LE CHAT réalisé par Pierre Granier-Deferre, disponible en édition Digibook – Blu-ray + DVD + Livret le 4 décembre 2020 chez Coin de Mire Cinéma.
Acteurs : Jean Gabin, Simone Signoret, Annie Cordy, Jacques Rispal, Yves Barsacq, Nicole Desailly, Harry-Max, André Rouyer…
Scénario : Pascal Jardin & Pierre Granier-Deferre, d’après le roman de Georges Simenon
Photographie : Walter Wottitz
Musique : Philippe Sarde
Durée : 1h24
Date de sortie initiale : 1971
LE FILM
Dans leur petit pavillon de banlieue épargné par la démolition, un vieux couple sans enfants se déchire. Lui, Julien Bouin, ouvrier à la retraite, ne l’aime plus, elle, Clémence Bouin, ancienne trapéziste qui a dû abandonner sa carrière suite à une chute. Lorsque Julien recueille un chat à qui il donne toute son affection, la jalousie commence à s’emparer de Clémence.
C’est un chef d’oeuvre d’une noirceur inégalée dans le cinéma français. Le Chat, réalisé par Pierre Granier-Deferre demeure une des plus grandes références du drame psychologique et sans doute le meilleur film du réalisateur. Immédiatement après La Horse (2,1 millions d’entrées), le cinéaste est quelque peu poussé par son scénariste Pascal Jardin pour enchaîner immédiatement après avec l’adaptation du roman éponyme de Georges Simenon, Le Chat (publié en 1967). Ils parviennent à convaincre Jean Gabin de participer à ce projet. S’il était tout d’abord réticent, le comédien considérera ce long-métrage comme son meilleur film de l’après-guerre, qui lui vaudra d’ailleurs l’Ours d’argent du meilleur acteur au Festival de Berlin, récompense qu’il avait déjà obtenu en 1959 pour le mythique Archimède le clochard, et qu’il partagera d’ailleurs avec sa partenaire à l’écran, l’immense Simone Signoret. Le Chat est un film extrêmement difficile, redoutable, vachard, percutant et surtout bouleversant, dans lequel deux êtres qui se sont aimés, n’arrivent même plus ou à peine à se regarder. Comme du sel versé sur une plaie, Le Chat fait mal, physiquement avec certaines séquences et répliques qui agissent comme un direct à l’estomac, mais aussi à l’âme avec ces deux monstres que l’on a aimés séparément au cinéma et que l’on aurait voulu sans doute se voir s’aimer à l’écran, qui s’affrontent durement pendant un peu plus d’une heure vingt est une expérience que l’on pourrait qualifier de traumatisante. Si ce huis clos affiche un demi-siècle au compteur, il n’a absolument rien perdu de son fiel et prend encore le spectateur à la gorge.
Un couple de retraités, les Bouin, habite en banlieue parisienne (à Courbevoie) dans les années 1970, en plein bouleversement du fait des travaux d’urbanisme moderne d’alors. Julien Bouin est un ancien ouvrier typographe ; sa femme, Clémence Bouin, est une ancienne trapéziste de cirque dont la carrière s’est terminée trop tôt en raison d’une chute lors d’un spectacle. Ils n’ont jamais eu d’enfants. Après vingt-cinq ans de mariage, les sentiments du couple se sont désagrégés avec le temps, les deux vivant maintenant dans leur pavillon de banlieue, avec pour seule forme de communication des notes occasionnelles laissées sur des bouts de papier. Dans cette atmosphère pesante de cohabitation, désormais plus forcée que souhaitée, ni l’un ni l’autre ne désire quitter la maison qui va bientôt être détruite pour laisser la place aux grands ensembles, en construction dans le quartier. Lorsque Julien recueille un chat errant auquel il voue toute son affection, la jalousie de Clémence atteint un paroxysme et devient de la haine. C’est une guerre silencieuse, âpre et implacable, qui se joue autour de ce chat.
Si tu voyais ta gueule, t’es pas belle à voir ! Tu dégringoles de plus en plus tous les jours !
Comment un couple qui s’est marié et aimé passionnément il y a vingt-cinq ans a pu devenir ainsi ? Comment un homme et une femme qui se sont longuement regardés droit dans les yeux avec désir ont-ils pu finir par s’épier mutuellement, vivant dans le silence ? On aurait trop vite fait de dire qu’il s’agit de la vieillesse, ou de la peur qu’elle engendre mutant en frustrations, puis en haine de l’autre, qui était devenu son reflet. Dans Le Chat, Pierre Granier-Deferre ne répond pas à ces questions de façon explicite. Quelques flashbacks dévoilent divers instantanés de la jeunesse de Julien et Clémence, qui se sont donné l’un à l’autre au bord de l’eau, plein de vie et d’insouciance, mais c’est tout. Aucun enfant n’est né de cette union. Tant pis ou tant mieux ? Julien en veut-il à Clémence ? Alors que le quartier qu’ils habitent est en train de s’effondrer définitivement, que les bulldozers et les grues s’acharnent quasiment 24 heures sur 24, le couple Bouin arrive également au bout et leurs dernières fondations sont sur le point de s’écrouler tout autant. Le cinéaste profite pleinement de la mutation complète de la ville de Courbevoie, pour plonger son couple star dans un décor quasi-fantastique où les vieilles bâtisses et boutiques qui s’effritent côtoient les HLM (que l’on voyait déjà apparaître dans Mélodie en sous-sol et Rue des prairies) et les tours modernes de la Défense, qui apparaissent presque comme des monstres qui grignotent petit à petit le paysage, voué à disparaître, en balayant tout, y compris les habitants.
Vieille vache ! VIEILLE VACHE !
Au bout d’une voie sans issue, la maison des Bouin n’est plus que le fantôme de ce qu’elle était jadis, quand la fenêtre de la chambre s’ouvrait sur une ville accueillante et chaleureuse. Désormais, ce pavillon est devenu suintant, triste, glacial. A 21 heures, Clémence s’installe en face de Julien, posé dans son fauteuil, pour faire son tricot, tandis que son époux accueille son chat Greffier, qu’il appelle « mon pépère », sur ses genoux en lui faisant des compliments. Si Julien a quelque chose à dire à Clémence, il lui écrit sur un morceau de papier, qu’il plie et lui envoie d’une pichenette. Puis, les deux montent l’un après l’autre se coucher, dans la même chambre, mais pas dans le même lit. Tandis que des réminiscences s’immiscent dans leurs sommeils respectifs…
Décidément, nous deux c’est insoluble !
Le quotidien est ainsi réglé chez les Bouin, jusqu’au jour où Clémence, n’en pouvant plus de l’affection que porte Julien à son chat, franchit le point de non-retour et tue la bête après avoir tenté dans un premier temps de l’abandonner. Ou quand l’incommunicabilité engendre la hargne et la rancune. Pourtant, Pierre Granier-Deferre montre que de l’amour subsiste bel et bien chez ce couple. Le coeur de Julien s’exprime à travers la tendresse qu’il a pour son chat, tandis que celui de Clémence est meurtri par ce transfert inexpliqué. Quand la mort du chat sépare momentanément le couple, Julien, qui a trouvé refuge chez une ancienne maîtresse (géniale Annie Cordy) dans un hôtel dont elle est la propriétaire, il ne peut s’empêcher de s’inquiéter pour Clémence, qui apparaît d’ailleurs sur le trottoir, sous la fenêtre de sa chambre, en espérant qu’il l’ouvre ou tire les rideaux. S’ils ne se le disent pas, ou plus, car on peut très bien imaginer qu’ils se sont dit ces mots un jour, ils ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre. Chose amusante en passant, certains remarqueront l’album d’Astérix en vente dans une vitrine, il s’agit de La Zizanie, qui n’a pas été posé là exprès puisque cette aventure du petit Gaulois est sortie en juin 1970 !
Comme le disait Jean Gabin après avoir découvert le scénario la première fois « C’est pas gai… ». Non, Le Chat n’est pas une gaudriole et pourtant, sous cette apparente austérité, renforcée par la photographie ouatée du chef opérateur Walter Wottitz et la composition toujours virtuose de Philippe Sarde, le récit est foudroyant de tristesse et bouleverse à jamais le spectateur, qui ne se remettra probablement jamais cette expérience. A sa sortie, Le Chat attire difficilement un million de spectateurs, soit deux fois moins que La Horse, mais devient rapidement un film culte, dont la qualité n’a cessé d’être loué dans le monde entier.
LE DIGIBOOK
Vous avez vu ? Nous n’avons pas chômé puisque nous voici déjà rendu au quatrième titre de la nouvelle vague Coin de Mire Cinéma ! Si vous n’avez pas suivi nos dernières chroniques (honte à vous !), nous ne saurons que trop vous conseiller de vous reporter immédiatement sur nos derniers articles consacrés aux éditions Digibook Blu-ray + DVD + Livret de La Veuve Couderc, Le Jardinier d’Argenteuil et Le Soleil des voyous, avant de lire celle-ci, centrée sur Le Chat de Pierre Granier-Deferre, en attendant de voir apparaître prochainement celles sur Le Mouton à 5 pattes (1954) de Henri Verneuil et La Chartreuse de Parme (1948) de Christian-Jaque, qui boucleront cette salve Coin de Mire Cinéma du mois de décembre. Le Chat avait déjà connu plusieurs vies (presque sept en fait) chez Studiocanal, avec un premier DVD édité en 2003 dans la collection Contemporain Studio, puis en 2004 dans la collection Jean Gabin, en 2006 dans celle de Simone Signoret, en 2009 dans la collection RTL, puis en 2010 à nouveau dans la collection Simone Signoret avec un nouveau visuel. Le Chat est désormais intégré au catalogue de Coin de Mire Cinéma, dans la collection « La Séance », dont le Digibook est édité à 3000 exemplaires.
Comme pour tous les titres Coin de Mire Cinéma, l’édition du Chat prend la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm), constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de cette édition contient également la bio-filmographie de Pierre Granier-Deferre avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, la reproduction en fac similé des matériels publicitaires et promotionnels, ainsi que celle d’un article de Les Veillées des chaumières. Le menu principal est fixe et musical.
Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores.
Vous avez pris place dans votre cinéma préféré ? Alors nous démarrons notre séance par le journal des actualités de la 16è semaine de l’année 1971 (9’35), avec tout d’abord avec un reportage sur Benjamin Mendoza, artiste-peintre surréaliste bolivien, tristement célèbre pour avoir tenté d’assassiner le pape Paul VI à Manille le 27 novembre 1970, qui s’exprime ici sur son acte « j’ai voulu tenter le coup pour tous les peuples du monde ». Il sera expulsé vers la Bolivie en 1974. Ce document est suivi d’un reportage sur les cent ans de la Commune de Paris et la construction de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. Gros plan ensuite sur la présentation à Port Grimaud de la dernière née de chez Volkswagen, la K70. Ce journal se clôt sur le portrait de Gabriel Loire (dans ses ateliers de Chartres), peintre et maître-verrier, connu pour les nombreux vitraux qu’il a exécutés à travers le monde, pour lesquels il utilisait aussi bien la méthode traditionnelle au plomb, que celle plus moderne à partir du béton.
Il vous reste très peu de temps avant que le film ne démarre, mais avant cela, que diriez-vous de quelques gâteaux Bahlsen (des Choco-Rosi par exemple ?), des caramels Dupont d’Isigny, ou une glace Motta peut-être ? Heureusement que les réclames sont là pour vous le rappeler ! (9’). Sinon, vous pourrez vous imaginer au volant de la Simca 1301 (à la place de Mario David), ou vous rendre au buffet campagnard (gratuit) des Galeries Barbès, en train de déguster un verre de Dubonnet, ou emportant quelques petits fours dans les poches de votre imperméable Cyclone, avant d’aller fouiner dans les rayons de la Samaritaine en compagnie du comédien Roger Riffard. Vous reconnaîtrez aussi Josiane Balasko et Marie-Anne Chazel, âgées de 20 ans, dans une publicité pour Eram.
Comme sur l’édition Digibook de La Veuve Couderc, Coin de Mire Cinéma reprend cette fois encore l’interview de Pierre Granier-Deferre (43’), disponible sur l’ancienne édition Studiocanal du Chat et réalisée en 2003. Comme il en avait l’habitude, le réalisateur enchaîne les anecdotes de production et du tournage, pour le plus grand bonheur des cinéphiles. Pierre Granier-Deferre indique que c’est le scénariste Pascal Jardin qui lui a amené le projet, tandis qu’il aurait bien voulu « se reposer sur ses lauriers après le succès de La Horse ». Il avoue aussi « avoir eu un peu peur du sujet » et était « même un peu réticent », avant de se laisser convaincre en pensant déjà au casting. Quelques archives dévoilent le tournage du Chat, avec quelques propos des deux monstres sacrés (« Faut une bonne histoire » dit Jean Gabin) et des images du metteur en scène à l’oeuvre avec ses deux têtes d’affiche. Les thèmes du film, la psychologie des personnages, l’adaptation du roman de Georges Simenon, l’entente entre les deux acteurs sont passés au peigne fin, ainsi que les quelques réticences de Jean Gabin à la lecture du scénario. Le réalisateur explique aussi qu’il a eu beaucoup de mal à engager Simone Signoret, alors qu’on lui proposait toutes les comédiennes possibles et imaginables pendant six mois. Les producteurs étaient en réalité frileux à l’idée d’engager l’actrice de Casque d’or, car on lui imputait « l’échec » commercial (1,4 millions d’entrées) de L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville. Il aura finalement suffi d’un seul coup de téléphone de Jean Gabin pour l’imposer à ses côtés. Pierre Granier-Deferre évoque aussi pêle-mêle ses collaborations avec Pascal Jardin, ainsi que leurs méthodes de travail, puis se confie un peu sur sa vie privée, avant d’en revenir à ses intentions et partis-pris concernant Le Chat. Une superbe interview.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Le Chat a été restauré HD à partir du négatif original, par Studiocanal, avec la participation du CNC. Et cela n’a pas dû être simple si l’on tient compte de la photographie diffuse et brumeuse du chef opérateur Walter Wottitz, qui fait la part belle aux images cotonneuses liées à l’hiver de l’année 1970, surtout que les quelques flashbacks affichent aussi une image encore plus éthérée. Il n’empêche que ce Blu-ray contentera à la fois les puristes, qui tiennent à conserver la patine originale des films qu’ils aiment, et ceux qui espèrent une cure de jouvence technique. Le Chat s’impose comme une réussite des deux côtés, puisqu’on y retrouve un grain cinéma assez imposant, surtout sur les scènes en extérieur, mais aussi une stabilité et une propreté indéniables, ainsi que des couleurs rafraîchies (sauf dans le pavillon où tout y est lugubre) et une nouvelle clarté bienvenue.
La piste DTS-HD Master Audio Mono est de fort bon acabit, distillant ses répliques vachardes avec fermeté et une belle restitution de la superbe composition de Philippe Sarde. La sirène qui ouvre le film est particulièrement stridente et instaure d’emblée un malaise. L’éditeur joint les sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants.
Une réflexion sur « Test Blu-ray / Le Chat, réalisé par Pierre Granier-Deferre »