LES GRANDS DUCS réalisé Patrice Leconte, disponible en DVD et Blu-ray le 3 mai 2022 chez Rimini Editions.
Acteurs : Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort, Philippe Noiret, Catherine Jacob, Michel Blanc, Clotilde Courau, Pierre-Arnaud Juin, Jacques Mathou…
Scénario : Patrice Leconte & Serge Frydman
Photographie : Eduardo Serra
Musique : Angélique et Jean-Claude Nachon
Durée : 1h24
Date de sortie initiale : 1996
LE FILM
Trois vieux comédiens, sans le sou, minables et au chômage, sont engagés dans une comédie de boulevard médiocre, qui part en tournée. Le spectacle est monté par un producteur escroc, bien décidé à le saboter afin de toucher l’argent des assurances. Mais les trois acteurs se prennent au jeu et s’investissent dans ce qui sera peut-être la dernière chance de leur vie.
S’il n’a pas connu de réel engouement à sa sortie de la part des spectateurs, en attirant « seulement » 500.000 français dans les salles en février 1996, Les Grands Ducs s’avère aujourd’hui l’un des films de Patrice Leconte les plus aimés des cinéphiles. Après l’échec cinglant du Parfum d’Yvonne et trois mois avant le triomphe critique et commercial de Ridicule, le réalisateur des Bronzés, de Viens chez moi j’habite chez une copine, de Tandem, de Monsieur Hire, du Mari de la coiffeuse et de Tango réunissait trois monstres sacrés du cinéma français, Jean-Pierre Marielle, Philippe Noiret et Jean Rochefort, plus de vingt ans après Que la fête commence de Bertrand Tavernier. Hymne aux comédiens et à leur passion dévorante du jeu, au vaudeville qui le temps d’une soirée met du baume au coeur à une audience déjà conquise, Les Grands Ducs est un film mené tambour battant, animé par une énergie folle et dévastatrice, dont l’intrigue resserrée sur 75 minutes est prétexte à d’extraordinaires numéros d’acteurs, qui embarquent le public dans une tornade ininterrompue de rires et de tendresse.
Georges Cox, Victor Vialat et Eddie Carpentier sont de vieux comédiens au chômage, minables et fauchés. Ils réussissent à se faire embaucher dans un spectacle médiocre (comédie de boulevard appelée Scoubidou, en partance pour une tournée) dirigé par un imprésario escroc, Shapiron. Ce producteur, ruiné, va tout faire pour saboter le spectacle et ainsi toucher l’assurance, mais les trois acteurs reprennent à l’improviste avec panache les trois petits rôles, pour ne pas laisser passer la dernière chance de leur vie.
« C’est qui le grand con qui va avec ? » « Voiture ritale, tête de faux-derche, attitude lèche-cul, c’est le metteur en scène ! ».
Les trois têtes d’affiche ont en moyenne 65 ans quand ils se retrouvent devant la caméra de Patrice Leconte. Conçue spécialement pour eux, cette comédie frôle souvent l’hystérie, mais ne s’y vautre pas, le cinéaste parvenant à trouver cet équilibre fragile et flirtant avec le point de rupture, qui se fait pourtant ressentir. Le montage frénétique, mais maîtrisé, allié à une caméra la plupart du temps portée (par le metteur en scène lui-même), donne à l’ensemble un aspect pris sur le vif, comme un documentaire sur le métier de saltimbanque et le portrait de trois vieux briscards qui ont consacré leur vie à leur noble art. Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle et Philippe Noiret avaient déjà tourné avec Patrice Leconte, le premier en était à son cinquième film avec le réalisateur, tandis que les deux autres le retrouvaient pour la seconde fois. Maintenant qu’ils sont tous partis, on admire encore plus aujourd’hui leur prestation ébouriffante, dont la fraîcheur, la folie, l’élégance, la prestance, le magnétisme demeurent uniques. Ils manquent terriblement et on ne peut que s’émerveiller de les voir rassemblés dans un même cadre, d’où éclatent constamment leur complicité, ainsi que leur incommensurable respect mutuel.
Se joint à eux l’explosive Catherine Jacob, qui venait d’enchaîner La Soif de l’or de Gérard Oury, Neuf mois de Patrick Braoudé et Le Bonheur est dans le pré d’Étienne Chatiliez, qui prend visiblement un plaisir fou à donner la (folle) réplique à ses illustres partenaires, en particulier à Jean Rochefort (« J’suis désolé, la province m’excite ! »), lors de leurs scènes de séduction. Mention spéciale à Michel Blanc, qu’on a rarement vu aussi odieux à l’écran, comme une représentation live du Coyote, son personnage étant prêt à tout et multipliant les pièges pour se débarrasser de la comédienne de la pièce qu’il produit, dans le but d’annuler la tournée et de toucher l’assurance, pour rembourser ses dettes. Notons également la participation de la douce Clotilde Courau, dans le rôle de la jeune actrice Juliette, qui découvre son métier auprès de nos trois vétérans râleurs et fêlés, qui sauront la prendre sous leurs ailes protectrices et l’encourager quand le doute viendra s’immiscer.
Les Grands Ducs est devenu un vrai film culte, que l’on peut voir et revoir à satiété, sans jamais se lasser, emportés que nous sommes dans ce délire suprêmement classe (photo du fidèle Eduardo Serra), aux décors et aux costumes extravagants, aux dialogues ciselés. Un bonheur irrésistible. C’est ce qu’on appelle un film-doudou ou un médicament idéal contre la morosité.
LE BLU-RAY
Suite et fin de cette mini-rétrospective consacrée à Patrice Leconte grâce aux sorties simultanées du Mari de la coiffeuse, Le Parfum d’Yvonne et Les Grands Ducs en Haute-Définition. La galette repose dans un boîtier classique, glissé dans un surétui cartonné liseré bleu. Ce film avait déjà connu une première édition DVD en 2000 chez M6 Vidéo, notamment en double-face, la A comprenant le film Le Parfum d’Yvonne. 2004, le film ressortait en single chez Aventi Distribution. Le menu principal est animé et musical.
L’éditeur reprend tout d’abord le commentaire audio de Patrice Leconte, disponible sur l’ancienne édition DVD. Il s’agit visiblement du premier commentaire effectué par le réalisateur, comme celui-ci l’indique dans les premières minutes. S’il devient (de temps en temps) simplement spectateur de son propre film, Patrice Leconte demeure un formidable compagnon de route et délivre moult informations sur Les Grands Ducs, qu’il a adoré faire, « qui n’a pas été un succès phénoménal », mais pour lequel il a toujours conservé une immense affection. Le cinéaste revient sur tous les aspects de ce « film hirsute, décoiffant, qui roule à 250 km/h même dans les virages », évoquant la rapidité de son exécution à l’aide d’une caméra portée, avec une lumière souvent naturelle. Les partis-pris et les intentions (« je voulais mettre leur folie naturelle à l’avant-plan »), le travail avec comédiens (en particulier avec les trois monstres du cinéma français), la création des personnages (y compris de leurs looks respectifs), le montage et le rythme « un peu frénétiques », les conditions et les lieux de tournage, les quelques reshoots après le tournage (la fin originale a été changée, car jugée un peu condescendante et peu aimable), l’échec du film à sa sortie, puis son regain de popularité, sont autant de sujets longuement abordés avec une passion contagieuse.
Rimini Editions annonce un making of « inédit » réalisé par Arnaud Descahmps (17’). En fait, il s’agit de la version longue du documentaire déjà présent sur le DVD M6 Vidéo, sur lequel toutes les interventions des comédiens et de Patrice Leconte avaient été mystérieusement coupées. Nous sommes donc heureux de bénéficier enfin de ces dix minutes supplémentaires. Il s’agit désormais d’une vraie plongée dans le tournage des Grands Ducs, où nous pouvons voir Patrice Leconte s’activer sur le plateau, insuffler sa folle énergie à son équipe, toujours en mouvement et premier spectateur de son film, admirant le jeu de son casting quatre étoiles, le sourire aux lèvres. L’occasion de voir le trio Noiret-Marielle-Rochefort s’observer, se regardant avec un amour véritable et surtout se marrer des bêtises des autres.
Réalisée à l’occasion de cette nouvelle sortie en DVD et de cette première présentation en Haute-Définition, l’interview de Patrice Leconte (12’) complète parfaitement ce qui a été entendu précédemment dans les anciens suppléments. On apprend entre autres que le titre original était « La Tournée des Grands Ducs », ou que le rôle de Shapiron était prévu pour Patrick Timsit. Le réalisateur indique que ce dernier a été refusé par la production, pour des raisons que nous ne saurons pas, suite à quoi Michel Blanc a été engagé. Sur ce dernier, Patrice Leconte indique « Il m’a surpris, car c’est comme s’il avait fait le film uniquement pour le plaisir du chèque, de mauvaise grâce, comme si tout le faisait chier ou qu’il n’était pas dans son assiette, même s’il est parfait dans Les Grands Ducs ». Il parle ensuite de son amour et de son affection pour les petites gens, pour le cinéma de Julien Duvivier, des personnages et de leur passion pour leur métier de comédien, « qui ont la foi chevillée au corps et qui donc forcent l’admiration ». Il y évoque enfin son envie de toujours, celle de mettre en scène un film musical.
Last but not least, Rimini Editions livre le formidable documentaire Rochefort en baskets, réalisé par Alain Teulere en 2015, soit deux ans avant la mort du comédien. Ce dernier reçoit l’équipe chez lui, sur l’île de Porquerolles, au mois d’août. Arborant de belles bretelles violettes et des baskets jaune-citron, Jean Rochefort passe en revue sa très longue carrière et sa vie durant un peu plus d’une heure. Quelques extraits de films, beaucoup de photographies, divers témoignages aussi de proches et d’amis (Guillaume Canet, Jacques Perrin, Sandrine Kiberlain, Edouard Baer, Philippe Le Guay, Patrice Leconte…) s’entrecroisent dans ce film où « la plus célèbre moustache du cinéma français » revient sur ses rencontres déterminantes, sur sa bande de potes (Bebel est évidemment très largement évoqué), sur ses écrivains préférés (il parle de Céline, de John Fante, de Cervantès), ou tour à tour de Johnny Depp, de Pierre Schoendoerffer, d’Un éléphant ça trompe énormément (« je devenais alors le représentant du français aisé des années 1970 »), des chevaux aussi bien sûr, de Fernand Raynaud, de Lost in La Mancha (« Je crois qu’on aurait fait un mauvais film… »)…Un vrai trésor pour les cinéphiles.
L’Image et le son
Les Grands Ducs a subi un joli lifting et Rimini Editions peut être fier de présenter ce master HD restauré. Le grain argentique est fin, organique, excellemment géré, élégant et participe à la beauté de la photographie signée Eduardo Serra (Le Mari de la coiffeuse, Tango, Le Parfum d’Yvonne, Marche à l’ombre). Les couleurs sont éclatantes, les noirs denses, la propreté remarquable, le piqué acéré, le relief omniprésent, les détails souvent aiguisés, les matières palpables, la stabilité indéniable. Le Blu-ray est au format 1080p.
La piste française DTS-HD Master Audio Mono 2.0 est plutôt percutante. Aucun souffle n’est à déplorer, ni aucune saturation dans les aigus. Les dialogues sont vifs, toujours bien détachés, la musique est délivrée avec une belle ampleur. L’ensemble est aéré, fluide et dynamique. En revanche, notons l’absence de sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.