Test Blu-ray / La Croisière du Navigator, réalisé par Buster Keaton

LA CROISIÈRE DU NAVIGATOR (The Navigator) réalisé par Buster Keaton, disponible le 16 juin 2020 en DVD et Combo Blu-ray+DVD chez Elephant Films.

Acteurs : Buster Keaton, Kathryn McGuire, Frederick Vroom…

Scénario : Clyde Bruckman, Jean C. Havez, Joseph A. Mitchell

Photographie : Byron Houck, Elgin Lessley

Musique : Robert Israel (2015)

Durée : 1h05

Année de sortie : 1924

LE FILM

Un couple loufoque composé de Rollo Treadway, un aristocrate fainéant, et de la roturière Betsy se retrouve seul à bord d’un navire à la dérive alors que la demoiselle a récemment écarté une demande en mariage du jeune homme. Dès lors, ils s’organisent pour survivre loin de leurs domestiques et du confort, enchaînant les situations rocambolesques jusqu’à jeter l’ancre près des côtes d’une île pas si déserte qu’elle n’y paraît.

En 1924, la même année que Sherlock Junior, Buster Keaton crée l’événement avec La Croisière du NavigatorThe Navigator, film qui fera de lui une véritable star et qui fera notamment un carton auprès des jeunes spectateurs. Même ceux qui ne sont pas forcément des grands passionnés du comédien, ont forcément déjà vu cette célèbre photographie, qui d’ailleurs n’est pas tirée du film, où Buster Keaton, arborant un uniforme de matelot, observe l’horizon à la jumelle, le corps souple et semblant défier les lois de la gravitation. C’est dire la portée de La Croisière du Navigator ! S’il ne s’agit pas de la plus grande comédie du cinéaste, le film de Buster Keaton, mêlant humour, burlesque et aventures reste un savoureux tour de force presque un siècle après sa sortie, où l’acteur se démène une fois de plus et livre quelques numéros impressionnants d’acrobatie dont lui seul avait le secret.

Rollo Treadway a fait préparer tous les détails de son voyage de noces, mais il lui manque un élément important… il n’a pas encore demandé Patsy O’Brien en mariage ! Après le refus catégorique de la jeune femme, Rollo décide alors de partir seul en croisière. La veille du départ il s’installe tranquillement dans sa cabine, mais à son réveil, pas un seul membre de l’équipage à bord du Nagivator, à la dérive au milieu de l’océan. Le hasard jouant souvent des tours, il va finir par rencontrer le seul autre passager… la jeune Patsy ! Ils vont alors tenter de s’organiser dans ce navire bien trop grand pour eux en attendant d’être secouru, mais nos jeunes amis ne sont pas au bout de leurs surprises !

Une fois n’est pas coutume, Buster Keaton interprète un jeune homme de bonne famille. Du pain béni pour l’acteur âgé de 29 ans, puisqu’il en profite pour égratigner les fils à papa qui n’ont jamais rien fait de leurs dix doigts et qui utilisent la voiture (avec chauffeur évidemment) pour traverser la rue. La Croisière du Navigator c’est comme qui dirait un récit d’émancipation, mais aussi une éducation sentimentale, comme un roman français du XIXè revisité et trituré par le biais de l’humour. Au fil de cette croisière inattendue, c’est surtout le chemin parcouru par Rollo qui nous intéresse. Alors que le personnage est incapable de se faire cuire un œuf, celui-ci sera bien forcé d’apprendre à s’en sortir seul, même si le destin les a réunis lui et la femme qu’il convoitait. Par ailleurs, cette dernière, qui répond au doux nom de Patsy (Kathryn McGuire, peu épargnée elle aussi par les éléments naturels), n’est pas mieux lotie que lui. Rollo n’est pas allé loin pour la dénicher, puisqu’il s’agit de sa voisine. De là à croire que Rollo, qui décide de se marier un beau matin après avoir aperçu de sa fenêtre un couple d’amoureux dans la rue, est allé chercher le coeur de la première venue…mais le film ne s’attarde pas sur ce point. La Croisière du Navigator dresse le portrait de deux inadaptés, qui se sont contentés d’avoir des gens à leur service depuis leur plus tendre enfance, sans jamais chercher à comprendre la vie et ses rouages.

La Croisière du Navigator est ce qu’on pourrait appeler un sea-movie, un road-movie en pleine mer quoi, les protagonistes évoluant malgré-eux dans cette prison forcée. Les jours passent, les habitudes se prennent dès le lever. Rollo et Patsy cohabitent, sans forcément vivre ensemble une histoire d’amour, même si leurs ombres semblent évoquer le contraire, et devront faire preuve de courage quand leur bagne flottant s’égare au large des côtes d’une île peuplée de cannibales, qui vont très vite s’en prendre à leur énorme embarcation.

Buster Keaton est parfait dans le rôle du riche héritier insouciant, paresseux et oisif, qui deviendra un homme, et même un aventurier, capable de transformer une cuisine rudimentaire, lieu qui lui était cauchemardesque à son arrivée, en habitation moderne digne d’un architecte, à partir de poulies, de leviers et de ficelles ingénieusement disposées, offrant le meilleur confort à ses habitants. La Croisière du Navigator regorge de scènes cultes, comme celle de la réparation de l’hélice, obligeant Rollo à plonger en scaphandre. Les gags s’enchaînent sur un rythme toujours soutenu, les intertitres sont rares, les situations offrent à Buster Keaton -véritablement déchaîné malgré son visage de pierre – l’occasion de réaliser quelques prouesses physiques hallucinantes. Sa mise en scène, cosignée avec Donald Crisp ne cesse d’impressionner, surtout en ce qui concerne les scènes aquatiques, tout simplement fabuleuses, et la chorégraphie des gags visuels, à l’instar de la longue poursuite sur le pont entre Rollo et Patsy au moment de leur embarcation, ou du tableau accroché derrière le hublot.

Alors même s’il n’atteint pas l’immense réussite de Sherlock Junior ou du Mécano de la « General », pour ne citer que ceux-là, La Croisière du Navigator demeure un grand classique indispensable et intemporel, pour les petits et pour les grands.

LE BLU-RAY

Après Les Fiancées en folie, édité en janvier 2019, Elephant Films revient à Buster Keaton en concoctant trois éditions DVD+Blu-ray (ou uniquement en DVD) de Sherlock Junior, La Croisière du Navigator et Le Dernier Round. Le combo est très élégant et la jaquette réversible propose l’affiche originale en guise de visuel. Le menu principal est fixe et musical.

L’éditeur donne la parole à Nachiketas Wignesan, qui enseigne l’Histoire du cinéma et l’Analyse de films à l’Université de Paris III et Paris I, ainsi que dans des écoles de cinéma (26’). L’invité d’Elephant Films replace La Croisière du Navigator dans la carrière de Buster Keaton (son quatrième long métrage et après plus d’une trentaine de courts-métrages), avant d’analyser certaines séquences du film – « avec lequel Buster Keaton trouve un ton, un genre et un style personnels qui vont le différencier de ses confrères » – qui nous intéresse aujourd’hui. Une présentation pointue et intelligente, qui permettra à beaucoup de redécouvrir les œuvres de Buster Keaton sous un nouvel angle. Enfin, Nachiketas Wignesan revient sur l’immense succès du film.

L’interactivité se clôt sur quelques notes concernant la restauration et diverses bandes-annonces.

L’Image et le son

Le projet Keaton a été lancé en 2015 par la Cineteca di Bologna et Cohen Film Collection, afin de restaurer les films de Buster Keaton entre 1920 et 1928. Ici, dix éléments ont été inspectés et analysés. Six d’entre eux de la Cohen Film Collection et un du Centre national du cinéma et de l’image animée ont été numérisés et comparés. Un positif de secours de troisième génération de la Cohen Film Collection a finalement été sélectionné pour la restauration de La Croisière du Navigator et scanné en 4K. La restauration a été effectuée par le laboratoire de l’Immagine Ritrovata et achevée en juin 2017. Comme l’indique un carton, la version proposée ici comporte des images additionnelles délibérément ajoutées lors de la restauration, afin de rendre le film exploitable en vidéo, dans la mesure où les films muets étaient tournés dans des vitesses d’image non standards. Ce master présente donc une duplication d’image (une toutes les secondes), selon la volonté de la Cohen Film Collection. Les musiques ont d’ailleurs été composées et synchronisées sur cette version. Du jargon technique, mais soyez rassurés, cela ne se ressent pas à l’écran. La propreté de l’image est tout simplement ébouriffante, même si diverses rayures verticales subsistent, mais pour une œuvre qui a près d’un siècle, l’ensemble est miraculeux. Les contrastes sont plutôt concis, les blancs parfois un peu brûlés certes, mais nous n’avions jamais vu La Croisière du Navigator dans de telles conditions. Les scènes aquatiques sont un peu plus problématiques avec un piqué moins acéré, mais la définition reste de haut niveau, même si moindre que pour Sherlock Junior si l’on doit comparer les deux éditions HD.

Le spectateur a le choix entre une piste 2.0 et 5.1. Cette dernière propose une écoute plus étendue de la composition de Robert Israel, enregistrée en 1995. Il ne s’agit pas d’une réelle spatialisation, mais plutôt d’un bonus acoustique agréable. Toujours est-il que le confort est également assuré par la version 2.0 qui suffit amplement à La Croisière du Navigator. Les intertitres anglais sont évidemment sous-titrés en français.

Crédits images : © Elephant Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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