LE DERNIER ROUND (Battling Butler) réalisé par Buster Keaton, disponible le 16 juin 2020 en DVD et Combo Blu-ray+DVD chez Elephant Films.
Acteurs : Buster Keaton, Snitz Edwards, Sally O’Neil, Walter James, Budd Fine, Francis McDonald, Mary O’Brien, Tom Wilson, Eddie Borden…
Scénario : Lex Neal, Charles Henry Smith, Paul Girard Smith, Al Boasberg d’après la pièce de théâtre de Stanley Brightman et Austin Melford
Photographie : Bert Haines, Devereaux Jennings
Musique : Robert Israel (1995)
Durée : 1h17
Année de sortie : 1926
LE FILM
En vacances à la montagne, le milliardaire Alfred Butler s’éprend d’une jeune fille qui l’ignore pourtant royalement. Compatissant, son valet prend alors l’initiative de faire passer son maître pour un grand champion de boxe auprès de la bien-aimée. Le subterfuge fonctionne tellement bien qu’Alfred doit désormais se glisser dans la peau du boxeur Battling Butler. Pris au piège, il va devoir faire face à son premier combat…
Le Dernier Round (1926), étonnamment plus connu sous son titre original Battling Butler, n’est pas le plus célèbre des films de Buster Keaton, mais doit sa renommée grâce à l’investissement du comédien dans les scènes de boxe. A l’instar de son confrère (et ami) Charles Chaplin, Buster Keaton enfile les gants dans Le Dernier Round, puisqu’il se retrouve entraîné dans divers quiproquos, en raison d’un champion de boxe qui porte le même nom que lui, et sur le point d’être catapulté sur le ring pour prouver à sa belle qu’il n’est pas un lâche. Ce septième long métrage de l’acteur, réalisateur et cascadeur, d’une durée de 75 minutes, tient le choc, non pas pour ses gags, présents, mais pas aussi hilarants qu’à l’accoutumée, mais du fait de sa mise en scène absolument remarquable, sa fluidité narrative, sa beauté plastique et son rythme soutenu. Le Dernier Round ne possède pas le même statut que d’autres œuvres de Buster Keaton, comme Les Fiancées en folie – Seven Chances, sorti l’année précédente, mais connaîtra tout de même un très large succès, qui permettra au cinéaste de tourner l’un de ses plus grands chefs d’oeuvre tout de suite après, Le Mécano de la « General » – The General.
Alfred Butler est un jeune homme riche, excessivement gâté et oisif et totalement dépendant de son valet de chambre Martin, qui lui tient sa cigarette quand il fume, lui lisse ses mèches de cheveux et va même jusqu’à penser à sa place. Le père d’Alfred espère lui forger un caractère en l’envoyant à la chasse, mais Alfred a sa propre conception de l’aventure : même dans la nature, il est constamment assisté par Martin et ne renonce à aucune commodité du confort moderne. Cependant il tombe amoureux d’une fille de la montagne et, comme on s’en doute, la famille de la jeune fille considère dubitativement ce citadin gringalet et ses habitudes domestiques : il s’habille pour le déjeuner, n’utilise que des couverts en argent et des verres en cristal sans parler bien sur de son fidèle valet qui le sert à table. Aussi pour les impressionner, Martin, leur raconte qu’Alfred n’est autre que le prétendant au titre de champion du monde de boxe poids léger, qui se trouve avoir en effet le même nom que lui. Obligé de faire perdurer le mensonge pour plaire à la fille, Alfred se rend au camp d’entraînement où le véritable Battling Butler se prépare à affronter le « Tueur de l’Alabama ». Ayant découvert l’imposture, Battling Butler fait semblant de s’en accommoder, mais, en réalité, il a l’intention de se venger car il pense, à tort, qu’Alfred a eu une aventure avec sa femme. Le combat approche, Alfred va-t-il aller jusqu’au bout et apparaître devant le Tueur de l’Alabama, ou dire toute la vérité à celle qu’il aime au risque de la perdre ?
Buster Keaton ne cesse d’enchaîner les tournages. Sur tous les fronts, aussi bien pour ses courts que pour ses longs métrages, il est alors au sommet de sa carrière et de son succès quand il entreprend Le Dernier Round. Sur un scénario inspiré d’une comédie musicale de Stanley Brightman et Austin Melford, Battling Butler est un des films les plus élégants de Buster Keaton. Si ce dernier subjugue une fois de plus par son jeu et la maîtrise totale de son art, il est ici solidement épaulé par de nombreux comédiens, parmi lesquels se distingue surtout Snitz Edwards, qui incarne le valet d’Alfred. Très présent à l’écran, puisqu’il interprète comme qui dirait l’ombre de son maître, l’acteur d’origine hongroise, était déjà apparu dans Les Fiancées en folie en 1925 et venait de jouer dans Le Voleur de Bagdad de Rupert Julian aux côtés de Lon Chaney. Sa trogne reconnaissable et surtout son immense talent participent à la réussite du Dernier Round.
Battling Butler enchaîne les morceaux de bravoure, comme la partie de chasse et de pêche où Alfred démontre toute son inaptitude, le dîner « romantique » avec la fille de la montagne, l’entraînement d’Alfred (ou comment un sportif accompli comme Buster Keaton joue le jeune homme incapable de courir plus de dix mètres) et le combat final, aussi inattendu que brutal, moins burlesque qu’attendu, qui se déroule dans le vestiaire. Toutefois, les matchs de boxe du Dernier Round n’ont pas laissé un souvenir impérissable, contrairement à ceux de Charles Chaplin dans Charlot boxeur (1915) et plus tard dans Les Lumières de la ville (1931). Ce qui n’empêche pas ces scènes sportives d’être excellemment filmées et qui seront d’ailleurs louées par Martin Scorsese, qui dira que les matchs de boxe de Battling Butler sont probablement les meilleurs vus au cinéma. Ce qui n’est évidemment pas un mince compliment pour le réalisateur de Raging Bull (1980) et participe à la réhabilitation de ce désormais classique, longtemps oublié dans la filmographie de Buster Keaton.
LE BLU-RAY
Le Dernier Round est le troisième et ultime titre de la dernière vague d’Elephant Films consacrée à Buster Keaton. Après nos chroniques de Sherlock Junior et La Croisière du Navigator, voici donc celle de Battling Butler. Le film est disponible en DVD et en combo Blu-ray+DVD. La jaquette proposée par l’éditeur est réversible avec le visuel de l’affiche originale. Le menu principal est fixe et musical.
Comme sur les deux précédents titres chroniqués, l’éditeur donne la parole à Nachiketas Wignesan, qui enseigne l’Histoire du cinéma et l’Analyse de films à l’Université de Paris III et Paris I, ainsi que dans des écoles de cinéma (17’30’). L’invité d’Elephant Films replace Le Dernier Round dans la carrière de Buster Keaton, avant d’analyser certaines séquences du film qui nous intéresse aujourd’hui. Une présentation pointue et intelligente, qui permettra à beaucoup de redécouvrir les œuvres de Buster Keaton sous un nouvel angle.
L’interactivité se clôt sur quelques notes concernant la restauration et diverses bandes-annonces.
L’Image et le son
Pour la restauration du Dernier Round, 13 éléments ont été inspectés et analysés. Huit d’entre eux, de la Cohen Film Collection et de la Cinémathèque Royale de Belgique ont été numérisés. Le positif de première génération de la Cinémathèque n’a finalement pas été utilisé. Quatre éléments ont été retenus, dont le négatif original. Pour l’’étalonnage, une impression d’époque ambrée pour référence a été utilisée. Le choix a été confirmé par les informations récoltées sur les négatifs originaux. Les cartons ont été réédités pour correspondre à l’impression d’époque. La restauration a été effectuée par le laboratoire de l’Immagine Ritrovata et achevée en juin 2017. Ne soyez donc pas étonnés de l’alternance entre les séquences dorées, qui représentent les scènes diurnes, et les séquences en N&B (très gris acier, limite bleu), qui caractérisent les scènes de nuit ou sombres. La propreté est irréprochable (à l’exception d’un plan moucheté de salissures à la 41è minute), la stabilité de mise, le piqué acéré. Superbe master restauré 4K.
Le spectateur a le choix entre une piste 2.0 et 5.1. Cette dernière propose une écoute plus étendue de la composition de Robert Israel. Il ne s’agit pas d’une réelle spatialisation, mais plutôt d’un bonus acoustique agréable. Toujours est-il que le confort est également assuré par la version 2.0 qui suffit amplement au Dernier Round. Les intertitres anglais sont évidemment sous-titrés en français.