LE FLEUVE DE LA DERNIÈRE CHANCE (Smoke Signal) réalisé par Jerry Hopper, disponible en DVD et Combo Blu-ray + DVD le 7 avril 2022 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Dana Andrews, Piper Laurie, Rex Reason, William Talman, Milburn Stone, Douglas Spencer, Gordon Jones, William Schallert.…
Scénario : George F. Slavin & George W. George
Photographie : Clifford Stine
Musique : Henry Mancini
Durée : 1h28
Date de sortie initiale: 1955
LE FILM
Commandés par le capitaine Harper, des soldats américains fuient, par le fleuve, le fort assiégé par les Utes, très supérieurs en nombre et qui attendent le renfort des tribus sioux. Parmi les Blancs se trouvent Laura, fille du major Evans, mort au combat et un prisonnier, Halliday. Ce dernier est un ancien officier qui a vécu longtemps chez les Utes. Tandis qu’Evans était partisan de la guerre, Halliday voulait sceller la paix. Lors des engagements, il s’est trouvé du côté indien et a dès lors été considéré comme un traître, un meurtrier et un déserteur.
Jerry Hopper (1907-1988), voilà un réalisateur méconnu. Certains cinéphiles se souviennent peut-être du Triomphe de Buffalo Bill – Pony Express (1953) avec Charlton Heston et Rhonda Fleming. La cinquantaine se profilant à l’horizon, le cinéaste met les bouchées doubles et parvient à livrer quatre films en 1955, Le Fleuve de la dernière chance – Smoke Signal, La Guerre privée du major Benson – The Private War of Major Benson, La Jungle des hommes – The Square Jungle avec Tony Curtis, et Son seul amour – One Desire avec Rock Hudson. Avant de consacrer le reste de sa vie à la télévision à travers moult épisodes de séries télévisées diverses et variées (L’Homme à la carabine, Les Incorruptibles, La Grande Caravane, Perry Mason, Gunsmoke, La Famille Addams, Le Fugitif, Le Virginien…), Jerry Hopper renoue donc avec le western avec Le Fleuve de la dernière chance, formidable opus, excellemment mis en scène, qui certes pâtit de l’usage de transparences, mais qui fait oublier ce stratagème avec un récit riche en rebondissements, en gunfights, en action, des personnages à la psychologie bien fouillée et complexe, élégamment campés par Dana Andrews et la magnifique Piper Laurie.
1852. Le capitaine Harper découvre, en arrivant au fort, que le commandant de celui-ci a été tué. Il quitte le fort avec quelques hommes, la jeune Laura Evans, fille du commandant, et Brett Halliday, accusé d’avoir déserté pour rejoindre les indiens Utes. Hallyday tente vainement de se justifier en déclarant à Harper, qui le déteste, que sa volonté était d’empêcher un bain de sang entre les indiens et les soldats. Il conseille à Harper de fuir en barque, ce que l’officier finit par accepter. Le trajet est périlleux, car les Utes sont toujours en train de guetter leurs adversaires. Halliday révèle à plusieurs reprises son courage et Laura comprend qu’il avait bien agi. Ford devient jaloux de Halliday et tente de le tuer.
Le Fleuve de la dernière chance est autant un western qu’un film d’aventure. Tourné dans un Technicolor flamboyant, photographié par le grand chef opérateur Clifford Stine (Qui donc a vu ma belle ? et No Room for the Groom de Douglas Sirk, L’Homme aux mille visages de Joseph Pevney, Un hold-up extraordinaire de Ronald Neame), Smoke Signal part déjà avec de solides atouts dans sa musette. Filmé quasi-intégralement dans l’Utah, un peu dans l’Arizona, puis dans les studios californiens d’Universal pour les séquences où les acteurs ont été filmés dans des barques supposées descendre les rapides du fleuve Colorado, le film de Jerry Hopper profite justement de cet extraordinaire décor, le Grand Canyon du Colorado, connue – comme nous l’indique un panneau en introduction – pour être l’un des fleuves les plus dangereux du monde. C’est sur ces flots mouvementés que nous allons suivre l’échappée de soldats, dirigés par le Capitaine Harper (William Talman, vu dans Armored Car Robbery de Richard Fleischer), qui doivent non seulement faire face à leurs ennemis à plumes qui n’ont pas renoncé à les traquer, mais aussi surveiller leur prisonnier Brett Halliday, officier de cavalerie accusé de trahison par ses anciens frères d’armes, après avoir trouvé refuge chez ses amis indiens. Quand ceux-ci attaquent le fort où il est jeté en prison après avoir été capturé, Halliday conseille aux survivants de s’enfuir par la seule issue possible : l’impétueux fleuve Colorado. Si le commandant de la garnison s’y refuse avant d’être à son tour tué, son successeur, le capitaine Harper, accepte.
Brett Halliday, c’est le comédien Dana Andrews (1909-1992), quelque peu oublié de nos jours. Pourtant, il s’agit d’une des filmographies les plus imposantes du cinéma hollywoodien des années 1940-60, où l’on trouve des œuvres aussi inoubliables que La Route au tabac – Tobacco Road de John Ford, L’Étrange Incident – The Ox-Bow Incident de William Wellman, Laura d’Otto Preminger, Les Plus Belles Années de notre vie – The Best Years of Our Lives de William Wyler, La Cinquième Victime – While the City Sleeps et L’Invraisemblable Vérité – Beyond a Reasonable Doubt de Fritz Lang et Rendez-vous avec la peur – Night of the Demon de Jacques Tourneur et bien d’autres. Visage fermé, regard dur qui contraste avec une évidente sensibilité, l’acteur est impeccable et tient le film sur ses épaules. Il donne la réplique à la délicieuse, talentueuse et lumineuse Piper Laurie, vedette d’Universal, précédemment vue chez Douglas Sirk, Kurt Neumann et Nathan Juran et George Sherman, l’une des plus belles actrices de la décennie, qui crève l’écran une fois de plus ici. Au milieu de ce couple tente de s’immiscer le Lieutenant Wayne Ford, incarné par Rex Reason, qui lui aussi aura su marquer les cinéphiles dans La Créature est parmi nous et La Proie des hommes de John Sherwood, Les Survivants de l’infini de Joseph M. Newman et Taza, fils de Cochise de Douglas Sirk.
Un an après Robert Mitchum et Marilyn Monroe dans Rivière sans retour – River of No Return d’Otto Preminger, notre casting s’agite devant des toiles neutres, sur lesquelles seront ensuite incrustées des images filmées sur les eaux agitées. Mais tout ce beau petit monde le fait bien et les effets visuels sont réussis. Sans aucun temps mort, mais avec un vrai sourire aux lèvres, on se laisse emporter avec grand plaisir par le courant de ce Fleuve de la dernière chance bercé par le très beau score du maestro Henry Mancini.
LE BLU-RAY
Huit ans après une première édition en DVD sortie sous les couleurs de Filmedia, Le Fleuve de la dernière chance revient en édition Standard ainsi que pour la première fois en Blu-ray en France, en intégrant la collection Silver de Sidonis Calysta. Le menu principal est animé et musical.
Patrick Brion présente Le Fleuve de la dernière chance, en commençant par dresser un panorama du western en 1955, année faste du genre, durant laquelle sortira notamment trois films d’Anthony Mann, Je suis un aventurier, L’Homme de la plaine et La Charge des tuniques bleues, mais aussi Le Bandit d’Edgar George Ulmer, L’Homme qui n’a pas d’étoile de King Vidor…Le film de Jerry Hopper (dont l’historien du cinéma dresse rapidement le portrait et retrace sa carrière) ne rivalise évidemment pas avec ces références, mais n’en demeure pas moins intéressant. Les conditions et les lieux de tournage, les partis-pris, le casting, la psychologie des personnages sont abordés ici par Patrick Brion, très heureux de parler de ce film « qui n’est pas n’importe quoi et qui est très bien fait ! » (9’).
Ce dernier propose ensuite un portrait du comédien Dana Andrews (14’). Écrit et narré par Patrick Brion lui-même, ce document – composé de photographies, d’extraits et de bandes-annonces divers – dresse la liste des réalisateurs de renom avec lequel l’acteur a tourné, en mettant en valeur les qualités de son jeu, tout en évoquant les grandes parties de sa vie personnelle et de sa « superbe carrière sous-estimée ».
Belle analyse et bonne présentation également du côté de Jean-François Giré (8’), qui revient de son côté sur la carrière de Jerry Hopper. Le spécialiste du western met en valeur les qualités du Fleuve de la dernière chance (« un film intéressant, original, avec un vrai sens de l’espace et un rythme sans aucun temps mort »), son excellente exploitation des décors naturels, l’originalité du récit, ainsi que le casting mené par Dana Andrews.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Ce Blu-ray – au format 1080p – du Fleuve de la dernière chance ne déçoit pas et profite plutôt bien de l’apport de la Haute-Définition. Le cadre n’est pas avare en détails (copie open matte 1.33:1), le piqué est joliment acéré, et malgré divers plans plus altérés, notamment ceux repris en post-production où les comédiens ont tourné sur transparence, ainsi que de sensibles décrochages chromatiques (mais pas sur les fondus enchaînés). La copie demeure assez flatteuse et stable (en dépit d’une scène floue à 1h01), le Technicolor retrouve une certaine vivacité (même si l’alignement des trois couleurs est parfois déséquilibré), la profondeur de champ est acceptable, le grain cinéma est conservé et les contrastes à l’avenant. Quelques plans apparaissent plus défraîchis mais l’ensemble est d’un beau niveau et l’on redécouvre avec bonheur le film de Jerry Hopper.
La version originale est largement supérieure à la piste française, marquée par un souffle parasite et des craquements récurrents. Les ambiances sont très correctes en anglais, alors qu’elles se font parfois plus discrètes, pour ne pas dire feutrées sur l’autre piste. Le doublage français est très réussi, avec Jacques Thébault, Gilberte Aubry, Roger Rudel et Maurice Dorléac à la barre. Les sous-titres français ne sont pas imposés.