LES ASSASSINS DE L’ORDRE réalisé par Marcel Carné, disponible en DVD et Blu-ray depuis le 14 mars 2018 chez LCJ Editions
Acteurs : Jacques Brel, Catherine Rouvel, Paola Pitagora, Roland Lesaffre, Boby Lapointe, Jean-Roger Caussimon, Michel Lonsdale, François Cadet, Serge Sauvion, Charles Denner, Jacques Legras…
Scénario : Marcel Carné, Paul Andréota d’après le roman de Jean Laborde
Photographie : Jean Badal
Musique : Pierre Henry , Michel Colombier
Durée : 1h51
Date de sortie initiale : 1971
LE FILM
Bernard Level, juge dans une petite ville de province, se voit confier l’instruction d’une affaire délicate. Un homme soupçonné d’un délit mineur est décédé au commissariat, à l’issue de son interrogatoire par le commissaire et deux de ses inspecteurs. Au terme de son instruction Level finit par inculper les policiers. Dès cet instant, toutes sortes de pressions sont exercées sur lui.
« Vous voulez un loup qui bêle avec les moutons… »
Pour les cinéphiles du monde entier, le cinéma de Marcel Carné (1906-1996) se résume souvent aux films cosignés avec Jacques Prévert, de Jenny (1936) aux Portes de la nuit (1946), en passant bien évidemment par Drôle de drame (1937), Le Quai des brumes (1938), Le Jour se lève (1939), Les Visiteurs du soir (1942) et Les Enfants du paradis (1945). Par la suite, l’oeuvre du réalisateur est comme qui dirait passée plus inaperçue, malgré d’incontestables réussites, Juliette ou la clé des songes (1950), Thérèse Raquin (1953), Les Tricheurs (1958), Trois chambres à Manhattan (1965) et Les Jeunes Loups (1968). Mais le film qui se démarque et qui prouve à quel point Marcel Carné en avait encore sous le capot reste indéniablement Les Assassins de l’ordre (1971). Avec ce drame-policier, le cinéaste aborde la question des brutalités policières, sujet brûlant après mai 68, qui demeure malheureusement toujours d’actualité. Bien décidé à montrer qu’il n’était pas prêt à raccrocher les gants et qu’il pouvait traiter des sujets de société, Marcel Carné signe une œuvre magistrale, passionnante, qui sous couvert de divertissement populaire s’adresse à ses concitoyens et ouvre le débat sur une question délicate, sensible, universelle et intemporelle.
L’action se déroule près de Marseille, la semaine de Noël. Un ancien repris de justice repenti, devenu un honnête père de famille, travaille comme mécanicien dans un garage. Un matin, il est réveillé aux aurores par deux policiers de façon musclée. Ceux-ci le soupçonnent d’être l’auteur d’un casse réalisé au chalumeau, survenu la nuit même chez son employeur. Ils l’embarquent au commissariat, d’où il ressortira à midi, soit quelques heures plus tard, mais pour être conduit à la morgue. Sa veuve porte alors plainte. Le juge d’instruction Bernard Level est chargé du dossier. Celui-ci vit seul avec son fils, un étudiant préparant l’agrégation et distribuant, à l’occasion, quelques tracts post-soixante-huitards. Tous deux devaient partir le soir même aux sports d’hiver, mais le magistrat doit annuler son départ. Il doit gérer cette affaire au mieux, comme le lui a ordonné le Procureur de la République, c’est-à-dire, sans oublier que la police est la meilleure alliée de la Justice. Cependant, le juge acquiert vite la certitude que les policiers ont violenté la victime, jusqu’à l’issue fatale. Mais sa tâche s’annonce ardue.
« Je n’ai pas les mêmes moyens que vous pour connaître la vérité. Ni les mêmes méthodes. »
Sur les dix films que tournera Jacques Brel de 1967 à 1973, Les Assassins de l’ordre est sans doute le plus méconnu. Après sa première incursion au cinéma dans le formidable Les Risques du métier d’André Cayatte et Mon oncle Benjamin (1969) d’Edouard Molinaro, mais avant L’aventure, c’est l’aventure (1972) de Claude Lelouch et L’Emmerdeur (1973), Jacques Brel confirme son immense talent de comédien. Il trouve ici un de ses meilleurs rôles grâce à Marcel Carné et se révèle parfait dans la peau de ce procureur de province, prêt à tout pour confondre les assassins dans cette affaire troublante. Il devra pour cela subir la pression qui s’exerce de plus en plus sur lui, ainsi que sur ses proches. Néanmoins, il parviendra à inculper les policiers, ces fameux « assassins de l’ordre », incarnés par Michel Lonsdale, François Cadet et Serge Sauvion (quasi-mutique), lesquels seront jugés en cour d’assises. Reste à savoir comment se déroulera le procès. Level peut compter sur le témoignage d’une prostituée au grand coeur (excellente Catherine Rouvel), son seul témoin, en espérant que la jeune femme aille jusqu’au bout. Mais les trois policiers seront défendus par un des meilleurs avocats en la présence de maître Grazianni, interprété par le merveilleux et ici impitoyable Charles Denner.
Doit-il y avoir deux justices ? L’une pour la police et l’autre pour ceux qui ne font pas partie des forces de l’ordre ou du monde politique ? Eternelle question. Sur un scénario implacable adapté du roman de l’ancien chroniqueur judiciaire à France-Soir et à L’Aurore, Jean Laborde (1918-2007), Marcel Carné montre que les choses peuvent avancer sur ce sujet, même si l’issue semble déjà connue. Durant près de deux heures, le réalisateur démontre toute la procédure, les faits et gestes des acteurs passifs et actifs de la justice. Les dialogues de Paul Andréota (Les Bonnes causes et La Tulipe Noire de Christian-Jaque) font l’effet de coups de poing et les protagonistes rivalisent d’énergie comme sur un ring lors des multiples affrontements. En dehors d’une esthétique vieillotte, c’est sûr que les papiers peints bariolés typiques du début des années 1970 n’aident pas, la mise en scène de Marcel Carné est habile, dynamique et recherchée. Le rythme ne faiblit jamais du début à la fin et l’on se demande jusqu’où tout cela va bien pouvoir mener. L’épilogue démontrera que rien ne pourra jamais être définitif et statué sur ce genre d’affaire.
A sa sortie, Les Assassins de l’ordre déçoit avec seulement un peu plus d’un million d’entrées, même s’il s’agit tout de même du meilleur score pour Marcel Carné depuis Terrain vague en 1960. Le film reçoit un prix de la part du public à Moscou et se voit présenter à la Mostra de Venise. Depuis, Les Assassins de l’ordre n’a eu de cesse d’être réhabilité et d’entraîner encore et toujours des débats.
LE BLU-RAY
Les Assassins de l’ordre fait partie du catalogue LCJ Editions depuis mars 2010. Huit ans plus tard, l’éditeur propose une nouvelle édition en DVD, ainsi qu’en Haute-Définition ! Très belle jaquette, glissée dans un boîtier classique de couleur noire. Le menu principal est animé sur une séquence du film.
LCJ Editions a mis la main sur deux reportages d’époque, réalisés sur le plateau au moment du tournage du film en janvier 1971. Le premier (9’) donne surtout la parole à Marcel Carné, que l’on voit à l’oeuvre avec ses comédiens. Le réalisateur s’exprime sur le sujet des Assassins de l’ordre et indique qu’il souhaitait faire ce film depuis près de vingt ans. Jacques Brel intervient en fin de vidéo, mais se révèle plus présent sur le second module tourné à Aix-en-Provence, où Marcel Carné est cette fois encore de la partie, tout comme le producteur Michel Ardan (7’30).
L’Image et le son
Le master HD des Assassins de l’ordre n’est pas exempt de défauts, mais se révèle globalement satisfaisant. Cette copie bénéficie d’un traitement de faveur concernant la restauration 4K et aucune scorie n’est à signaler. Soutenue par une solide compression AVC, l’image affiche une belle stabilité mais c’est au niveau des contrastes et de la colorimétrie que cela gène légèrement. Cette dernière est particulièrement fade. Cela est en aucun cas imputable à l’éditeur, mais bel et bien au directeur de la photographie Jean Badal (Un peu de soleil dans l’eau froide, Tintin et les oranges bleues) qui fait la part belle (ou pas) aux aplats délavés, aux papiers peints fleuris du plus mauvais goût. Le grain cinéma est présent, parfois très appuyé comme lors de la scène d’exposition, ce qui entraîne un piqué émoussé. Quelques flous sporadiques sont à noter, l’étalonnage tend à varier au cours d’une même séquence. Ce sont finalement les séquences diurnes qui s’en tirent le mieux avec une clarté indéniable, des teintes plus variées et des détails plus affirmés.
Ce mixage PCM Stéréo 2.0 instaure un confort acoustique probant et solide. Quelques dialogues paraissent étouffés, d’autres sont au contraire délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise et les silences sont denses. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription pour le public mal voyant et non voyant.