LA SCANDALEUSE DE BERLIN (A Foreign Affair) réalisé par Billy Wilder, disponible en DVD et Blu-ray le 25 septembre 2024 chez Rimini Éditions.
Acteurs : Marlene Dietrich, Jean Arthur, John Lund, Millard Mitchell, Peter von Zerneck, Stanley Prager, William Murphy, Raymond Bond…
Scénario : Robert Harari, Charles Brackett, Richard L. Breen, Billy Wilder d’après une histoire originale de David Shaw
Photographie : Charles Lang
Musique : Friedrich Hollaender
Durée : 1h56
Date de sortie initiale : 1948
LE FILM
La très austère Phoebe Frost est envoyée à Berlin en 1946 pour enquêter sur la moralité des troupes américaines d’occupation. Elle ne découvre que marché noir et relations amoureuses entre soldats et jeunes Allemandes. Pis, une chanteuse de cabaret, au passé nazi, est protégée par un officier américain, celui-là même qu’elle avait chargé de l’enquête au départ…
Avant de s’exiler à Hollywood suite à l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir, Samuel Wilder dit Billy Wilder (1906-2002), scénariste austro-hongrois débarque à Paris où il tourne son premier long métrage en 1934, Mauvaise graine, avec Danielle Darrieux. Arrivé sur la terre de l’Oncle Sam et ne parlant quasiment pas anglais, il parvient tout de même à se faire engager à la Paramount Pictures comme scénariste et script-doctor. Il est très vite remarqué par Ernst Lubitsch, pour lequel Billy Wilder écrit La Huitième femme de Barbe-Bleue et Ninotchka. En 1942, il passe derrière la caméra pour Uniformes et jupon court – The Major and the Minor, comédie sur fond de guerre qu’il écrit avec son complice Charles Brackett. C’est un succès et la carrière de réalisateur de Billy Wilder est lancée. Mis en scène en 1948, La Scandaleuse de Berlin – A Foreign Affair est déjà le huitième film de Billy Wilder (en comptant son documentaire Death Mills, sur la découverte des camps de concentration nazis par les Alliés en 1945) et fait suite au film noir Assurance sur la mort – Double Indemnity (1944) et le drame Le Poison (1945), récompensé par la Palme d’or au festival de Cannes, mais aussi par quatre Oscars, ceux du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur acteur pour Ray Milland et du meilleur scénario adapté. Billy Wilder s’octroie ensuite une récréation avec la comédie musicale La Valse de l’empereur avec Bing Crosby et Joan Fontaine, avant de se consacrer à La Scandaleuse de Berlin.
C’est sans doute une phrase toute faite, mais tout Billy Wilder se trouve déjà dans A Foreign Affair : dialogues cocasses et tordants, comédie tendre, mélancolique et cynique sur l’amour, affrontements des sexes, le politiquement incorrect, la critique du puritanisme hypocrite, le mensonge, les faux-semblants, la complicité du réalisateur avec le spectateur alors en avance sur les personnages, qui renforce ainsi l’émotion et les éléments comiques. La mécanique Wilder fonctionne à plein régime, le ton insolent présent depuis Uniformes et jupon court est encore plus féroce et même parfois grivois. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une commission parlementaire américaine arrive à Berlin pour enquêter sur les moeurs et les conditions de vie des 12.000 GI en Allemagne. Phoebe Frost, membre de la commission, puritaine et intransigeante, représentante républicaine de l’Iowa, découvre les dessous de la réalité berlinoise, le marché noir et la prostitution. Elle apprend notamment qu’une chanteuse de cabaret et ancienne membre du parti nazi, Erika von Schluetow, bénéficie de la protection d’un officier américain, le capitaine John Pringle. Celui-ci feint de tomber amoureux de la rigide Phoebe afin de l’amadouer. Tout d’abord scandalisée par la dépravation qu’elle découvre sur place, Phoebe est rapidement conquise et abandonne peu à peu sa cuirasse, tout en se laissant séduire.
La Scandaleuse de Berlin demeure encore aujourd’hui l’un des films de Billy Wilder les plus appréciés par les cinéphiles. Certes, les motifs et thèmes récurrents du maître incontesté de la comédie américaine explosent littéralement à l’écran, mais A Foreign Affair est également un modèle du genre du point de vue rythme, montage, cadre, mise en scène et direction d’acteurs. Redoutablement efficace, La Scandaleuse de Berlin possède encore cette Lubitsch’s touch, mais Billy Wilder s’émancipe bel et bien de son modèle, et livre une comédie sophistiquée plongée pourtant dans un décor réaliste et impressionnant, celui de Berlin en ruine (un spectaculaire plan aérien ouvre le film) suite aux 75.000 tonnes de bombes lâchées par les alliés. Seulement trois ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Billy Wilder plante son récit comique au milieu des bâtiments écroulés, qui contrastent avec la joie de vivre des soldats américains, qui ne pensent qu’à faire la fête en compagnie de jolies demoiselles allemandes qu’ils appâtent avec des barres de chocolat. C’est cet optimisme qui apparaît dès les premières scènes, qui irrigue le film du début à la fin et qui lui donne son rythme endiablé, comme un coeur qui bat à cent à l’heure et que l’horreur nazie n’a su arrêter.
Merveilleusement écrit, ce chef d’oeuvre comporte quelques répliques à se damner « Berlin, on dirait un vieux morceau de roquefort rongé par les rats ! », « Donner du pain à celui qui a faim, c’est de la démocratie. Mais le faire avec ostentation, c’est de l’impérialisme. », « Voici le balcon duquel Hitler a parié que son Reich durerait 1000 ans. Ça a fait mal aux bookmakers. », « Je me demande comment tient cette robe ! » « Avec la volonté allemande ! », « Allons chez moi, c’est à quelques ruines d’ici ! ». Billy Wilder « ose » jouer avec le décor de Berlin réduit alors à un tas de pierres et de cendres. Pourtant, parmi ces gravats (reconstitués en partie à Hollywood), les hommes et les femmes retrouvent le goût de vivre, de s’amuser, de boire et de chanter. Divinement interprété, La Scandaleuse de Berlin reste un des rares films emblématiques de Marlene Dietrich en dehors de sa longue collaboration avec Josef von Sternberg. Si la comédienne avait tout d’abord refusé ce rôle en raison de ses positions anti-nazies, Marlene Dietrich, qui avait été pourchassée par l’état-major allemand pour espionnage et qui avait ensuite soutenu le moral des troupes américaines en allant chanter sur le front, accepte surtout par amitié pour Billy Wilder. Malgré ses réticences, elle est une fois de plus formidable et semble même s’amuser à jouer un personnage alors à l’encontre de ses valeurs, tout en interprétant trois chansons restées célèbres, Black Market, Illusions, et Ruins of Berlin. Elle tournera à nouveau devant la caméra de Billy Wilder en 1957 pour Témoin à charge.
Mais la véritable star du film est bel et bien la méconnue et pourtant pétillante Jean Arthur (1900-1991). Après ses débuts dans le cinéma muet, on peut d’ailleurs l’apercevoir dans Les Fiancées en folie – Seven Chances (1925) de Buster Keaton, cette ancienne mannequin devenue actrice a plus tard tourné pour Howard Hawks (L’Extravagant Mr. Deeds, Seuls les anges ont des ailes) et Frank Capra (Vous ne l’emporterez pas avec vous, Monsieur Smith au Sénat). La Scandaleuse de Berlin est son avant-dernier film. La comédienne fera ses adieux au cinéma cinq ans plus tard dans L’Homme des vallées perdues de Georges Stevens. Elle est tout simplement immense dans La Scandaleuse de Berlin et sa tonique prestation parvient même à éclipser celle de sa partenaire. A ses côtés, outre de fabuleux seconds rôles qui ont toujours fait la marque de Billy Wilder, le méconnu John Lund, dont la Paramount tentait de faire une star, fait pâle figure avec un manque de charisme certain, mais ses relations avec Marlene Dietrich d’un côté et Jean Arthur de l’autre, fonctionnent parfaitement bien, l’acteur étant bien sûr aidé par l’énergie et le charme contagieux des deux actrices.
Rétrospectivement, La Scandaleuse de Berlin reste un des films les plus audacieux et intelligents de Billy Wilder, ainsi que l’un de ses innombrables chefs d’oeuvre.
LE BLU-RAY
Heureux nous sommes. En effet, après Spéciale première, Avanti !, La Grande combine, Embrasse moi, idiot, Irma la douce, Un, deux, trois, La Garçonnière, Témoin à charge, La Valse de l’empereur, Le Poison et Uniformes et jupon court, la collection Billy Wilder chez Rimini Éditions reprend avec l’arrivée dans cette anthologie de La Scandaleuse de Berlin. Présenté en Combo Blu-ray + DVD + Livret, ce chef d’oeuvre avait déjà connu une première sortie en Haute-Définition chez ces margoulins de Movinside/ESC. Sept ans après ce premier Blu-ray, La Scandaleuse de Berlin refait surface chez Rimini Éditions donc, les deux disques reposant dans un boîtier classique transparent, glissé dans un fourreau cartonné, avec un visuel s’inscrivant bien sûr dans la même veine que les autres titres Billy Wilder susmentionnés. Le menu principal est animé et musical. Comme pour les autres titres, cette édition contient un livret de 32 pages rédigé par Marc Toullec (beaucoup plus inspiré que d’habitude), très bien illustré et qui revient longuement sur la genèse, le tournage et la sortie de La Scandaleuse de Berlin.
Nous l’attendions, le bonus réunissant Mathieu Macheret (Le Monde) et Frédéric Mercier (Positif) fait évidemment son retour (27’). Le journaliste et le critique ont cette fois encore bossé en amont leur présentation et nous proposent un très large tour d’horizon de La Scandaleuse de Berlin, sur lequel ils dissèquent à la fois le fond et la forme. Ils replacent également le film dans la carrière de son auteur, parlent du casting, des thèmes abordés (ou comment Billy Wilder n’a eu de cesse d’évoquer Berlin à plusieurs reprises dans ses longs-métrages).
Disponible uniquement sur la galette HD, l’éditeur livre aussi un documentaire français, consacré aux dernières années de Marlene Dietrich, intitulé Le Crépuscule d’un ange, réalisé par Dominique Leeb (2012, 52’). Très bien illustré par de nombreuses photographies, ce film se penche sur la fin de vie de la star allemande, qui s’était réfugiée dans un appartement luxueux au 12 avenue Montaigne à Paris, dans lequel elle était purement et simplement restée allongée dans son lit pendant quinze années, avant de rendre son dernier souffle le 6 mai 1992. Constitué de très nombreuses interviews de membres de sa famille (sa fille Maria Riva, son petit-fils Peter Riva), ses amis (Louis Bozon, Pierre Cardin), ses proches et même sa voisine, ce documentaire passionnant revient aussi sur l’enfance, les débuts, la rencontre avec Josef von Sternberg, la naissance du mythe Dietrich, l’après-Sternberg, l’engagement contre le nazisme, l’après-guerre, la suite de la carrière et donc la fin de vie de la grande Marlene. Le film de Dominique Leeb met en relief comment le « monstre » Dietrich est né et comment la comédienne n’a jamais cessé d’entretenir la légende tout au long de son existence, de jouer un rôle, loin de la femme effrayée par la solitude et l’abandon qu’elle était en réalité. Louis Bozon fait d’ailleurs entendre à plusieurs reprises quelques messages laissés par la star sur son répondeur, paniquée de ne pas avoir de ses nouvelles. Les dernières images montrant ses obsèques à l’église de la Madeleine, avec son cercueil recouvert d’un drapeau français, sur lequel était épinglée sa croix de la Légion d’honneur sont très émouvantes. Le corps de Marlene Dietrich allait ensuite être transporté et enterré à Berlin, ville avec laquelle elle entretenait un rapport d’amour/haine.
L’Image et le son
Le transfert HD (1080p, AVC) répond à toutes les exigences. Le N&B affiche une nouvelle jeunesse, les blancs sont lumineux et les noirs rutilants, le piqué n’a jamais été aussi affiné, quand bien même quelques séquences liées à la photo vaporeuse du chef opérateur Charles Lang (Certains l’aiment chaud, Les 7 mercenaires, Charade), apparaissent beaucoup plus douces et lisses. La définition est plus convaincante que l’édition Movinside, la texture argentique est préservée, peut-être plus accentuée sur les scènes sombres, les gros plans ne manquent pas de détails, la profondeur du plein cadre est plaisante. La propreté est convaincante, les anciens défauts (bobines abîmées et marquées par de nombreuses rayures verticales, des points et tâches), quasiment tous éradiqués. L’image est stable et les contrastes soignés.
Les mixages anglais et français sont proposés en DTS-HD Master Audio Mono. La piste originale, est souvent exemplaire et limpide, contrairement à la version française qui s’accompagne d’un souffle qui tend à s’accentuer sur les trois chansons de Marlene Dietrich. Le niveau des dialogues est hasardeux sur cette piste, certains échanges sont un peu pincés et le mixage manque souvent d’harmonie. La version originale est évidemment à privilégier, notamment pour bénéficier de la « musicalité » des dialogues chers à Wilder, mais également du timbre particulier de Jean Arthur. C’est entre autres l’option acoustique la plus confortable avec un report des voix et des effets annexes plus solides.
Crédits images : © Universal Studio / Rimini Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr