Test Blu-ray / La Menace, réalisé par Alain Corneau

LA MENACE réalisé par Alain Corneau, disponible en DVD et Blu-ray depuis le 21 novembre 2021 chez LCJ Editions & Productions.

Acteurs : Yves Montand, Carole Laure, Marie Dubois, Jean-François Balmer, Marc Eyraud, Roger Muni, Jacques Rispal, Michel Ruhl, Gabriel Gascon…

Scénario : Daniel Boulanger & Alain Corneau

Photographie : Pierre-William Glenn

Musique : Gerry Mulligan

Durée : 1h56

Date de sortie initiale : 1977

LE FILM

Dominique gère une société de transports routiers près de Bordeaux. Elle est assistée de son compagnon Henri. Mais leur relation tourne court lorsque le quinquagénaire s’éprend de Julie, une jeune Canadienne. Un soir, apprenant qu’Henri a rendez-vous avec Julie, Dominique s’y rend à sa place. Elle propose de l’argent à sa rivale pour qu’elle quitte la région. Le ton monte. Julie s’enfuit. Folle de jalousie, Dominique se suicide…

Après un premier long-métrage – France société anonyme – complètement foutraque, à la fois fascinant et terriblement assommant (euphémisme), Alain Corneau change son fusil d’épaule et signe un vrai coup de maître deux ans plus tard, Police Python 357, polar implacable et froid comme le platine, qui connaît un beau succès public, en attirant près d’1,5 million de spectateurs dans les salles en mars 1976. Metteur en scène et scénariste cinéphile, mais aussi cinéphage, Alain Corneau profite de cet engouement pour surfer sur la même recette et décide de remettre le couvert dès l’année suivante avec La Menace, également interprété par Yves Montand. Avec ce troisième film, le cinéaste prolonge ce qu’il avait entrepris avec Police Python 357, en poussant les curseurs, en asséchant aussi bien le fond que la forme, à la limite de l’abstraction. Moins ou mal considéré, c’est selon, La Menace n’en reste pas moins représentatif du cinéma « mathématiques », pour ne pas dire scientifique d’Alain Corneau, où tout y est carré, symétrique, glacé et pourtant fragile, car souvent fatal ou sans espoir de retour. Redoutablement pessimiste, ce polar sombre demeure essentiellement connu pour son dernier acte, quasiment dépourvu de dialogues, reposant entièrement sur le cadre, l’ambiance, une claustrophobie qui serre la gorge du spectateur jusqu’au dénouement entré dans l’histoire du cinéma.

Henri Savin (Yves Montand) dirige avec sa maîtresse Dominique Montlaur (Marie Dubois) une entreprise de transports routiers dont elle est la propriétaire. Le couple est en crise : Henri est amoureux de Julie Manet (Carole Laure) et veut quitter Dominique. Un soir, alors qu’Henri est retenu par son travail, Dominique affronte violemment Julie puis se suicide. La police conclut à un meurtre. Tout accuse Julie qui nie cependant, sur les conseils de son amant, avoir rencontré ce soir-là Dominique. L’inspecteur Waldeck (Jean François Balmer, qui paraît jouer dans un autre film), tout en voyant les charges s’accumuler contre Julie, ne croit pas vraiment à sa culpabilité. Mais l’attitude négative de la jeune femme ne l’aide pas. Henri, de son coté, met à profit le temps que lui laisse la procédure d’accusation pour mettre en scène sa propre culpabilité en fabriquant de faux indices. En fait, il va dans le sens de l’inspecteur qui cherche à lui faire endosser le meurtre de Dominique. Au moment où il va se faire arrêter, Henri fuit au Canada. Là, devenu simple chauffeur routier, Henri met au point une autre mise en scène pour faire croire à sa disparition physique, afin de pouvoir retrouver ailleurs et sous une autre identité Julie enfin libre. Mais le destin en décidera autrement.

Si quelques éléments de Police Python 357 pouvaient paraître invraisemblables, dans La Menace,le scénario (coécrit cette fois encore avec Daniel Boulanger) va plus loin dans l’abracadabrant, l’extravagant et le rocambolesque. Pourtant, la pilule passe, certes en étouffant un peu plus le gosier du spectateur, mais Alain Corneau croit tellement en ce qu’il fait, en la dimension « cinématographique » de son personnage, dans le sens où il faut accepter le fait que rien n’est ici réaliste, mais que tout est avant tout spectacle et divertissement, que l’audience est du coup entraînée dans le sillage de Henri Savin. Maintenant, on peut comprendre que La Menace ait toujours été considéré comme un sous-Police Python 357, la surprise étant sans doute moins percutante. Mais le réalisateur parvient tout de même à retenir l’attention au moyen d’une mécanique irrésistible, une réaction en chaîne où l’issue semble inéluctable. Là où l’action se déroulait presque intégralement à Orléans (et dans ses environs) dans le film précédent, celle de La Menace se disperse entre Bordeaux, Blaye (également en Gironde), mais aussi à Vancouver. Passionné par le cinéma américain, notamment le polar et le western, Alain Corneau profite des paysages canadiens pour donner à son film une aura de « grand ouest américain », où les protagonistes, la plupart du temps réduits à des silhouettes, se retrouvent pour ainsi dire « enfermés à ciel ouvert », dans une immensité qui les broie, ce qui peut faire écho au sort qui sera réservé à Henri après une longue course-poursuite réglée par le maître en la matière, Rémy Julienne.

Finalement, on se soucie moins des personnages à la psychologie dépouillée, réduite au strict minimum et l’on est plus ébloui par la virtuosité avec laquelle Alain Corneau nous raconte son histoire, place ses personnages dans le cadre, filme très souvent Yves Montand de dos, comme si son personnage se tenait constamment au bord d’un précipice, attendant sa chute qui viendra forcément. Henri fait tout cela par amour, celui qu’il porte à sa compagne, la jeune et belle canadienne Julie, la sublime Carole Laure, pour sa première incursion dans le cinéma français, juste avant d’illuminer Préparez vos mouchoirs de Bertrand Blier. Comme l’inspecteur Marc Ferrot de Police Python 357, qui en venait à se défigurer à coup de vitriol pour éviter d’être identifié par des témoins, Henri Sarvin va créer de toutes pièces des fausses preuves afin de disculper Julie, accusée d’avoir assassiné celle qu’il allait quitter pour elle, Dominique Montlaur, incarnée par l’épatante et magnétique Marie Dubois, récompensée ici par le César de la meilleure actrice dans un second rôle. Mais en commençant ce petit jeu destiné à pousser la police à le suspecter lui, la machine s’emballe.

Il faut donc adhérer à de très nombreuses bizarreries, des comportements déconcertants des personnages, des retournements de situation paradoxaux, des contradictions à la pelle, ce qui fait beaucoup, pour apprécier La Menace. Une fois ces partis-pris romanesques adoptés, on se laisse prendre au jeu et le spectacle (1,3 million de français viendront d’ailleurs voir le film), assuré de main de maître par Alain Corneau, se double aujourd’hui d’un très bel objet de cinéma, magnifié par la photographie de Pierre-William Glenn et bercé par la partition de Gerry Mulligan.

LE BLU-RAY

Depuis 2003, La Menace a connu plusieurs vies en DVD. La première chez Opening, chez qui le film d’Alain Corneau été réédité à plusieurs reprises, jusqu’à 2012 où il arrive chez Universal Pictures France. Novembre 2021, La Menace revient dans les bacs, cette fois sous les couleurs de LCJ Editions & Productions, en édition Standard et pour la première fois en Haute-Définition. La jaquette au visuel efficace, est glissée dans un boîtier classique de couleur bleue (contrairement au visuel). Le menu principal est animé et musical.

Ne manquez pas l’excellent et long documentaire (72’) intitulé Stratégie de l’effacement, inédit et réalisé par Roland-Jean Charna, à l’occasion de cette édition restaurée de La Menace, qui croise les interventions de Bernard Payen (responsable de programmation à La Cinémathèque française), Grégory Marouzé (journaliste, critique, réalisateur d’Alain Corneau, du noir au bleu), du comédien Jean-François Balmer et du monteur Henri Lanoë. Chacun replace le film dans la carrière du cinéaste et s’exprime sur la mise en route de La Menace, qui découlait tout naturellement du succès rencontré par Police Python 357. D’ailleurs, les quatre invités mettent en parallèle les deux films d’Alain Corneau, en indiquant leurs nombreux points communs, en revenant à la fois sur le fond (la thématique récurrente de l’homme pris au piège chez Corneau, ainsi que la quête d’identité) et sur la forme (le dernier acte y est largement disséqué), Jean-François Balmer indiquant ouvertement qu’il trouvait le scénario moins bon et sans doute encore plus mécanique que celui de Police Python 357. Un portrait d’Alain Corneau, l’homme (profondément humain, complexe, drôle, angoissé, passionné, érudit) et le cinéaste (très grand professionnel, attiré par la noirceur de l’être humain), se dessine à travers ce formidable module, où l’admiration des intervenants n’est pas feinte.

L’Image et le son

La Menace fait peau neuve en Blu-ray et trouve un superbe écrin, la copie ayant été intégralement restaurée et révisée par Eclair Classics. La photo de Pierre-William Glenn est impeccablement restituée avec son grain originel, sans lissage excessif. L’ensemble retrouve une nouvelle fraîcheur, le piqué, les contrastes, le relief, les détails sont admirablement renforcés, tout comme la stabilité aidée par un codec AVC de haute volée. Certains plans qui posaient de menus problèmes et se révélaient imprécis sont ici corrigés et apparaissent nets, élégants, sans les flous occasionnels anciennement visibles. Nous nous trouvons en présence de la plus belle copie de La Menace à ce jour. Blu-ray au format 1080p.

Point de remixage à l’horizon si ce n’est une piste DTS-HD Master Audio 2.0 de fort bon acabit, propre, suffisamment dynamique et délivrant les dialogues, ainsi que les rugissements des moteurs avec une belle fermeté. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste Audiodescription.

Crédits images : © LCJ Editions & Productions / Les productions du Daunou / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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