L’HOMME À LA PEAU DE SERPENT (The Fugitive Kind) réalisé par Sidney Lumet, disponible en DVD et Combo Blu-ray + DVD le 19 septembre 2023 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Marlon Brando, Anna Magnani, Joanne Woodward, Maureen Stapleton, Victor Jory, R.G. Armstrong, Virgilia Chew, Ben Yaffee…
Scénario : Tennessee Williams & Meade Roberts, d’après la pièce de théâtre de Tennessee Williams
Photographie : Boris Kaufman
Musique : Kenyon Hopkins
Durée : 1h54
Date de sortie initiale : 1960
LE FILM
Val Xavier, guitariste et vagabond, arrive de La Nouvelle-Orléans (où il a eu des ennuis avec la justice) dans une petite ville du Mississippi, avec la ferme volonté de devenir honnête et travailleur. Il est embauché par « Lady Torrance », patronne d’un bazar, aigrie par son mariage malheureux avec Jabe Torrance, actuellement malade et alité. Bientôt, elle tombe sous le charme du musicien qui ne laisse pas non plus indifférentes Vee Talbot, l’épouse du shérif, et une jeune femme alcoolique et nymphomane, Carol Cutrere.
C’est comme qui dirait le dernier grand film de la première partie de la carrière cinématographique de Marlon Brando. L’Homme à la peau de serpent – The Fugitive Kind, est l’adaptation de la pièce La Descente d’Orphée – Orpheus Descending, créée par Tennessee Williams en 1957, elle-même une relecture de Bataille d’anges – Battle of Angels, autre pièce de Tennessee Williams écrite en 1940, métaphore du mythe d’Orphée. Au début des années 1960, l’écrivain et dramaturge a le vent en poupe, puisque le septième art ne cesse de s’emparer de ses œuvres pour les transposer sur grand écran, donnant naissance à de multiples succès tels qu’Un tramway nommé Désir d’Elia Kazan, La Rose tatouée de Daniel Mann, La Chatte sur un toit brûlant de Richard Brooks et Soudain l’été dernier de Joseph Mankiewicz. Avant La Nuit de l’iguane de John Huston et Propriété interdite de Sydney Pollack, c’est Sidney Lumet qui s’y colle pour Orpheus Descending, pièce qui n’a jamais connu de réel engouement, qui avait été refusée par Marlon Brando et qui se voit même rebaptisée pour son passage au cinéma, à savoir The Fugitive Kind. Tout juste auréolé par le triomphe de Douze Hommes en colère – 12 Angry Men, Sidney Lumet aura ensuite très vite enchaîné avec l’excellent Les Feux du théâtre – Stage Struck et le sympathique Une espèce de garce – That Kind of Woman. Il se retrouve donc à diriger deux monstres, Marlon Brando d’un côté et Anna Magnani de l’autre, l’actrice ayant été récompensée par l’Oscar de la meilleure actrice pour La Rose tatouée, couple que voulait d’ailleurs à l’origine former Tennessee Williams sur scène. Après quelques ajustements demandés par l’acteur alors numéro un et le mieux payé du monde (un million de dollars de cachet, soit la moitié du budget total), The Fugitive Kind peut enfin voir le jour. Il est difficile voire impossible de visionner L’Homme à la peau de serpent sans penser à Un tramway nommé Désir, tant le personnage de Marlon Brando rappelle celui de Stanley Kowalski. Si Anna Magnani et Joanne Woodward sont aussi formidables, leur partenaire vampirise tout autour de lui et l’on ne voit que Brando, magnétique, fascinant dès la fabuleuse séquence d’ouverture. Sans doute moins célèbre que Viva Zapata !, Sur les quais ou L’Équipée sauvage, The Fugitive Kind est pourtant l’un des longs-métrages les plus symboliques et représentatifs de la filmographie du Dieu vivant qu’était Brando.
Au volant de sa vieille guimbarde, sous une pluie diluvienne, Val Xavier, musicien vagabond, est contraint de s’arrêter près de Two Rivers dans le Mississippi. Trempé, il cherche un endroit sec pour se reposer. Au poste de police, la femme du shérif lui offre l’hospitalité. Sur ses conseils, il va chercher du travail chez les Torrance qui tiennent l’épicerie du bourg. Jabe Torrance est hospitalisé pour un cancer, sa femme, Lady, d’origine italienne, se sentant solitaire et frustrée d’affection, l’engage comme commis. » Beau gosse « , Val intéresse Carol Cutrere, une jeune nymphomane alcoolique qui tente de le séduire. À son retour de l’hôpital, Jabe se rend compte de l’attirance de sa femme pour le nouveau venu. Entre les deux époux s’installe la haine. Après maintes réticences Val succombe à l’amour que lui propose Lady ; il accepte de rester. Ensemble, ils décident d’agrandir le magasin en lui adjoignant une confiserie.
Marlon Brando dans un de ses ultimes rôles de jeune révolté, qui chassé ici de la Nouvelle-Orléans, échoue dans une bourgade paumée du Mississippi. Il n’en fallait pas plus au cinéphile pour être forcément attiré par cette histoire qui sent la sueur et le sexe. Si Anna Magnani avait cinquante ans passés, la fraîcheur de Joanne Woodward, grande découverte de L’Etreinte du destin, réalisé par George Sherman, qui sortait des Feux de l’été – The Long, Hot Summer de Martin Ritt et La Brune brûlante de Leo McCarey, dans lesquels elle donnait la réplique à son époux Paul Newman, est un des grands atouts de L’Homme à la peau de serpent. Sur un scénario coécrit par Tennessee Williams lui-même et Meade Roberts, Sidney Lumet, que l’on peut largement considérer comme étant l’un des plus grands directeurs d’acteurs de toute l’histoire du cinéma, s’empare de cette histoire et en fait ressortir l’aspect anxiogène, étouffant, suintant et donc puissamment érotique, même si l’on devine rapidement que la liaison entre Val et Lady Torrance ne sera pas faite pour durer.
La relation houleuse, pour ne pas dire explosive entre Brando et Magnani, aura finalement servi le film. Plus de quinze années les séparait alors, ainsi que la méthode de travail, la culture, sans parler de Brando qui n’avait de cesse de repousser les avances brutales de sa partenaire qui souhaitait avant tout le mettre dans son plumard, ce qui avait pour conséquence de créer une tension en permanence sur le plateau. Cela n’était pas pour déplaire à Sidney Lumet, qui de son côté trouvait Anna Magnani à côté de la plaque. On retrouve ce qui fait l’essence des personnages propres à Tennessee Williams, des êtres vieillis avant l’âge, qui brûlent pourtant d’envie de vivre, mais qui n’y arrivent pas, qui se déchirent, se gueulent dessus, où chacun renvoie à l’autre son propre reflet, une existence morne, inodore, incolore, invisible, faite de frustrations y compris sexuelles.
Parallèlement, outre la précision toujours virtuose de Sidney Lumet, la beauté de la photographie charbonneuse du grand chef opérateur Boris Kaufman (Le Groupe, The Pawnbroker, L’Atalante) appuie et annonce le dénouement inéluctable de cette liaison vouée à l’échec. À l’écran, l’affrontement vaut son pesant, on se délecte devant le jeu aussi maniéré que monumental de ce merveilleux tandem, qui parvient aussi à faire oublier un aspect souvent bavard. Une redécouverte s’impose encore et toujours pour L’Homme à la peau de serpent.
LE BLU-RAY
Après une première édition DVD chez MGM/United Artistes sortie en 2008 et désormais introuvable ou presque, L’Homme à la peau de serpent débarque en DVD et Combo Blu-ray chez Sidonis Calysta. Le menu principal est animé et musical.
Trois entretiens au programme :
Le premier est réalisé par François Guérif (10’) qui intervient sur la pièce Orpheus Descending de Tennessee Williams, que le dramaturge avait proposé à Marlon Brando, qui avait décliné cette offre, ne voulant pas remonter sur scène. Le critique de cinéma et éditeur passe ensuite en revue l’histoire du film, les personnages et leur psychologie, l’adaptation, le casting, la mésentente entre Marlon Brando (qui allait accepter cette transposition contre un cachet record) et Anna Magnani, l’échec du film à sa sortie (par ailleurs le premier du comédien) et sa redécouverte tardive, due entre autres à Bertrand Tavernier.
On doit la seconde intervention à Patrick Brion (15’), qui une fois n’est pas coutume est plus prolixe que François Guérif. Le critique et historien du cinéma évoque les nombreuses adaptations des œuvres de Tennessee Williams qui pullulaient alors sur le grand écran dans les années 1950-60, tout en replaçant L’Homme à la peau de serpent dans la carrière de Marlon Brando et en parlant de ce qui faisait alors sa singularité. Les conditions de tournage de The Fugitive Kind (« dans lequel Brando est éblouissant »), le casting, la psychologie des personnages, les thèmes et d’autres sujets sont largement abordés au cours de ce module.
Enfin, place à Samuel Blumenfeld du Monde, dont la présentation de plus de 35 minutes couvre tous les aspects du film de Sidney Lumet. L’auteur du livre Les derniers jours de Marlon Brando, se focalise évidemment sur le point de vue de son interprète principal, mais n’omet pas de parler lui aussi des transpositions des pièces de théâtre de Tennessee Williams qui se multipliaient au cours des années 1950. Il parle de l’échec critique et commercial de The Fugitive Kind, de son origine théâtrale, de la discorde (euphémisme) entre les deux stars, des lieux des prises de vue (tout a été tourné dans l’état de New York !), des thèmes, de la photographie et du travail de Sidney Lumet.
L’Image et le son
S’il n’y a rien à redire concernant la restauration du film, toutes les scories, tâches, poussières et rayures verticales ayant été éradiquées, le piqué manque souvent de mordant et la gestion du grain est aléatoire. Le N&B est cependant de très belle tenue, les noirs sont suffisamment denses et rutilants, les blancs retrouvent une certaine clarté, les contrastes sont raffermis et la copie affiche une indéniable stabilité. Quelques aplats fourmillent, les travellings entraînent diverses pertes de la définition et les gros plans déçoivent. En dépit d’accrocs constatables, le lifting HD est assez bien réussi et l’ensemble consolidé par un encodage AVC de haut niveau.
Bien que le doublage français soit réussi et dispose d’un écrin DTS-HD Master Audio 2.0, privilégiez la version originale encodée dans les mêmes conditions. Le confort acoustique y est plus agréable, les petites ambiances environnantes sont plus appuyées, un petit souffle se fait entendre (contrairement à la VF), mais les voix sont reportées avec plus de fluidité. La piste française s’en sort néanmoins fort bien, même si parfois trop dirigée sur le report des voix au détriment des effets annexes.
Crédits images : © Sidonis Calysta / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr