné entre Venise, Rome et Londres, le cinéaste revient à ses premières amours, à New York, afin de dresser le portrait d’un « jeune » quadra, qui gagne sa vie la nuit en vendant de la came aux yuppies et aux insomniaques, qui arrive au carrefour de sa vie. Drame existentiel furieusement mélancolique, Light Sleeper, neuvième opus de Paul Schrader, est un chef d’oeuvre indiscutable, à la fois puissant et bouleversant, qui prend pour partis-pris de rendre attachant un personnage qui n’est pourtant pas un enfant de choeur. Celui-ci est interprété par l’immense Willem Dafoe, alors entre Sailor et Lula Wild at Heart de David Lynch et BodyBody of Evidence d’Uli Edel, probablement dans un de ses plus grands et plus beaux rôles de sa carrière. Light Sleeper est un roller coaster émotionnel, qui ne caresse pas les spectateurs dans le sens du poil, qui les plonge dans un monde sombre et poisseux (et qui schlingue les poubelles qui s’amoncellent dans les rues en raison d’une grève des éboueurs), en se focalisant sur un homme arrivé au mi-temps de sa vie, qui va tout tenter pour remonter à la surface et envisager un autre futur.

John LeTour, dealer de drogues de 40 ans, travaille pour Ann qui approvisionne une clientèle exclusive du secteur bancaire et financier en médicaments. Alors qu’Ann envisage de passer à l’industrie des cosmétiques, LeTour, souffrant d’insomnie, a perdu tout sens de la vie. Un soir alors qu’il s’apprête à rentrer chez lui, LeTour retrouve son ancienne petite-amie Marianne, avec qui il a eu une relation intense mais auto-destructrice à cause de leur addiction aux drogues. Bien qu’ils aient cessé de se droguer, Marianne refuse de prendre un nouveau départ avec lui, le considérant comme responsable de ses malheurs. Même après avoir passé une nuit ensemble, elle lui révèle que c’était sa façon de lui dire au revoir. À l’insu de Marianne, sa mère est décédée à l’hôpital alors qu’elle était avec LeTour. Aux obsèques de sa mère, lorsque LeTour arrive au salon funéraire, Marianne le rejette de façon violente et colérique, exigeant qu’il sorte de sa vie une fois pour toutes. Pendant ce temps, la police commence à observer LeTour parce qu’un de ses clients, Tis, est responsable de la mort d’une jeune femme liée à la drogue.

Les spécialistes de Paul Schrader considèrent Light Sleeper comme le dernier volet d’une trilogie qu’il constituerait avec Taxi Driver etAmerican Gigolo, comme si l’on prenait le même personnage à un moment précis et déterminant de sa destinée. Des motifs et des thèmes font indéniablement écho dans Light Sleeper, puisque l’on suit un type désormais âgé de 40 ans, un être solitaire, qui erre dans New York (magnifiquement photographié par Edward Lachman, Dark Waters, Le Musée des merveilles, Erin Brockvich, seule contre tous), apparemment sans but, arpentant le bitume détrempé. Sauf que l’heure du bilan a visiblement sonné pour ce John LeTour, qui couche ses réflexions dans un cahier, qu’il jette à la poubelle aussitôt après l’avoir rempli, comme s’il devait se délester de plusieurs poids qui pèsent sur sa conscience, avant d’en entamer un autre. C’est que LeTour deale de la drogue pour le compte de la belle Ann (Susan Sarandon, sublime), essentiellement pour les oiseaux de nuit. Mais il n’en peut plus. John constate que la police le surveille davantage, ses clients sont de plus en plus violents et eux-mêmes au bout du rouleau, le monde est en train de changer et John ne veut pas être aspiré avec ces immondices. Il commence à se remettre en question.

C’est alors qu’il recroise par hasard son ancien amour, Marianne (superbe Dana Delany, connue pour la série Desperate Housewives), avec laquelle il a vécu une histoire passionnée, mais entachée par la drogue, ce qui a fini par les séparer. Paul Schrader se rapproche une fois de plus d’un de ses trois cinéastes de prédilection, Robert Bresson (les deux autres étant Yasujirō Ozu et Carl Theodor Dreyer), le final de Light Sleeper faisant ouvertement référence à celui de Pickpocket, comme le faisait d’ailleurs American Gigolo. Un épilogue qui pourra en déconcerter plus d’un sans doute, mais qui s’avère aussi extraordinaire sur la forme avec ce gros plan (qui dure même pendant les credits) sur un visage apaisé par une main aimante, que sur le fond puisque John trouve enfin cette connexion qui lui manquait pour envisager l’après. Light Sleeper prend des allures de ballade nimbée de spleen avec la présence d’une demi-douzaine de chansons écrites et interprétées par Michael Been (après le refus de Bob Dylan), qui souligne magistralement chaque étape du parcours initiatique de John, en quête de rédemption, à la recherche de l’absolution (sujet évidemment universel), avec des accents Springsteeniens, tandis que le monde autour de lui est en train de se transformer en emportant avec lui les rares repères auxquels LeTour se raccrochaient.

On ne dira jamais assez combien Willem Dafoe est l’un des comédiens les plus précieux, magnétiques, virtuoses, charismatiques et talentueux du cinéma américain. Sa prestation dans Light Sleeper n’a rien à envier à celle de Robert De Niro dans Taxi Driver ou de Christopher Walken dans King of New York, monuments avec lesquels Light Sleeper ne cesse de converser durant 1h40, comme des films-miroirs.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

Light Sleeper est le 58è numéro de la collection Make My Day !, créée et supervisée par Jean-Baptiste Thoret depuis septembre 2018. Une des plus belles anthologies désormais disponibles sur le marché, qui n’a de cesse d’être alimentée, quasiment tous les mois, pour le plus grand bonheur des cinéphiles. Le DVD et le Blu-ray reposent dans un boîtier Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné aux visuels pour une fois très élégants. Le menu principal est très légèrement animé et musical.

Jean-Baptiste Thoret nous présente Light Sleeper en avant-programme (9’), sans spoilers évidemment, puisque cette préface est pensée pour être vue avant que puissiez (re)découvrir le film. Le critique revient donc sur « une des œuvres les plus passionnantes de Paul Schrader, pourtant assez méconnue ». Les conditions de tournage, les relations avec Taxi Driver et American Gigolo, la carrière du réalisateur, les thèmes (« la crise existentielle de la quarantaine »), les différentes collaborations Schrader/Dafoe, la psychologie du personnage de John LeTour, l’influence d’Ozu-Dreyer-Bresson chez le cinéaste (en particulier le troisième pour Light Sleeper), la photographie, la musique sont les sujets abordés par Jean-Baptiste Thoret.

Ce dernier est allé à la rencontre de l’excellent Nicolas Saada (40’). L’ancien journaliste aux Cahiers du cinéma, passé à la réalisation en 2009 avec le sublime Espion(s), puis l’impressionnant Taj Mahal (2015) se penche à son tour sur Light Sleeper et plus largement sur la carrière de Paul Schrader en tant que scénariste et metteur en scène. Il replace le film qui nous intéresse aujourd’hui dans son contexte (Paul Schrader cherchait alors un second souffle, «  quand son identité de cinéaste était un peu flottante »), qui allait être un « retour aux sources, à New York, la nuit ». La fascination de Paul Schrader pour le film noir américain, le cinéma d’auteur européen et le septième art asiatique, les liens de Light Sleeper avec Taxi Driver et American Gigolo, les références à Robert Bresson, les décors (la transformation de New York), la psychologie des personnages, la musique et bien d’autres thèmes sont passés au peigne fin avec une érudition passionnante.

L’Image et le son

La copie demeure marquée par de nombreux points noirs et blancs. On doute d’une quelconque restauration récente, même si la propreté reste plus qu’acceptable. Toutefois, la promotion HD se révèle parfois anecdotique et nous avons plus l’impression de visionner un DVD sensiblement amélioré à défaut d’un réel Blu-ray. La gestion du grain manque parfois d’équilibre dès le générique, le piqué et les contrastes sont aléatoires parfois au cours d’une même séquence avec un jeu de champ-contrechamp tantôt émoussé, tantôt acéré. Le cadre n’est guère exploité, les noirs auraient pu être plus concis. Ajoutez à cela quelques pertes de la définition. Les séquences diurnes se démarquent avec des détails plus ciselés et une clarté HD agréable pour les mirettes.

Pas de version française sur ce Blu-ray. Seule une piste anglaise DTS-HD Master Audio Mono 2.0. Les différentes chansons de Michael Been se détachent bien, les ambiances naturelles de New York sont claires et distinctes. Les dialogues auraient parfois mérité d’être un peu plus relevés, mais ça passe.

Crédits images : © Studiocanal / Grain of Sand Productions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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