
LE VOYEUR (L’Uomo che guarda) réalisé par Tinto Brass, disponible en DVD & Combo Blu-ray + DVD le 4 février 2025 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Francesco Casale, Katarina Vasilissa, Franco Branciaroli, Cristina Garavaglia, Raffaella Offidani, Martine Brochard, Antonio Salines, Eleonora De Grassi, Gabri Crea…
Scénario : Tinto Brass
Photographie : Massimo Di Venanzo
Musique : Riz Ortolani
Durée : 1h38
Date de sortie initiale : 1994
LE FILM
Dans un collège de Rome, un professeur dénommé Dodo est en pleine dépression. Silvia, sa femme vient de le quitter pour un autre homme. Il ne cesse de penser à leurs ébats érotiques passés. En rendant visite à son exhibitionniste de père, Dodo fait la connaissance de Fausta, la servante de la maison. Cette jolie fille au tempérament torride va rapidement lui faire oublier ses déboires conjugaux. Plus tard, Dodo fait la rencontre de Pascasie, une ravissante étudiante métisse dont il va tomber amoureux…

Si Le Voyeur – L’Uomo che guarda est sorti sur les écrans (mais pas chez nous) en 1994, ce projet remonte en fait presque dix ans en arrière, mais avait dû être mis de côté suite à la mort de l’écrivain et journaliste Alberto Moravia. En effet, dès la publication du roman publié en France sous le titre L’Homme qui regarde, Tinto Brass désire l’adapter et ce avec la bénédiction de l’auteur avec lequel il était très ami. Avant le décès d’Alberto Moravia en septembre 1990, le cinéaste avait été obligé de reporter cette transposition. Suite à cette disparition, les deux anciennes compagnes de l’intellectuel transalpin s’en mêlent et refusent finalement que le nom illustre de l’auteur soit mentionné par Tinto Brass si son projet venait à naître. C’est finalement ce qui arrive en 1994. Le maître du cinéma érotique s’en donne à coeur joie et celui-ci plonge une nouvelle fois le spectateur dans son univers personnel, teinté de décors tiré du théâtre avec ses toiles peintes, dans lesquels déambulent des comédiennes aux formes très rebondies, allant là où Federico Fellini n’avait su ou pu s’engouffrer, parfois même jusqu’aux frontières de l’anatomie féminine, le tout sur une musique de Riz Ortolani qui mise sur le « sexophone ».. Ode au plaisir et, comme si son titre l’indique, au voyeurisme, « qui n’est pas une perversion, ni un vice, mais une vertu » comme l’a souvent indiqué Tinto Brass au cours de sa vie et de sa carrière, Le Voyeur n’est pas son opus le plus célèbre, mais reste marqué par quelques belles fulgurances et certains délires qui lui sont propres. Et puis, soyons honnêtes, L’Uomo che guarda demeure un film que l’on peut aisément qualifier de bandant.


Eduardo (surnommé Dodo par son entourage) enseigne la littérature française dans une faculté. Sa vie sentimentale n’est pas au beau fixe depuis sa séparation avec sa fiancée Silvia. Peut-être est-ce dû au fait que, faute de moyens financiers, le couple était obligé de partager le vaste appartement du père de Dodo, Alberto, un ancien professeur d’université, aujourd’hui retraité et confiné dans un lit après une mauvaise chute l’ayant privé de l’usage de ses jambes. Toujours est-il que Silvia a une liaison avec un autre homme dont elle refuse de divulguer l’identité à Dodo. Ce dernier est toujours amoureux de Silvia, qui reste l’objet de ses fantasmes. Dragué par une étudiante, puis intrigué par les rapports que son père entretient avec son auxiliaire de vie, la ravissante Fausta, Eduardo ne parvient cependant pas à chasser son ex-copine de son esprit. Et puis, une question le taraude : qui peut bien être son rival ?


Les aficionados de l’univers de Tinto Brass ne seront pas dépaysés. Tout y est et Le Voyeur est même une belle porte d’entrée au cinéma de l’intéressé. Évidemment, sans surprise, ce que l’on retient avant tout est la beauté des comédiennes et de ce point de vue, le réalisateur nous a encore gâté avec d’un côté la (blonde) polonaise Katarina Vasilissa (alors mannequin de Playboy) et de l’autre l’italienne (brune) Cristina Garavaglia. La première apporte un charme original au « harem » de Tinto Brass avec sa beauté de l’est et ses yeux bleus de félin, s’offrant volontiers à la caméra et donc aux spectateurs, en dévoilant son corps sculptural, même si étonnamment moins génreux en ce qui concerne le fessier, habituellement plus proéminent chez l’amico Tinto. La seconde rentre plus dans le carcan des créatures qu’affectionne le cinéaste avec sa large bouche et ses formes voluptueuses. Du point de vue dramatique, Cristina Garavaglia s’en sort nettement mieux, dans un rôle pourtant plus secondaire et celle-ci fait penser à un personnage échappé de chez Pedro Almodóvar. Peu de choses marquantes en ce qui concerne sa carrière, à part une incursion chez Dino Risi en 1996 pour Giovani e belli, l’un des derniers longs-métrages du maître. Le Voyeur est pour ainsi dire son moment de gloire, d’autant plus qu’elle vole la vedette à chaque apparition.


L’autre belle demoiselle est Raffaella Offidani, dans le rôle de la métisse Pascasie, vue la même année chez Stuart Gordon dans Castle Freak, étudiante au sang chaud qui fait perdre la tête à Dodo. Ce dernier n’est autre que le comédien Francesco Casale, plus habitué sur les planches qu’au cinéma, aperçu tout de même dans Ginger et Fred de Federico Fellini, chez Stelvio Massi dans le coquin Arabella l’angelo nero. Un peu lisse et pâle par rapport à ses magnifiques partenaires féminines, il campe l’anti-héros brassien habituel, quelque peu dépassé par les femmes entreprenantes et libres qui pullulent autour de lui. Le metteur en scène de Salon Kitty, La Clé (ouvertement cité, puisque ses personnages viennent le voir au cinéma), Monella, Tra(sgre)dire et Fallo !, pour ne citer que ceux-ci, met aussi beaucoup de lui-même dans le rôle du père libidineux de Dodo, incarné par Franco Branciaroli, acteur fétiche de Tinto Brass, vu aussi dans Senso ‘45 et La Clé.


Si le réalisateur – qui nous gratifie de deux caméos – y va à fond en filmant ses actrices sous tous les angles, même les plus insoupçonnés, il triche avec le membre masculin, la plupart du temps représenté par des phallus artificiels, souvent fièrement dressés. Cela ajoute un plus au côté fable, dont l’issue est par ailleurs un poil décevante…mais il reste heureusement suffisamment de pilosité ailleurs pour laisser un bon souvenir du Voyeur, par ailleurs photographié avec élégance par Massimo Di Venanzo, avec lequel Tinto Brass retravaillera par la suite.



LE BLU-RAY
Après Fallo !, Transgression, Monella – Lola la frivole, Miranda, La Clé et Salon Kitty, tous chroniqués par nos soins, Sidonis Calysta déroule une nouvelle fois le tapis rouge à Tinto Brass, en proposant en Haute-Définition Le Voyeur et Monamour. Très beau visuel pour le premier, qui complète cette collection Tinto Brass chez l’éditeur. Le Voyeur était déjà sorti en DVD en 2008 chez Tiffany, puis en 2013 chez Bach films. Le menu principal est animé et musical.

Pour cette édition, Jean-François Rauger a de nouveau répondu présent, pour nous présenter Le Voyeur (14’). Ce dernier se souvient d’abord de sa découverte de cet opus de Tinto Brass au marché du film à Cannes, alors que les films du cinéaste n’étaient plus vraiment distribués en France. Rauger s’exprime sur la genèse du Voyeur, l’adaptation du roman d’Alberto Moravia, évoque le contexte politique de l’Italie d’alors (la fin du règne de la démocratie chrétienne), les thèmes du livre original, les références freudiennes, la transposition personnelle de Tinto Brass, le voyeurisme dans son œuvre, le casting, la représentation crue des scènes de sexe (dont celle avec le cigare, qui annonce étrangement l’affaire Clinton-Lewinski) et d’autres sujets qui replacent idéalement Le Voyeur dans la carrière du maître italien.

L’éditeur reprend l’intervention de Christophe Bier, déjà disponible sur l’ancienne édition Bach Films (12’). L’expert en la matière déclare d’emblée « qu’il est difficile de faire court, quand on évoque Tinto Brass, tant le bonhomme est passionnant et attachant, d’autant plus que Le Voyeur est digne de tous les éloges ». Il replace ensuite le film dans la carrière du cinéaste, alors que le cinéma érotique est quasi-mort, même si Le Voyeur s’intègre encore parfaitement et de façon cohérente dans le genre. Toutes les obsessions du réalisateur sont évoquées, à l’instar de la théâtralisation de l’espace, le flirt avec la pornographie, l’utilisation des miroirs…L’adaptation du roman d’Alberto Moravia, ainsi que le casting (comme nous, Christophe Bier semble avoir un net penchant pour Cristina Garavaglia) sont aussi abordés.

Tout ceci est complété par l’intervention de Tinto Brass lui-même, enregistrée en 2007 (23’). Le maître se livre sur l’origine du Voyeur, son adaptation, ses liens avec Alberto Moravia, les difficultés rencontrées pour cette transposition après la mort de l’écrivain (ses deux femmes détenaient alors les droits et défendaient la cause féministe…), le thème cher à son coeur du voyeurisme, ses partis-pris esthétiques, ses références à Alfred Hitchcock, le casting, la scène du cigare, la musique de Riz Ortolani…Après tout cela, Tinto Brass nous présente Angelita Franco, qui allait tenir le premier rôle d’un de ses courts-métrages, intitulé Kick the Cock.

L’Image et le son
Bon…Sidonis Calysta a pu récupérer Le Voyeur et nous félicitons l’éditeur pour cela. Maintenant, en ce qui concerne la qualité du master…joker ! On a souvent l’impression que la copie est directement tirée d’une VHS ou tout du moins d’un ancien transfert DVD, qui aurait sensiblement amélioré. Des tâches demeurent, la gestion des contrastes est totalement aléatoire, le piqué émoussé, les blancs souvent cramés, la texture argentique préservée, mais parfois étonnamment lissée, les flous ne sont pas rares…Notons aussi des griffures…et d’autres pétouilles…vous l’aurez compris, le résultat est donc médiocre, pour ne pas dire mauvais sur une poignée de scènes, comme celle où Dodo se retrouve au cinéma avec Silvia, sans doute la plus abîmée du lot.

Le Voyeur est proposé en français et en italien. La première piste dispose d’un doublage plutôt réussi, même si misant aussi trop souvent sur le report des voix au détriment des effets annexes. Au jeu des comparaisons, la version italienne s’en sort mieux. Fluide et dynamique, en dépit de couacs, comme des grésillements. Le confort acoustique est néanmoins acceptable.



Crédits images : © Sidonis Calysta / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr