Test Blu-ray / Les Copains d’Eddie Coyle, réalisé par Peter Yates

LES COPAINS D’EDDIE COYLE (The Friends of Eddie Coyle) réalisé par Peter Yates, disponible en Combo Blu-ray + DVD + Livret – Édition limitée le 22 octobre 2025 chez Rimini Éditions.

Acteurs : Robert Mitchum, Peter Boyle, Richard Jordan, Steven Keats, Alex Rocco, Joe Santos, Mitchell Ryan, Peter MacLean…

Scénario : Paul Monash, d’après le roman de George V. Higgins

Photographie : Victor J. Kemper

Musique : Dave Grusin

Durée : 1h38

Date de sortie initiale : 1973

LE FILM

Eddie Coyle est un bandit sans envergure qui vit de petits boulots, de trafic d’armes et de contrebande. Pour échapper à une condamnation et éviter de finir ses jours derrière les barreaux il accepte de travailler comme indicateur pour Dave Foley, un agent du FBI.

Peter Yates (1929-2011) n’est pas l’homme d’un seul film, quand bien même celui auquel on pense quand on évoque le réalisateur est évidemment Bullitt, son plus grand triomphe dans le monde et qui a largement contribué à consolider le mythe Steve McQueen. C’est avec Trois Milliards d’un coupRobbery (1967), polar britannique, qu’il se fait remarquer. Puis, c’est l’aventure américaine et là les années 1970 vont être aussi prolifiques que placées sous le signe du succès avec Les Quatre MalfratsThe Hot Rock (1972), adapté d’une des fabuleuses aventures de Dortmunder, personnage légendaire créé sous la plume de l’immense Donald Westlake, ou bien encore Ma Femme est dingueFor Pete’s Sake (1974), comédie avec Barbra Streisand. Si la postérité gardera aussi Les Grands fondsThe Deep (1977), tiré d’un roman de Peter Benchley, film d’action et d’aventure avec Robert Shaw, Jacqueline Bisset (et son t-shirt mouillé) et Nick Nolte, deux films demeurent obscurs, car passés inaperçus à leur sortie. Outre La Guerre de MurphyMurphy’s War (1971), dans lequel Peter O’Toole donne la réplique à Philippe Noiret, sur lequel nous sommes déjà revenus, l’autre joyau qui n’a eu de cesse de briller à nouveau aux yeux des cinéphiles n’est autre que Les Copains d’Eddie CoyleThe Friends of Eddie Coyle. Rapidement exploité dans les salles en 1973, cette chronique du crime de Boston est l’adaptation du roman éponyme de George V. Higgins, avocat et journaliste, dont l’originalité est de ne dévoiler l’intrigue qu’à travers les (fabuleux) dialogues, les divers personnages s’exprimant dans un argot du cru, ou même en langage codé, les malfrats évitant ainsi tous risques possibles s’ils sont mis sur écoute par les forces de l’ordre. Ou comment l’écrivain plonge ses lecteurs dans le petit monde des petits truands de la pègre. Grand succès dans les librairies, The Friends of Eddie Coyle voit ses droits être achetés par la Paramount, tandis que le scénariste Paul Monash (Les Vampires de Salem de Tobe Hooper), également producteur (Butch Cassidy et le Kid, Abattoir 5, Spéciale première, Carrie au bal du diable) monte le budget et transpose le best-seller pour l’écran. Robert Mitchum, au mitan de sa cinquantaine, entre La Fille de RyanRyan’s Daughter (1970) de David Lean et YakuzaThe Yakuza (1974) de Sydney Pollack, tient le rôle-titre, même si on lui avait dans un premier temps proposé celui qui sera campé par Peter Boyle. S’il n’apparaît qu’en pointillés, surtout dans la première partie, l’aura du monstre Mitchum plane sur tout le film. Longtemps oublié et même méconnu, aujourd’hui plébiscité et porté aux nues par les cinéphiles, Les Copains d’Eddie Coyle fait partie de ces trésors enfouis dans la filmographie de grands artisans – au sens noble du terme – du septième art, à l’instar des Flics ne dorment pas la nuit The New Centurions de Richard Fleischer, sorti quelques mois plus tôt. Peter Yates installe lui aussi une dimension documentaire dans son récit, dans un souci de réalisme, loin de tout romanesque ou refusant le spectaculaire (un braquage n’est après tout que le quotidien des salopards, rien de flamboyant donc), au profit d’une immersion authentique. Réhabilitons encore et toujours Les Copains d’Eddie Coyle !

Eddie Coyle, un vieux malfrat sur le retour, vit avec sa famille à Boston. Il gagne misérablement sa vie grâce au trafic d’armes et d’alcool, et retrouve par hasard Dillon, un ancien compagnon devenu barman, qui semble très au fait de toutes les combines qui se pratiquent dans le milieu. Coyle fournit des pistolets à une équipe de braqueurs de banque dirigée par Jimmy Scalise et Artie Van, se les procurant d’abord auprès d’un autre trafiquant du nom de Jackie Brown. Parallèlement, Coyle risque plusieurs années de prison pour un détournement de camion dans le New Hampshire, commandité par Dillon. Coyle coopère avec l’agent du trésor Dave Foley afin d’obtenir une réduction de peine, car Eddie est menacé de condamnation. S’il lui révèle le nom de son fournisseur d’armes, le policier interviendra en sa faveur. Lorsque le truand Scalise est arrêté, ce dernier est persuadé d’avoir été vendu par Coyle.

À l’instar du roman original, l’histoire des Copains d’Eddie Coyle devient à l’écran une succession de vignettes, durant lesquelles les échanges entre les protagonistes s’avèrent parfois non pas hermétiques, mais abscons, étranges. Puis, une scène suivante peut soudainement éclairer sur ce qui s’est déroulé quelques minutes plus tôt, remettant ainsi en perspective des éléments, tissant des liens entre untel et un autre. En fait, tous les personnages sont connectés et c’est au spectateur de rembobiner la pelote, pour comprendre enfin les enjeux. Eddie Coyle apparaît comme un bobinoir, comme un noyau autour duquel gravitent des électrons, même si le quinquagénaire dans la tourmente aimerait bien qu’on lui foute la paix et espère échapper à la prison qui lui pend au nez après s’être fait prendre comme un bleu dans une opération de contrebande d’alcool canadien. Les Copains d’Eddie Coyle, c’est comme qui dirait Chronique d’une mort annoncée de Gabriel García Márquez, car on comprend très vite que l’homme au centre de l’histoire ne saurait s’en sortir autrement que les pieds devants.

Mais avant d’en arriver là, Peter Yates filme les diners, les parkings, les bagnoles (où souvent, quelqu’un est en planque), les baraques en bois de la banlieue de Boston, les bars au relent de bière tiède et à l’air lourd de la fumée de cigarette. Avec son sens inouï du cadre, la superbe photo automnale signée Victor J. Kemper (Un après-midi de chien, Magic, Les Yeux de Laura Mars, Audrey Rose, Stay Hungry), le montage quasi-scientifique de Pat Jaffe, on ne peut détacher nos yeux des Copains d’Eddie Coyle. On pense aussi à Fat City de John Huston, sorti l’année précédente, dans lequel les personnages étaient lancés dans une quête illusoire et désespéré, où la deuxième chance et la rédemption n’existent pas, où chacun va d’un point A à un point A.

Film désespéré, mélancolique et pessimiste, Les Copains d’Eddie Coyle est branché sur un spleen qui prend aux tripes du début à la fin. Ou quand un monstre hollywoodien des années 1940-50 (c’est déjà plus difficile la décennie suivante) tente comme Eddie de survivre dans son milieu, tout en se rendant compte que les temps ont changé et que des jeunes loups aux crocs acérés sont prêts à bondir sur sa carcasse. Une dimension méta sans doute passée inaperçue à la sortie du film. Outre Robert Mitchum, le casting se compose de gueules venues d’horizons divers tels que Peter Boyle, découvert en 1966 dans le superbe The Group de Sidney Lumet et vedette du formidable Joe, c’est aussi l’Amérique de John G. Avildsen, Richard Jordan (L’âge de cristal, Les Collines de la terreur), Steven Keats (Black Sunday, Un justicier dans la ville), Mitchell Ryan (Electra Glide in Blue, Les Charognards) et bien d’autres qui incarnent les « copains » d’Eddie.

Peter Yates livre un film percutant, sombre, désabusé, mais terriblement attachant. Même si cela ne saute pas immédiatement aux yeux avec son rythme lent, ses longues scènes et sa narration qui s’apparente surtout à des tranches de vie, Les Copains d’Eddie Coyle (également connu sous le titre français Adieu mon salaud) est un véritable chef d’oeuvre et le destin (sacrifié) de ses personnages oubliés du rêve américain ne cesse de revenir en tête bien après la projection. La fin est entre autres sublime de cynisme.

LE COMBO BLU-RAY + DVD

Voilà assurément l’une des sorties les plus attendues de cette fin d’année, un cadeau qui devrait ravir les cinéphiles à Noël. Les Copains d’Eddie Coyle n’était jusqu’à présent jamais sorti en DVD et encore moins en Blu-ray dans nos contrées. C’est désormais chose faite grâce à Rimini Éditions. Les deux disques reposent un Digipack à trois volets, le tout glissé dans un fourreau cartonné, dont le visuel élégant devrait attirer l’oeil des amateurs de polars américains des années 1970. À l’intérieur, un formidable et conséquent livret (42 pages) écrit par Christophe Chavdia, véritable bonus à part entière. Cet élément, dont on ressent la passion de l’auteur pour son sujet, propose un retour complet sur Les Copains d’Eddie Coyle. La psychologie des personnages, l’adaptation fidèle du roman de George V. Higgins (dont le parcours est aussi retracé), les conditions de tournage, les partis-pris de Peter Yates, le casting, la sortie du film (et donc son échec critique et public), puis sa redécouverte tardive sont les sujets abordés. Le menu principal est animé et musical.

Uniquement disponible sur le Blu-ray, l’éditeur propose une interview de Peter Yates, réalisée en 1996 par le critique (essentiellement pour The Guardian) et historien du cinéma Derek Malcolm (35’). Dans le cadre prestigieux de National Film Theatre, le réalisateur est heureux de revenir sur son illustre carrière, et pas seulement que sur Bullitt. Il évoque ainsi son parcours, son expérience (ratée) comme acteur, avant de devenir, troisième, second, puis enfin premier assistant (« on apprenait un travail, plutôt qu’un art ») au cinéma pour Mark Robson, Terence Young, Guy Hamilton, Jack Cardiff, Tony Richardson, J. Lee Thompson. Puis, Peter Yates en vient à sa propre filmographie, en revenant non seulement sur ses œuvres les plus célèbres, mais aussi sur celles plus confidentielles, à l’instar des Copains d’Eddie Coyle. Derek Malcolm indique d’ailleurs que « ce film merveilleux, sous-estimé, aujourd’hui très bien noté, n’a jamais eu la diffusion qu’il méritait ». Quelques savoureuses anecdotes de tournage sont au programme.

Sur les deux disques, une pièce de choix, une conversation entre Jean-Baptiste Thoret (réalisateur et historien du cinéma) et Samuel Blumenfeld (critique de cinéma), bonus d’une durée conséquente de près de 50 minutes. N’y allons pas par quatre chemins, le premier se taille une fois de plus la part du lion, tandis que le second, qui tente souvent d’en placer une et qui tient le coup en buvant du RedBull, se livre à une analyse plus ou moins détaillée d’Eddie Coyle. Si l’on doit accepter une fois certains propos de Samuel Blumenfeld du genre « The Deep était un film idiot et inepte » (ah bon?), Jean-Baptiste Thoret démontre (et c’est ce que nous disons depuis dix ans sur Homepopcorn), qu’il demeure le meilleur dans sa catégorie. Notre prise de notes a été conséquente pour parler de ce bonus, alors pour essayer d’être le plus succinct possible, nous dirons que ce module revient à la fois sur le fond et la forme (ou comment attaquer le genre par soustraction) du film qui nous intéresse aujourd’hui, ainsi que sur l’adaptation (très fidèle) du roman de George V. Higgins, la «mythologie» Mitchum et le parcours de Peter Yates. Les films les plus célèbres et les trésors cachés de sa filmographie sont passés en revue, avant d’en venir plus précisément à Eddie Coyle, « passé sous les radars », qui n’a eu de cesse d’être redécouvert, déjà à l’époque de la sortie de Jackie Brown de Quentin Tarantino, le nom du personnage étant repris du marchand d’armes du film de Peter Yates, par ailleurs jamais mentionné durant le long-métrage ! On apprécie ce beau portrait dressé de ce réalisateur qui partait souvent d’un roman à succès, avait cette curiosité pour l’Amérique et avait la capacité « à faire tout, avec pas grand-chose ». On avait encore d’autres éléments à dire sur ce supplément sobre sur la forme, mais passionnant dans son contenu…et nous avons déjà fait beaucoup plus long que ce que nous avions prévu au départ. On vous laissera donc découvrir ce bonus, aussi indispensable et un complément parfait au livre de Christophe Chavdia.

L’Image et le son

Ce master restauré des Copains d’Eddie Coyle brille souvent de mille feux. Si la profondeur de champ est laissée de côté par Peter Yates, préférant se focaliser sur ses personnages, le piqué s’avère acéré, la stabilité de la copie n’est jamais démentie, les contrastes sont soignés. Les noirs sont denses, la définition reste pointue sur les nombreuses séquences sombres ou se déroulant dans la pénombre, la colorimétrie retrouve un éclat et une chaleur automnale bienvenus sur les scènes diurnes tournées en extérieur. Les gros plans sont souvent épatants (les traits fatigués de Robert Mitchum), les détails abondent, l’ensemble est propre et la gestion du grain est équilibrée. C’est beau, c’est carré, c’est élégant.

La version originale bénéficie d’un mixage DTS-HD Master Audio Mono 1.0 nettement plus performant que la piste française encodée de la même façon. Pour la première option acoustique, l’espace phonique se révèle probant, la composition de Dave Grusin jouit d’une belle ouverture, le confort est concret, et les dialogues demeurent clairs et nets. De son côté, la version française (avec des cadors à la barre, Jean-Claude Michel, Roger Lumont, Jean-Luc Kayser) apparaît un poil plus feutrée, mais les voix s’intègrent bien à l’ensemble. Que vous ayez opté pour la langue de Shakespeare ou celle de Molière, aucun souffle ne vient parasiter votre projection et l’ensemble reste propre.

Crédits images : © Rimini Éditions / Paramount / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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