L’AUTRE FEMME réalisé par François Villiers, disponible en Blu-ray le 13 mars 2024 chez Gaumont.
Acteurs : Annie Girardot, Francisco Rabal, Alida Valli, Richard Johnson, Hella Petri, Antonio Casas, Cándida Losada, Ana Mariscal, Sancho Gracia…
Scénario : Rémo Forlani, Paul Gégauff, Jacques Sigurd & François Villiers, d’après le roman de Luisa-María Linares
Photographie : Manuel Berenguer & Cecilio Paniagua
Musique : Georges Delerue
Durée : 1h26
Date de sortie initiale : 1964
LE FILM
Agnès, une jeune décoratrice d’intérieur, arrive dans une petite île espagnole pour réaménager la maison d’un certain Zaylor située à l’Enseralda, un village isolé. Sur le chemin, elle rencontre Daniel, un homme qui provoque l’hostilité des gens qui l’entourent.
L’Autre femme, rien à voir avec la célèbre chanson éponyme de Michel Sardou « Petit duplex au Sacré-Cœur, Et le complexe du bonheur… », mais il s’agit d’un film réalisé par François Villiers (1920-2009). Ce dernier, même si ses travaux n’ont pas vraiment marqué l’esprit des cinéphiles, aura connu son heure de gloire à la télévision avec la mythique série Les Chevaliers du ciel, pour laquelle il mettra en scène une trentaine d’épisodes, soit les trois-quarts de l’adaptation de la bande dessinée Les Aventures de Tanguy et Laverdure. Tout d’abord documentariste, François Villiers s’essaye à la fiction à la fin des années 1940 avec Hans le marin (où il dirige son frère Jean-Pierre Aumont), mais attendra une dizaine d’années pour s’y consacrer pleinement. Il enchaînera alors L’Eau vive (1958, Golden Globe du meilleur film étranger) avec Pascale Audret, La Verte moisson (1959) avec Pierre Dux et Dany Saval, Pierrot la tendresse (1960) avec Michel Simon et Claude Brasseur…L’Autre femme, son huitième long-métrage sort sur les écrans en 1964 et offre la tête d’affiche à Annie Girardot, en pleine ascension, surtout depuis sa rencontre avec Luchino Visconti, avec lequel elle collabore au théâtre (Deux sur la balançoire) et au cinéma (Rocco et ses frères). Désormais très courtisée par les cinéastes venus des deux côtés des Alpes (Alexandre Astruc, Marco Ferreri, Jean Delannoy, Denys de La Patellière, Roger Vadim, Mario Monicelli), Annie Girardot tourne donc L’Autre femme en Espagne, transposition d’un roman de Luisa-María Linares, d’après un scénario coécrit par Rémo Forlani (La Bande à Bonnot, Tintin et le mystère de la toison d’or, Tintin et les oranges bleues), Paul Gégauff (La Vallée, More, Que la bête meure, Plein soleil), Jacques Sigurd (L’Air de Paris, La Vierge du Rhin, Du mouron pour les petits oiseaux) et François Villiers lui-même. À mi-chemin entre le néoréalisme italien et la Nouvelle vague française, L’Autre femme est à la fois un drame passionnel et une série noire, où une jeune décoratrice française, qui vient de rompre avec son fiancé, débarque sur une île perdue au large de l’Espagne, où elle fera malgré-elle une enquête concernant la culpabilité (ou non) d’un homme mystérieux, accusé d’avoir tué sa compagne, même si son corps n’a jamais été retrouvé. L’Autre femme est assurément une découverte et pour ainsi dire une superbe porte d’entrée dans le cinéma de son auteur, qui donne sérieusement envie de creuser sa filmographie.
Agnès est une jeune Française, déroutée et déprimée par une peine de coeur. Etait-elle mariée ou simplement fiancée, on ne sait ? Elle arrive dans une petite île espagnole en méditerranée où elle doit redécorer la maison d’un certain Zaylor, à proximité d’un petit village où villégiaturent de riches et oisifs étrangers. Dans l’autocar qui la mène au village, elle remarque sur la route un homme qui provoque l’hostilité des gens qui l’entourent. Elle le retrouve ensuite dans l’abri où elle a dû se réfugier à cause d’un orage. Cet homme, Daniel, lui indique le chemin de « l’Enscralda del sol », terme de son voyage, et lui désigne la tour où il vit en haut d’une colline, « Lighthouse ». A « l’Enseralda » où elle arrive, Agnès trouve une pensionnaire inattendue, Annabel, à la beauté trouble et provoquante. Les gardiens de la maison l’accueillent avec une certaine hostilité qui lui rappelle celle qu’elle a rencontrée dans l’autocar… Elle apprend d’eux qu’on soupçonne Dani…
Autour d’Annie Girardot, impériale, ses partenaires viennent de tous les coins d’Europe. L’espagnol Francisco Rabal (Sorcerer, Les Longs jours de la vengeance, La Religieuse, L’Éclipse), l’italienne Alida Valli (Suspiria, Inferno, La Petite sœur du diable, Les Yeux sans visage) et le britannique Richard Johnson (Le Continent des hommes poissons, L’Enfer des zombies, Jules César, Khartoum) témoignent bien sûr de la coproduction qui régnait alors dans l’industrie cinématographique. Tout ce beau petit monde brille devant la caméra très inspirée de François Villiers, qui soigne chaque plan et met en relief la beauté des paysages naturels d’Águilas, lieu principal du tournage et par ailleurs ville natale de Francisco Rabal, enfant du pays, dont la présence aurait facilité les prises de vue. Sur une musique flamenco, le réalisateur ouvre son film et paume aussi bien le spectateur que son personnage principal, au milieu de nulle part. Une mise en scène heurtée, des plans capturés sur le vif, volés peut-être, reflètent déjà les tourments d’Agnès, la jeune trentaine, qui débarque sans véritablement savoir où aller.
Si elle est là, c’est que sa vie parisienne a volé en éclats et qu’elle tente de laisser loin derrière ses déboires sentimentaux. Agnès est présente pour le travail, c’est une opportunité. Mais les diverses personnes qu’elle croise et rencontre lui font comprendre qu’elle n’est pas vraiment la bienvenue. Seul l’étrange Daniel paraît prendre le temps de la connaître. Agnès va vite se rendre compte que ce quasi-ermite est soupçonné d’avoir tué sa femme, même si l’enquête n’a pas pu prouver ce que pense l’ensemble de la population, tandis que Daniel déclare que sa femme est partie avec un autre homme. Là-dessus, Agnès se rapproche doucement de Daniel, tandis que Ricardo, le playboy du coin, devient de plus en plus insistant à son égard, tout en la mettant en garde contre Daniel.
Annie Girardot est évidemment sublime dans le rôle d’Agnès, qui a rejeté le côté mondain et l’intelligentsia de la capitale, pour revenir à l’essentiel, se retrouver, en rejetant celles et ceux qui se mettraient en travers de son chemin et de sa quête de nouvelle indépendance. Il se dégage une grande sensualité des images de L’Autre femme, doublement photographié par Manuel Berenguer (La Nuit des diables, Quand la Terre s’entr’ouvrira) et Cecilio Paniagua (La Maison de l’exorcisme, Lisa et le diable, Les Charognards), dont les partis-pris stylisés trouvent le parfait équilibre entre le drame dit réaliste et le thriller qui prend de plus en plus de place au fil du récit, tout comme la relation entre Agnès et Daniel, soutenue par l’entêtante partition du maître Georges Delerue.
À sa sortie, L’Autre femme est fraîchement accueillie par la critique et n’emballera guère les spectateurs. Ce film magnifique est désormais disponible en Haute-Définition et permettra aux passionnés de cinéma de le découvrir dans les meilleures conditions, ce qui espérons-le lui permettra de connaître une seconde vie, ce que L’Autre femme mérite amplement.
LE BLU-RAY
L’Autre femme n’avait jusqu’à présent jamais connu les honneurs d’une sortie en DVD. C’est désormais chose faite, ainsi qu’en Blu-ray dans la collection Gaumont habituelle, présenté à moins de 15 euros dans les bacs. Le menu principal est fixe et muet.
Gaumont propose une intervention inédite de Jean Villiers, producteur (Espion(s)) et fils du réalisateur François Villiers (24’), qui s’entretient un temps en visioconférence avec Laurent Grousset, ancien assistant sur L’Autre femme et Les Chevaliers du ciel. Les deux hommes parlent de leur collaboration et Laurent Grousset ne tarit pas d’éloges sur l’homme et l’artiste qu’était François Villiers, sur lequel il revient toujours avec une immense émotion. Les conditions de tournage de L’Autre femme sont évoquées, ainsi que le casting, les partis-pris esthétiques, les lieux de prises de vue, le tout parsemé de souvenirs personnels. La carrière de François Villiers et la psychologie des personnages sont aussi les sujets abordés.
L’Image et le son
Il y a certains éditeurs qui devraient en prendre de la graine. Gaumont nous permet de voir ou revoir L’Autre femme dans une copie exceptionnelle. Avec ce Blu-ray au format respecté, on en prend plein les yeux dès le générique d’ouverture. La restauration est étincelante, la stabilité de mise, les contrastes d’une densité extraordinaire, les gris riches, les blancs lumineux et le grain original heureusement préservé. Les séquences sombres sont tout aussi soignées que les scènes diurnes et extérieures, le piqué est tranchant et les détails étonnent par leur précision notamment dans le rendu des textures. Une définition exemplaire supplémentaire à afficher au palmarès de Gaumont.
Le film de François Villiers bénéficie d’un écrin acoustique DTS-HD Master Audio qui, sans surprise, met en valeur à la fois les très beaux dialogues, ainsi que le superbe thème musical de Georges Delerue. Les effets sont précis, aucun souffle n’est à déplorer et les plages de silence sont limpides. S’il fallait chipoter, nous dirons que certains dialogues paraissent plus étouffés que d’autres alors que d’autres visiblement repris en postsynchronisation prennent un peu le dessus de façon grinçante, mais ce serait vraiment chercher la petite bête. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.
Crédits images : © Gaumont / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr