LE GRAND AMOUR DU COMTE DRACULA (El Gran amor del conde Drácula) réalisé par Javier Aguirre, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Paul Naschy, Rosanna Yanni, Haydée Politoff, Mirta Miller, Ingrid Garbo, Víctor Barrera, José Manuel Martín, Julia Peña…
Scénario : Paul Naschy, Javier Aguirre & Alberto S. Insúa
Photographie : Raúl Pérez Cubero
Musique : Carmelo A. Bernaola
Durée : 1h23
Date de sortie initiale : 1973
LE FILM
Vers la fin du XIXe siècle, dans la Carpate orientale, en Roumanie – Après avoir traversé le col de Borgo, un carrosse perd une roue ; les chevaux, effrayés, tuent accidentellement le cocher avant de s’enfuir. Les cinq passagers, quatre femmes (Senta, Karen, Elke et Marlene) et un homme (Imre Polvi), se retrouvent isolés en pleine forêt. Imre convainc les passagères de se diriger vers un ancien sanatorium, afin de trouver de l’aide.
Jacinto Molina, plus connu son nom d’artiste Paul Naschy (1934-2009), ancien haltérophile et catcheur de renom, est fasciné par le cinéma de genre et voue un culte aux films de momies, de vampires, de savants fous et autres créatures mythiques ayant fait le bonheur des studios Universal dans les années 30-40. Il décide de devenir comédien puis en vient à écrire des histoires d’épouvante. Sans le savoir, il vient de créer un nouveau courant au sein d’une production cinématographique espagnole sur le déclin, au point d’en devenir une véritable figure emblématique grâce au succès inattendu des Vampires du Dr Dracula – La Marca del Hombre lobo en 1968, qui lance alors l’Age d’or du cinéma fantastique ibérique. Il y incarne le Comte loup-garou Waldemar Daninsky dont il reprendra le costume et les prothèses velues dans une douzaine de longs-métrages jusqu’en 2004. En 1972, Paul Naschy incarne une nouvelle « créature », un être difforme, un bossu, dans une relecture horrifique de Notre-Dame de Paris et de Frankenstein intitulée justement Le Bossu de la morgue – El Jorobado de la Morgue. Réalisée par Javier Aguirre, cette oeuvre grand-guignolesque demeure réjouissante et inquiétante à plus d’un titre puisque le cinéaste et le casting ne reculent devant rien pour créer l’effroi auprès des spectateurs avides de sang. La même année, toujours sous la direction de Javier Aguirre (et avec le même compositeur, scénariste, producteur, monteur, décorateur…), Paul Naschy revêt le costume de Dracula dans Le Grand Amour du comte Dracula – El Gran amor del conde Drácula, à ne pas confondre avec Dracula contre Frankenstein (1970) ou L’Empreinte de Dracula – El Retorno de Walpurgis (1973), également portés par l’acteur. Cette fois encore, Paul Naschy s’en donne à coeur joie, du moins autant que son charisme limité lui permet, dans ce rôle mythique dont il s’acquitte honorablement (son côté énigmatique et mystérieux va d’ailleurs exciter l’une de ses invitées), mais comme d’habitude sans se forcer. Néanmoins, le film aborde le célèbre comte sous l’angle romantique, puisque l’amour qu’il porte à une femme causera tout simplement sa perte. Généreux en scènes sanglantes et en donzelles dénudées (le saphisme est aussi présent), Le Grand Amour du comte Dracula est un savoureux spectacle qui fonctionne aussi bien dans l’horreur que du point de vue dramatique.
Leur carrosse ayant subi un accident, cinq voyageurs, dont quatre femmes, cherchent asile dans un hôpital abandonné dans le voisinage du château du comte Dracula. Un homme qui se présente comme médecin les accueille et leur offre de passer la nuit dans des chambres aménagées. Un après l’autre, les visiteurs subissent l’attaque de vampires et sont eux-mêmes transformés en morts-vivants sauf la plus jeune, Karin, dont le mystérieux docteur, qui n’est autre que Dracula, s’est épris. Bien qu’elle se soit prise d’un sentiment affectueux pour son hôte, Karin refuse d’avoir part à ses rites vampiriques.
S’il était indéniablement limité par son physique quelconque, Paul Naschy était génial dans son genre, car too much et surtout toujours sincère quand il s’agissait de faire ressortir la tristesse de son personnage, à l’instar du Bossu de la morgue, quand celui-ci subissait les humiliations et les brimades de son entourage, ou lorsqu’il déclarait son amour à une femme qu’il avait toujours aimée. Le Grand amour du comte Dracula peut se voir comme un best of du genre avec ses décors baroques très réussis, ses dents acérées perçant la chair tendre des cous mis à disposition des créatures de la nuit, sans oublier les belles comédiennes, dont les poitrines fièrement dressées sont souvent exposées à la caméra et donc à l’oeil des spectateurs émus par le spectacle.
On retiendra bien sûr la participation de la belle Haydée Politoff, révélée par Eric Rohmer dans La Collectionneuse (1966), vue depuis dans Les Jeunes Loups de Marcel Carné et Les Sorcières du bord du lac – Il Delitto del diavolo de Tonino Cervi. Le reste de la distribution est tout aussi soigné avec entre autres les belles Rosanna Yanni (déjà présente dans Le Bossu de la morgue et Les Vampires du docteur Dracula) et Mirta Miller (Cría cuervos…, Chats rouges dans un labyrinthe de verre), le solide Víctor Barrera (Dans les replis de la chair), la tronche impayable et indispensable de José Manuel Martín (La Mort marche en talons hauts, Dieu pardonne, moi pas, Un Pistolet pour Ringo, Viridiana). Du beau monde, élégamment dirigés par Javier Aguirre, qui s’avère beaucoup plus sobre et crédible derrière la caméra que pour Le Bossu de la morgue, bordel formel aussi décomplexé que grotesque.
De plus, la photo stylisée de Raúl Pérez Cubero est superbe, le cadre soigné, les maquillages réussis et l’ambiance particulièrement anxiogène avec une bonne réutilisation des codes (certains diront les clichés) du genre. Alors certes le rythme est poussif, nous sommes ici en plein kitsch avec le jeu parfois outré de ses acteurs, mais Le Grand Amour du comte Dracula est fort attachant dans ses défauts et maladresses et ne cesse de subjuguer par le sérieux de cette entreprise, ainsi que par le soin tout particulier apporté à la mise en scène, à la mise en valeur des jolies petites nénettes et la représentation du légendaire vampire l’on croyait réservée aux gros studios. C’est très bavard, trop sans doute (surtout les scènes d’exposition où l’histoire du sanatorium et la carrière du Dr. Wendell Marlow nous sont contées), les plans sur la pleine lune abondent sans véritable raison, mais c’est très chouette.
LE BLU-RAY
Cela faisait un bon bout de temps que Paul Naschy n’était pas revenu dans les bacs français ! Dix piges après les éditions DVD du Bossu de la morgue, Dracula contre Frankenstein et Les Vampires du Dr Dracula chez Artus Films, Le Grand amour du comte Dracula débarque en Haute-Définition chez Le Chat qui fume. Une galette Blu-ray limitée à 1000 exemplaires, harnachée dans un beau boîtier Scanavo, magnifiquement illustré. Le menu principal est animé et musical.
En plus de la bande-annonce, Le Chat qui fume propose une présentation du Grand amour du comte Dracula par Christophe Lemaire (27’). Présentation oui et non, étant donné que le sieur en question a confondu avec un autre film (La Saga de los Dracula en l’occurrence) et s’est rendu compte trop tard qu’il n’avait pas vu celui qui nous intéresse aujourd’hui. Qu’à cela ne tienne, le journaliste belge donne comme il le peut (avec son humour et son énergie habituels) des indications sur El Gran amor del conde Drácula, mais plus en réalité sur sa tête d’affiche, Paul Naschy, sur sa carrière, sur son amour pour le cinéma d’épouvante, tout en indiquant l’avoir croisé à plusieurs reprises (dont une première fois dans les toilettes d’un festival). Un bonus pas forcément passionnant, mais qui repose avant tout sur la tchatche de son intervenant et qui se clôt sur une petite archive vidéo sympathique où l’on voit Christophe Lemaire en compagnie de Paul Naschy.
L’Image et le son
Le Chat qui fume reprend purement et simplement le même master HD (vraisemblablement restauré 2K) du Grand amour du comte Dracula sorti outre-Atlantique chez Vinegar Syndrome en 2016. Une copie non dénuée de défauts, avec des raccords de montage, des rayures, des plans abîmés et flous (voir la promenade en forêt à la 36è minute), mais qui s’avère plutôt impressionnante du point de vue des détails sur les décors, les maquillages et les effets sanglants. L’ensemble est stable, les contrastes sont plaisants et denses, les noirs concis, la palette chromatique riche et variée (belle présence des teintes primaires), la texture argentique préservée, organique, équilibrée. Blu-ray au format 1080p.
Le film de Javier Aguirre est présenté en version espagnole DTS-HD Master Audio 2.0. Le confort acoustique est aléatoire, suffisant, mais marqué par des craquements et des dialogues grinçants. Les échanges manquent souvent de punch et un très léger souffle se fait entendre. La délivrance de la musique est dynamique.