Test Blu-ray / Le Journal d’une femme de chambre, réalisé par Jean Renoir

LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE (The Diary of a Chambermaid) réalisé par Jean Renoir, disponible en Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre le 24 août 2021 chez Sidonis Calysta.

Acteurs : Paulette Goddard, Burgess Meredith, Hurd Hatfield, Francis Lederer, Judith Anderson, Florence Bates, Irene Ryan, Reginald Owen…

Scénario : Burgess Meredith, André Heuzé, André de Lorde & Thielly Norès, d’après le roman d’Octave Mirbeau

Photographie : Lucien N. Andriot

Musique : Michel Michelet

Durée : 1h27

Date de sortie initiale: 1946

LE FILM

En Normandie, à la fin du XIXe siècle. Célestine, une jeune et jolie femme de chambre, débarque de Paris pour se mettre au service des Lanlaire, une famille bourgeoise et conservatrice qui ne lui compte pas les humiliations. Madame Lanlaire, qui ne vit que pour son fils Georges, malade et dépressif, pousse la jeune femme dans les bras de celui-ci. Mais cette liaison est fragile, d’autant plus que Célestine, soucieuse de se ranger, est également convoitée par Joseph, l’inquiétant valet qui prend plaisir à faire souffrir les oies qu’il tue, et le capitaine Mauger, un voisin primesautier. Joseph finit par entraîner la soubrette dans ses sinistres projets…

En janvier 1941, Jean Renoir (1894-1979) débarque aux Etats-Unis et s’installe en Californie, où il parvient à signer un contrat avec la Fox. Mais cela ne va pas être le rêve américain pour le réalisateur et la vie à Hollywood encore moins chose facile. Il démarre sa carrière US avec L’Étang tragique Swamp Water, avec Walter Brennan et Anne Baxter, dont le tournage sera surveillé par la production, qui lui impose des prises de vue en studio, là où le cinéaste pensait profiter des extérieurs comme il en avait l’habitude. C’est un échec commercial. Dans Vivre libre This Land is Mine, il dirige Charles Laughton, son témoin à son mariage, ainsi que la sublime Maureen O’Hara, qui obtient un Oscar en 1943. Avec L’Homme du sud The Southerner, Jean Renoir, qui a pour assistant un certain Robert Aldrich, se rapproche par ses thèmes abordés d’un John Ford et obtient le Prix du meilleur film à la Biennale de Venise en 1946, ainsi qu’une nomination à l’Oscar du meilleur réalisateur. La même année, il décide d’adapter enfin Le Journal d’une femme de chambre, roman d’Octave Mirbeau paru en 1900, projet de longue date et qu’il peut concrétiser grâce au soutien financier de ses deux amis Paulette Goddard et Burgess Meredith, alors époux à la ville. Grâce à cette liberté, Jean Renoir signera ce qui apparaît sans doute comme son œuvre américaine la plus libre, la plus proche de lui et la plus représentative de son univers. Même s’il prend beaucoup de libertés avec le livre original, le réalisateur ponctue son film de moments tragi-comiques succulents, en fustigeant les bassesses de la bourgeoisie et l’arrivisme exacerbé des petites gens, notamment du personnage principal, merveilleusement incarné par Paulette Goddard, au sommet de son talent de sa beauté.

La Normandie au début du siècle. Célestine (Paulette Goddard), une femme de chambre, arrive de Paris dans la petite ville normande de Le Mesnil, son douzième déménagement en deux ans. Un grand gaillard peu amène (Francis Lederer), l’attend à la gare. Il exige ses références et l’inspecte avec hauteur. Il inspecte aussi la fille de cuisine, Louise (Irene Ryan), bien moins jolie, qu’il renvoie sèchement à Paris. Célestine, outrée, comprend que cet homme méprisant n’est que le valet des Lanlaire, ses nouveaux patrons. Elle lui signifie que s’il ne prend pas Louise avec elle, elle repartira sur Paris. Vaincu, Joseph ramène en carriole les deux employées au domaine des Lanlaire. Célestine est bien décidée à renoncer à l’amour et à épouser le premier homme riche qu’elle rencontrera pour la sortir de sa condition de femme de chambre. Pendant que Louise s’affaire avec la cuisinière, Marianne (Almira Sessions), survient M. Lanlaire (Reginald Owen) qui revient de la chasse. Bonhomme, celui-ci part toujours sans cartouche et apprécie les gâteaux de Marianne. Lorsque Célestine survient, elle le prend pour le jardinier et rigole sur le dos des maîtres avec lui. Charles rit aussi avant que ne survienne sa femme, la stricte madame Lanlaire (Judith Anderson) qui inspecte Célestine et la trouve à son goût. Elle souhaite l’appeler Marie comme toutes ses femmes de chambre. Célestine refuse. Pour l’impressionner, Joseph la conduit à la cave où est entreposée l’argenterie en or des Lanlaire dont lui seul avec sa patronne possède la clé. L’argenterie ne sort qu’une fois par an, au 14 juillet, pour servir à la cérémonie de résistance à la république. Célestine remarque une tabatière incrustée de rubis et, lorsqu’elle, voit Charles Lanlaire occupé de ses roses essaie de se la faire offrir par lui. Charles est dérangé dans sa tentative de séduction par le capitaine Mauger (Burgess Meredith, crédité comme scénariste et producteur) qui, par-dessus le mur, envoie des pierres pour casser les vitres de ses châssis. Pendant qu’il part chercher son fusil, Mauger courtise Louise toute en mangeant des fleurs, garantes dit-il de son éternelle jeunesse. Il la prévient aussi que le fils Lanlaire, Georges, est un monstre. Célestine comprend que Charles Lanlaire n’a aucune fortune personnelle, que tout appartient à sa femme et abandonne donc l’idée de le séduire, préférant concentrer ses espoirs sur le capitaine Mauger. Quand elle se rend chez lui, Mauger lui propose d’abandonner Rose (Florence Bates), sa servante et maîtresse, pour partir avec elle à Paris en emportant les 25 000 francs qu’il cache dans sa chambre. Joseph, qui observait Célestine depuis le jardin des Lanlaire, lui reproche son escapade. En colère, elle lui révèle le trésor caché du capitaine. Un télégramme annonce l’arrivée de Georges (Hurd Hatfield). C’est le branle-bas de combat dans la demeure, nettoyée de fond en comble. Mme Lanlaire fait essayer à Célestine une tenue de femme de chambre stylée venue de Paris et exige qu’elle se coiffe comme sur une gravure de mode. Le soir, Georges salue froidement sa mère et un peu plus chaleureusement son père. Au matin, lorsque Célestine vient lui apporter le champagne, il est séduit par son charme mais la renvoie quand il comprend qu’elle est aux ordres de sa mère. Celle-ci ordonne à Célestine d’accompagner Georges, dépressif et poitrinaire, dans ses promenades quotidiennes et une idylle naît entre eux. Un jour de repos où Célestine est descendue au village spécialement pour voir Georges, celui-ci l’entraîne sous l’arbre aux vœux qui est censé servir d’engagement pour un futur mariage. Georges se contente de souhaiter qu’elle se marie un jour…

Célestine, my diary…

Jean Renoir semble délester d’un poids sur ce Journal d’une femme de chambre The Diary of Chambermaid, une transposition pourtant beaucoup moins connue et célébrée que celle de l’espagnol Luis Buñuel en 1964, avec Jeanne Moreau, Georges Géret et Michel Piccoli. Si effectivement la version de 1946 est infidèle au roman d’Octave Mirbeau (et aussi inspirée par la pièce d’André Heuzé, André de Lorde et Mme Thielly-Norès créée en 1931), celle-ci ne manque sûrement pas de qualités. La mise en scène est particulièrement stylisée avec de longs plans réalisés à la grue qui demeurent aujourd’hui toujours aussi impressionnants, surtout quand Jean Renoir filme la foule (comme il est le seul à savoir le faire) comme une masse disparate et pourtant unie. La photographie de Lucien Andriot (Bird of Paradise de King Vidor, J’avais cinq fils de Lloyd Bacon, Le Démon de la chair d’Edgar George Ulmer) rend compte du crépuscule qui s’abat petit à petit sur Célestine et les autres personnages, passant de la clarté absolue et innocente, à l’ombre et la noirceur symboliques des desseins qui animent certains protagonistes dans la dernière partie. La Normandie reconstituée en studio n’a rien de réaliste, mais appuie finalement l’aspect conte ou fable du récit, une théâtralité volontaire qui s’épanouit à travers ces partis-pris.

No more love for Célestine !

Certes, un cinéphile français tiquera toujours devant un film américain qui adapte en langue anglaise une œuvre hexagonale, où les personnages s’expriment dans la langue de Shakespeare, tout en glissant quelques mots dans celle de Molière. Mais comme Jean Renoir se moque ici de tout réalisme, cela passe aisément et ce grâce à la présence extraordinaire de Paulette Goddard, qui venait alors d’obtenir une nomination pour l’oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour Les Anges de miséricorde So Proudly We Hail ! de Mark Sandrich, film consacré aux infirmières de la Seconde Guerre mondiale. Lumineuse, volcanique et à fleur de peau, la comédienne livre une grande prestation et même si partenaires s’avèrent tout aussi impeccables, en particulier Francis Lederer dans le rôle de l’ambigu Joseph, on ne voit qu’elle durant ces 90 minutes où le metteur en scène n’a de cesse de la mettre en valeur, comme s’il était lui-même hypnotisé par son charme, son énergie et sa virtuosité.

Si le passionné de littérature aura sans doute du mal avec le final du film de Jean Renoir, il serait dommage de snober cet opus soigné, suprêmement élégant et raffiné, drôle, cynique et ironique, mais aussi inquiétant, brutal et surtout très critique, où tout le monde en prend pour son grade. Une spécialité du cinéaste qui retrouvait ici un second souffle inespéré, bien qu’éphémère dans sa période américaine.

LE DIGIBOOK

Le Journal d’une femme de chambre était le dernier long-métrage américain de Jean Renoir à n’avoir jamais connu les honneurs d’une édition en DVD ou Blu-ray en France. C’est désormais chose faite grâce à Sidonis Calysta, qui à cette occasion a concocté une Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre de Pascal Mérigeau, avec la participation de Charlotte Garson, critique aux Cahiers du Cinéma (76 pages) du plus bel effet. Le menu principal de l’édition HD est animé et musical.

On pensait avoir fait nos adieux à l’immense Bertrand Tavernier. Mais ce dernier – disparu en mars 2021 – est immortel, la preuve en vidéo, puisqu’il nous présente ici Le Journal d’une femme de chambre, « le deuxième film américain de Jean Renoir le plus intéressant avec L’Homme du sud », ajoutant en parlant de ce dernier « malgré l’interprétation déplorable de Beulah Bondi et dont on se demande encore aujourd’hui comment Jean Renoir a pu laisser faire cela ». Quarante minutes à passer en compagnie de Tatav, cela ne se refuse évidemment pas, surtout que le réalisateur et historien du cinéma signait ici une très grande intervention, en prévenant d’emblée « que lorsqu’on évoque la carrière américaine de Jean Renoir, on avance en terrain miné, en raison de l’interprétation délirante dite auteuriste qui fausse toutes perceptions réelles de ses oeuvres ». Vous voilà prévenus. Bertrand Tavernier aborde donc de long en large cette œuvre mal considérée, « d’un des plus grands cinéastes du monde, dont les films ont bouleversé et influencé le cinéma », ainsi que sa propre existence ajoute-t-il. Il y parle du livre « magistral » de Pascal Mérigeau consacré à Jean Renoir (sorti en 2012 aux Éditions Flammarion), dissèque la carrière américaine du réalisateur («paralysée par son incapacité à parler et à comprendre l’anglais »), passe en revue les points négatifs du Journal d’une femme de chambre (l’interprétation survoltée de Burgess Meredith dans la première partie, Renoir étant peu à l’aise avec ce personnage, « auquel il ne parvient pas à insuffler la moindre chair et épaisseur, et qu’il transforme finalement en pantin »), même s’il relativise ce point en évoquant la dernière partie. Puis, Bertrand Tavernier en vient aux qualités du film de Jean Renoir, « qui contient certaines scènes les plus abouties de toute son oeuvre », à l’instar du premier quart d’heure d’exposition et la seconde partie, sans oublier l’interprétation de Paulette Goddard (« vive, ambiguë, charnelle, d’une beauté extraordinaire »), la photographie et la présence de Francis Lederer. Enfin, Bertrand Tavernier parle du dénouement optimiste, des autres adaptations de l’oeuvre de Mirbeau (Luis Buñuel en 1964, Benoît Jacquot en 2015), mais indique que celle de Jean Renoir apparaît comme étant la plus féministe du lot.

La plupart des arguments avancés par Bertrand Tavernier dans le module précédent sont repris dans l’intervention de Jean-François Rauger (37’). Le critique et directeur de la programmation à la Cinémathèque française replace Le Journal d’une femme de chambre dans la carrière de Jean Renoir, son quatrième long-métrage américain, le roman d’Octave Mirbeau (« un brûlot anti-bourgeois »), les thèmes du livre et donc repris par le cinéaste dans son film, les conditions de production, le casting, les partis-pris (« de l’artificialité ») et les intentions de Jean Renoir, l’accueil critique et les différences avec la version de Luis Buñuel.

Le dernier supplément, non des moindres, est un documentaire intitulé Jean Renoir en Amérique, réalisé en 1993 par David M. Thompson, qui fait suite à Jean Renoir, de la Belle Époque à la Seconde Guerre mondiale. Ce film démarre dès l’arrivée du cinéaste à Hollywood et donne la parole à de multiples intervenants, à l’instar de Françoise Arnoul, Bernardo Bertolucci, Peter Bogdanovich, Leslie Caron, Claude Chabrol, Adrienne Corri, Hurd Hatfield, Norman Lloyd, Louis Malle, Burgess Meredith, Pierre Olaf, Alain Renoir, Catherine Rouvel, Bertrand Tavernier, Orson Welles, sans oublier Jean Renoir lui-même, la plupart du temps en anglais dans le texte. A travers de multiples images d’archives, des films personnels, d’autres filmées sur divers tournages, ce film passe en revue les œuvres de Jean Renoir – souvent illustrées par des extraits – réalisées en Amérique, mais aussi les principaux épisodes de sa vie, ses déboires avec les studios, jusqu’à son retour en France et la fin de sa carrière.

L’Image et le son

La copie présentée par Sidonis Calysta est lumineuse, peut-être trop parfois, tandis que la gestion des contrastes est très souvent aléatoire, tout comme la définition et le piqué parfois émoussé. Si l’ensemble est propre, des poussières diverses et variées, ainsi que des rayures verticales (comme à la 32e minute) et des décrochages sur les fondus demeurent constatables tout du long. Mais le master est stable, la texture argentique conservée et équilibrée et le Blu-ray permet de (re)découvrir Le Journal d’une femme de chambre dans de très bonnes conditions. Blu-ray au format 1080p.

Évitez la version française, au doublage très appuyé et aux voix d’ailleurs étouffées. Ceci d’autant plus que cette piste est incomplète, certaines séquences n’ayant visiblement jamais été doublées et passant directement en VOSTF. La version originale s’en sort bien mieux avec des dialogues clairs et distincts, ainsi que par des effets annexes concrets, qui disparaissent souvent quand on passe en VF. Notons tout de même la présence d’un souffle chronique sur la VO. Les sous-titres ne sont pas imposés.

Crédits images : © Sidonis Calysta / MGM / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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